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Le vagabondage politique ou l’absence de convictions politiques solides

2. Quelques traits marquants de la vie politique en RDC, autant de défis

2.1. Le vagabondage politique ou l’absence de convictions politiques solides

« La politique du ventre », dont parle abondamment Jean-François Bayard dans l’État en

Afrique90, n’est pas un phénomène exclusivement congolais. Bien plus, selon le même au-

teur, elle est une notion qui englobe plusieurs dimensions, matérielles et immatérielles, al- lant de l’accumulation des biens à des représentations culturelles très complexes, comme la sorcellerie et la magie. Cela dit, il est difficile de ne pas constater combien la politique du ventre, dans sa dimension matérielle, influence très négativement la vie politique de la RDC, dont les acteurs politiques nagent dans l’opportunisme et le vagabondage. En obser- vant le parcours et les pratiques de plusieurs d’entre eux, il n’est pas exagéré d’affirmer que leur engagement politique repose sur une recherche effrénée du pouvoir à des fins mercan- tiles. Selon Athanase Nzeza, les pratiques politiques en RDC sont fortement marquées par la loi de la débrouille :

À ce titre, les manœuvres des hautes sphères ne relèvent pas même de l’opportunisme visant à gagner des points au sein même de la sphère politique : la plupart des acteurs politiques sont plutôt des personnes à la recherche

87 Kamba, Violence politique au Congo-Kinshasa, p. 12. 88 de Villers, De Mobutu à Mobutu, p. 49.

89 Olivier Lanotte, Guerres sans frontières en République Démocratique du Congo, Bruxelles, Grip, 2003. 90 Jean-François Bayart, L’État en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, 2006.

d’emplois, des positions rémunératrices destinées à assurer leur propre survie. Vu sous cet angle, leur activisme politique s’inscrit dans le cadre d’une ambi- tion matérialiste et triviale : pouvoir manger, avoir une maison, posséder une voiture, etc. Or, à Kinshasa, cette ambition ne se réalise que par le biais de tri- cheries de toutes sortes91.

À quelques exceptions près, les agissements des acteurs politiques congolais sont les mêmes, dans la capitale comme dans les provinces. Avec la centralisation à outrance de la gestion du pays, Kinshasa impose non seulement ses décisions à l’ensemble de la nation, mais aussi ses méthodes et, d’une certaine manière, sa culture. C’est la vitrine de la vie na- tionale, la capitale de tout en RDC : de la politique, de l’économie, de la danse, des détour- nements, de la corruption, des moustiques, de l’insalubrité, des fanfaronnades et du vaga- bondage politique. Depuis les années Mobutu, l’intérieur du pays a été quasiment abandon- né à son triste sort par des gouvernements successifs. Ces derniers concentraient les maigres ressources du pays à calmer Kinshasa la frondeuse, afin de préserver la paix so- ciale dans cette mégapole de près de dix millions d’habitants, siège des institutions de la République.

Ainsi, à Shabunda, venir de Kinshasa est un honneur, y vivre est un mérite qui a valu à plu- sieurs acteurs politiques d’être élus sans faire preuve d’aucune compétence particulière. Ce n’est certainement pas pour rien que les députés nationaux de Shabunda (anciens, nouveaux et futurs) vivent à Kinshasa, avec femme, enfants, chiens et chats, faisant rêver beaucoup de Shabundiens dont la préoccupation majeure a longtemps été de « voir Kinshasa et mourir ». Les élus, qui auraient dû être très présents dans leur circonscription électorale, ne revien- nent à Shabunda que la veille des prochaines élections, pour battre campagne. Il en résulte que les pratiques politiques kinoises, si bien décrites par Athanase Nzeza dans son article, dominent actuellement la vie politique à Shabunda : « tricheries de toutes sortes ».

