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2. Quelques traits marquants de la vie politique en RDC, autant de défis

2.5. L’enrichissement illicite ou moralement condamnable

Bien qu’il soit lié au vagabondage politique, j’ai préféré présenter séparément un autre trait marquant de la vie politique congolaise : l’enrichissement illicite ou moralement condam- nable. J’entends par enrichissement illicite l’accumulation des biens de manière illégale, c’est-à-dire non conforme à la loi, tandis qu’un enrichissement moralement condamnable peut être légal mais choquant sur le plan éthique ou moral. Il serait naïf et même injuste de demander à ceux qui s’engagent en politique de le faire sans penser à en tirer un quel- conque bénéfice matériel ou immatériel, immédiat ou futur. Il y a cependant une grosse

132 Emmanuel Chaco, « La vie reprend petit à petit à Mbandaka, mais la peur subsiste ».

http://www.ips.org/fr/rd-congo-la-vie-reprend-petit-a-petit-a-mbandaka-mais-la-peur-subsiste/ (22/01/2015) ; Thomas Serge Kivouele, La quête de l’identité culturelle dans les associations religieuses d’origine congo- laise. Cas de Bundu Dia Kongo (B.D.K). Mémoire de maîtrise en sociologie, université Marien Ngouabi, Brazzaville, 2007. http://www.memoireonline.com/03/12/5528/m_La-qute-de-lidentite-culturelle-dans-les- associations-religieuses-d-origine-congolaise-cas-de0.html (21/01/2015); Philippe Biyoya Makutu Kahandja, Pari d’une transition apaisée en République Démocratique du Congo, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 9.

133 Médard Kayamba Badye, « Cités pré-coloniales dans les États du Katanga cuprifère (XIXe siècle) » dans

Maurice Amuri Mpala-Lutebele (dir.), Lubumbashi, cent ans d’histoire, Paris, L’Harmattan, 2013, p. 219.

134 Van Reybrouck, Congo. Une histoire, p. 38.

135 Voir Adam Hochschild, Les fantômes du roi Léopold II. Un holocauste oublié, Paris, Belfond, 1998. 136 Jean-François Bayart, « Hégémonie et coercition en Afrique subsaharienne. “ La politique de la chicotte”»,

différence entre recueillir des dividendes mérités d’un engagement politique et se servir de l’engagement politique pour un enrichissement illicite ou moralement répréhensible, comme le font nombre d’acteurs politiques congolais. En 2014, alors qu’ils occupent déjà une situation privilégiée137, les députés congolais frôlent l’indécence en réclamant une augmentation de plus de cent pour cent de leurs salaires, dans un pays où la majorité de la population croupit dans la misère138. Au-delà des salaires exorbitants, des soupçons sur leur enrichissement illicite sont alimentés par des changements sensationnels et très rapides dans leur train de vie. Alors qu’ils avaient travaillé des années voire des décennies sans jamais être capables de s’acheter un vélo, plusieurs élus acquièrent maisons et voitures de luxe après seulement quelques mois passés au Sénat, à l’Assemblée ou au gouvernement. Ce constat alimente l’opinion générale selon laquelle, en RDC, s’engager en politique est devenu le moyen le plus facile et le plus rapide de s’enrichir.

Le nombre record des candidatures aux élections législatives de novembre 2011 (18555 candidats pour 500 sièges139) illustre bien cette course à l’argent facile. Parce que les ex- ceptions ne manquent jamais, il serait exagéré de mettre tous les acteurs politiques congo- lais dans le même sac et les considérer tous comme des corrompus. N’empêche que, dans leur grande majorité, ceux qui ont gouverné la RDC jusqu’ici ont souvent été motivés par le goût de s’enrichir plus que par l’idéal de servir la nation, de construire un État digne de ce nom et de servir d’abord et avant tout la population congolaise. Une fois de plus, il ne s’agit pas d’un phénomène marginal mais d’une constante de la vie politique en RDC.

Le libre-échange que le roi Léopold II favorisa à l’époque de l’EIC « avait de fortes moti- vations économiques. Les éventuels profits qu’il espérait générer n’étaient pas destinés à développer l’État indépendant du Congo, mais à être transférés en masse vers Bruxelles140». Son aventure congolaise fut tellement rentable pour lui et sa famille qu’à sa

137 Fidèle Bwirhonde, « RDC : les politiciens préoccupés plus par l’argent que par le bien-être social »,

22 avril 2013. http://fideleblog.canalblog.com/archives/2013/04/04/26831909.html (23/01/2015).

138 Tshitenge Lubabu, « RDC : pauvres députés », 25 octobre 2012.

www.jeuneafrique.com/Article/JA2701p043.xml0 (16/07/2014).

