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1.5. LE DIALOGUE ENTRE CONGAR ET BALT1IASAR

2.1.1. LE STYLE THÉOLOGIQUE

En donnant la parole à Balthasar lui-même, nous voulons dès maintenant laisser apparaître l'un des préalables les plus importants que l'on doit avoir devant les yeux tout au long de notre réflexion. Il s'agit de son style théologique, qui comprend le concept fondamental de la

figure (Gelstalt). Balthasar s'exprime ainsi:

J'ai choisi Goethe : la figure, indestructiblement unique, organique, évoluante - j e pense au Goethe de La métamorphose des plantes - cette figure dont Kant non plus ne sait pas venir à bout dans son Esthétique.. .11 est certainement difficile d'introduire ce concept de figure en théologie. Je l'ai tenté. J'ai essayé de voir le christianisme ou le Christ d'abord comme figure; et ensemble avec le Christ, son Eglise. On peut tourner autour d'une figure et la regarder de tous les côtés. On voit toujours quelque chose de nouveau sans pourtant cesser de voir la même chose301.

C'est à cause de cette orientation qui privilégie le mystère et l'intégration au système et au pluralisme des phénomènes, qu'Angelo Scola a pu caractériser la théologie de son maître comme une théologie de « l'éclat ». Pascale Ide, pour sa part, souligne que la forme de sa théologie reflète son contenu'"'2.

Balthasar avait horreur des systèmes, tant il était conscient de l'impossibilité d'emprisonner l'insaisissable Gloire de Dieu dans une réflexion humaine. Une théologie, au contraire, doit être ouverte de tous les côtés, comme un fragment, un éclat, sur lequel la gloire elle-même pourra resplendir, si elle le veut303.

Arrêtons-nous encore pour un instant sur le procédé d'écriture balthasarienne, qui rejoint les quelques fondements épistémologiqucs que nous venons d'aborder. La plus grande partie de ses ouvrages décrit un cercle, ou plutôt une spirale. La question est une question théologique et elle est posée le plus souvent à partir de l'exégèse de l'Ecriture Sainte. Elargi ensuite par les perspectives historiques (Tradition, herméneutique théologique des Pères), le procédé vise à pointer, à l'intérieur de cette question théologique, comme englobée, une question de l'homme en ■"" «Esprit et feu, Entretiens de Michael Albus avec H. U. von Balthasar», in Hans Urs von Balthasar, À propos de mon œuvre, Travarsée, p. 98.

302 Ide Pascal, Être et mystère, La philosophie de Hans Urs von Balthasar, Bruxelles, Culture et Vérité, 1995, 183 pp, pp. 104- 109.

général, une question philosophique, éveillée dans le creux de l'infini présent dans l'être fini, pour se diriger enfin vers le mystère de l'Incarnation et, par la Pâque, vers le mystère du drame de Dieu-Trinité, qui apparaît alors comme le cœur universel, le lieu de l'intégration, du dénouement, de tout le drame cosmique et humain.

Un autre trait caractéristique de la théologie balthasarienne c'est que la théologie et la philosophie y sont placées sous le signe de l'écoute. Pascal Ide le dit en ces termes :

La vérité au sens ontologique, c'est-à-dire l'être, est mystère, ce qui signifie, selon Balthasar, qu'il présente deux faces indissociables : il est fond et

apparition, intimité et extériorité... la perspective est constamment dynamique,

l'être est voilé et manifesté, enveloppement et dévoilement. Il y a une pulsation : le fond tend de lui-même à se manifester, à se donner à contempler et d'autre part, l'apparition se voile, renonce à elle-même et s'efface pour qu'apparaisse le fond d'où elle surgit, sans que celui-ci se livre hors de son dévoilement304.

Cela signifie que la seule attitude qui convient à la théologie et à la philosophie n'est pas la systématisation, mais la contemplation toujours ouverte au rayonnement de la vérité, dans une attitude d'émerveillement et d'adoration. La théologie se fait dominer par l'impression, la perception de la Gloire de Dieu qui est l'apparition - la forme - du beau culminant en Jésus Christ305. La théologie doit se présenter comme l'expression, style théologique, de cette

impression.

Une théologie particulière, l'expression de l'impression de la gloire de Dieu, prend par conséquent naissance au sein d'un rapport de liberté-obéissance; et ce rapport n'est en rien laissé à l'arbitraire ou au hasard, puisque le contenu est la forme concrète de la Révélation, et que cette forme trouve dans le Magistère de l'Église un principe herméneutique qui s'impose à elle... Le pluralisme théologique n'est pas un choix que le théologien fait de son bon plaisir à partir d'un style particulier. C'est bien plutôt la conséquence du fait de la forme (la Gloire de Dieu), qui en se donnant, demeure toujours Mystère306.

Balthasar met en fort contraste une théologie faite à un bureau et une théologie faite à genoux. Seule la théologie belle, c'est-à-dire celle qui, saisie par la Gloire de Dieu, est capable de

Ide Pascal, Être et mystère, p. 18.

Angelo Scola, Mans Urs von Balthasar., p. 16. Ibid. p. 19 et 21.

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la rayonner à son tour, a la chance d'agir d'une manière convaincante et transformante sur l'histoire humaine. En est le plus capable une théologie des saints307.

À quoi nous invite donc une telle vision théologique - le mystère et la sainteté - si nous revenons à notre travail ?

Nous avons devant nous un thème de la théologie de Balthasar : celui de la Vierge Marie comme type (ou figure) de l'Église; un motif parfaitement intégré dans un tout christologique (la

Figure des figures20*), un thème prépondérant de son ecclésiologie, un thème qui comporte tous

les éléments de la méthodologie balthasarienne et qui, pourtant, ne peut pas être isolé de l'ensemble. Nous possédons, à la différence de notre travail sur Congar, un grand nombre de commentaires exploitant la thématique de la figure et du principe mariai chez Balthasar, et également un bon nombre d'ouvrages qui présentent plus ou moins l'ensemble de sa pensée.

L'horizon étant trop vaste, nous voulons nous concentrer d'emblée sur les particularités de notre question, sans entrer dans le langage trop technique de certaines argumentations, tout en dégageant avec précision l'environnement théologique et philosophique des affirmations. Pour cela, nous choisissons de procéder par un choix des références, plutôt que par un parcours et une description détaillée de toutes les thématiques ecclésiologiques susceptible de comporter des éléments mariaux, comme nous l'avons fait chez Congar.