Contrairement à ce qui se passe dans les démocraties occidentales, où la gauche se dé- marque clairement de la droite et du centre, la différenciation idéologique est une pure fic- tion en RDC. Il est vrai que, depuis longtemps, dès avant l’indépendance du pays, certains

91 Athanase Nzeza Bilakila, « La “coop” à Kinshasa : survie et marchandage » dans Theodore Trefon (dir.),

Ordre et désordre à Kinshasa. Réponses populaires à la faillite de l’État, Tervuren, Musée royal de l’Afrique centrale, 2004, p. 44-45.

acteurs politiques congolais se disent fédéralistes et d’autres unitaristes. Certains partis po- litiques s’affichent comme des libéraux, d’autres comme faisant partie de la social- démocratie. Mais, ces clivages idéologiques restent très marginaux et ne transparaissent guère dans les pratiques politiques des uns et des autres. Sans racines idéologiques, sans convictions politiques fermes, les acteurs politiques congolais vagabondent, changeant d’allégeances sans scrupule, à la recherche des postes politiques qui donnent accès à l’argent et aux honneurs92. L’actuelle majorité au pouvoir à Kinshasa est une parfaite illus- tration de cette politique du ventre, qui se traduit par un vagabondage avilissant. Elle ne repose ni sur une vision politique clairement définie, ni sur un programme commun de gouvernement, discuté et adopté par l’ensemble des partis membres de la plate-forme93.

Congoforum la décrit comme « un conglomérat gélatineux, incolore, inodore et

amorphe94 ». À certains égards, elle est même une alliance contre nature, où pactisent des acteurs politiques qui font de l’agression rwando-ougandaise leur fonds de commerce poli- tique, et des représentants des mouvements politico-militaires à la solde du Rwanda, comme ceux du CNDP de Laurent Nkunda Batware. Comment peut-on dénoncer les récur- rentes agressions rwandaises contre la RDC tout en pactisant avec le CNDP, un cheval de Troie dont se sert le Rwanda à cette fin ?

Dans l’art du vagabondage politique, le blogueur Emmanuel Ngeleka fait remarquer que « M. Lambert Mende, le ministre de communication, est un cas d’anthologie. Comment peut-on tantôt être opposant à Mobutu (membre de l’Union Sacrée) et puis son ministre de transport sans que Mobutu ait changé d’un iota ? Ensuite, peut-on combattre Kabila-Père et fils (au sein du RCD/Goma) et devenir le plus bavard ministre du fils ? Ministre du gouver- nement Tshisekedi, il est aujourd’hui l’un des plus farouches ennemis de “l’homme de Li-

meteˮ95 ». Malheureusement, Lambert Mende Omalanga et Tryphon Kin-Kiey Mulumba, que l’écrivain Pius Ngandu Nkashama croit être « l’un des plus grands opportunistes et

92 Voir Olivier Dioso, « L’homme politique congolais demeure celui d’avant 1997 », 16 mai 2014.

www.lepotentielonline.com/index.php?...politique-congolais (24/07/2014).

93 Le Palu (Parti lumumbiste unifié) d’Antoine Gizenga avait réclamé sans succès l’élaboration d’un pro-

gramme commun de gouvernement avant les élections de novembre 2011. Voir Jean Mpisi, Antoine Gizenga pour la gauche en RDC, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 100-104.

94 Sur le site Congo Forum, 18 juillet 2014. www.CongoForum.be (18/07/2014).

95 Emmanuel Ngeleka, « Pourquoi “la nouvelle classe politique” s’est-elle plantée ? », 7 juillet 2014.

propagandistes de la nation96 », ne sont que l’arbre qui cache la forêt. Venant de tous les horizons et motivés par la seule envie de gouverner pour s’enrichir, les nouveaux « mou- vanciers » rivalisent de zèle et d’initiatives pour plaire à Joseph Kabila et le maintenir long- temps au pouvoir, comme les anciens « mouvanciers » l’ont fait avec le dictateur Mobutu. Dans cette politique de la mangeoire, des publications propagandistes, produites par des intellectuels congolais reconnus97, rappellent les fables vantant les mérites imaginaires du défunt maréchal président. Arnaud Zajtman ne s’y trompe pas, lorsqu’il écrit qu’« aucune divergence profonde ne sépare les mobutistes des kabilistes. Au contraire, ils font preuve de la même soif de pouvoir et semblent partager le même désintérêt pour l’état de dénuement dans lequel se trouve le reste de la population98 ».

Le manque de conviction des acteurs politiques et le vagabondage qui en découle consti- tuent un sérieux obstacle à l’instauration d’un État de droit en RDC. Changer une mentalité aussi ancrée est un grand défi pour l’éducation civique. Ce n’est malheureusement pas le seul.