139 Dans la seule circonscription électorale de Shabunda, il y avait soixante-deux candidats pour deux sièges.

Lire aussi Cédric Kalonji, « RDC : Gagner sa place au parlement, un très bon plan financier », 29 novembre 2011. www.slateafrique.com/70971/place-au-parlement-question-de-survie (16/07/2014).

mort en 1909, Léopold II « possédait entre autres des dizaines de propriétés immobilières à Bruxelles, l’équivalent de plusieurs dizaines de millions dans une fondation en Allemagne, des propriétés sur la Côte d’Azur. L’État belge récupéra la majeure partie de ces fonds, contrairement au Congo141 ». Après Léopold II, ce fut le tour de la Belgique. Il y avait certes, dans ce passage de témoin, des raisons politiques et morales liées au tollé internatio- nal soulevé par la cruauté du système léopoldien au Congo142 mais, si la Belgique s’engagea politiquement au Congo, ce ne fut pas d’abord pour des raisons morales ni pour les beaux yeux des Congolais. Ce fut d’abord et surtout parce que, en ce début du XXe siècle, les ressources naturelles du Congo et sa position géostratégique en faisaient désor- mais un projet économiquement rentable pour le royaume. Entre 1894 et 1906, le roi avait créé des sociétés commerciales, qui créèrent à leur tour des filiales (Compagnie du Congo pour le commerce et l’industrie, Compagnie du chemin de fer du Congo, Comité spécial du Katanga, etc.), rendant chaque jour l’exploitation et le transport des matières premières plus faciles et plus rentables143. Bien plus, avec l’invention du caoutchouc gonflable par l’écossais John Dunlop, en 1888, le Congo de Léopold s’était rapidement transformé en un « miracle économique époustouflant144 », parce qu’il fallait du caoutchouc pour les pneus des bicycles et des autos. Comme Léopold II, la Belgique et les Belges profitèrent pleine- ment de leur engagement politique mercantile au Congo145. Le Congo permit à la Belgique, ce minuscule État européen, d’acquérir une position géostratégique et économique remar- quable au niveau mondial. Ce n’est certes pas un titre de gloire, mais c’est avec de l’uranium congolais, vendu par les Belges aux Américains146, que furent fabriquées les bombes atomiques larguées sur Hiroshima et Nagasaki pendant la Deuxième Guerre mon-

141 « Histoire de la colonisation belge du Congo, 1876-1910 ». www.cobelco.info/Histoire/congo1text.htm

(24/07/2014).

142 Certains Belges continuent à relativiser cette cruauté, mettant les accusations contre Léopold II au compte

de la jalousie des pays anglo-saxons contre la Belgique. Voir Alexis Combrugghe, « Le Congo sous Léopold II, réalité et fiction », 31 mars 2004. http://www.lalibre.be/debats/opinions/le-congo-sous-leopold-ii-realite-et- fiction-51b8833ae4b0de6db9aa1459 (25/07/2014).

143 Kashemukunda Kasongo-Numbi, L’Afrique se recolonise. Une lecture d’un demi-siècle de l’indépendance

du Congo-Kinshasa, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 140-142.

144 Van Reybrouck, Congo. Une histoire, p. 107-108.

145 Ambroise V. Bukassa, Congo-Zaïre. Éternel rebelle au consensus politique, Paris, L’Harmattan, 2010,

p. 87.

146Lire à ce sujet le livre très éclairant de Pierre Buch et Jacques Vandenlinden, L’uranium, la Belgique et les

puissances. Marché de dupes ou chef d’œuvre diplomatique?, Bruxelles, De Boeck-Wesmael, 1995. Voir également Nziem, Histoire générale du Congo, p. 389.

diale. Les retombées économiques de cette transaction expliqueraient en grande partie « la relative facilité avec laquelle la Belgique a pu se relever des conséquences de la guerre, n’ayant contracté aucune dette importante à l’égard des grandes puissances financières147». Le soutien politique belge à la sécession katangaise était clairement lié aux intérêts écono- miques belges dans l’Union Minière du Haut Katanga148.

Comme indiqué plus haut, l’engagement politique à des fins mercantiles ne s’arrêta pas avec le départ des Belges. Les querelles entre les pères de l’indépendance avaient certaine- ment des allures politiques, mais elles se faisaient sur fond d’intérêts économiques, l’accès au pouvoir donnant aussi l’accès à la caisse de l’État. Sous le régime Mobutu et la Deu- xième République, « c’est la course à l’argent, hic et nunc et par tous les moyens, qui a débauché tout le corps social et toute la classe politique149 », conduisant ainsi le pays à la banqueroute. L’éducation civique doit relever le défi de sortir les Congolais de cette culture consistant à s’engager en politique d’abord pour s’enrichir au lieu de servir la nation et ses citoyens.