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L'Église catholique et l'éducation civique des populations en République Démocratique du Congo : le cas de Shabunda, au Sud-Kivu

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(1)

L’Église catholique et l’éducation civique des

populations en République Démocratique du Congo

Le cas de Shabunda, au Sud-Kivu

Thèse

Simon-Pierre Iyananio

Doctorat en théologie pratique

Docteur en théologie pratique (D.Th.P.)

Québec, Canada

(2)
(3)

iii

RÉSUMÉ

Cette étude porte sur la pratique ecclésiale d’éducation civique et électorale à travers le programme d’éducation civique de l’Église catholique en République démocratique du Congo. La recherche-action menée dans sept communautés ecclésiales de base de la pa-roisse Sacré-Cœur de Shabunda, dans la province du Sud-Kivu, a permis d’identifier des pratiques d’engagement sociopolitique développées par ces communautés à partir ou en fonction du programme d’éducation civique déployé par l’Église depuis 2004. L’analyse des opinions des participants à l’enquête et la lecture du Manuel de référence ont fait res-sortir six principales catégories et trois processus qui permettent d’identifier les acquis ma-jeurs, les forces, les faiblesses et les limites de ce programme et de suggérer des améliora-tions en vue d’un programme futur. Si la pertinence de la pratique et du programme d’éducation civique de l’Église congolaise ne fait aucun doute, cette pratique et ce pro-gramme doivent être améliorés, afin de répondre le mieux possible au besoin de libération exprimé par les bénéficiaires. Le contenu devrait s’articuler autour de la question du pou-voir et de l’autorité, dont la recherche a mis en lumière la place centrale dans la crise con-golaise. L’État de droit, que souhaite et recherche l’Église à travers sa pratique d’éducation civique, ne sera possible en RDC que lorsque les gouvernants congolais accepteront de pas-ser de l’exercice du pouvoir comme domination au pouvoir comme pas-service. Pour les aider à faire ce passage, la pratique ecclésiale d’éducation civique amènera les bénéficiaires du programme à rencontrer Jésus-Christ, Serviteur et Libérateur des hommes, à se laisser transformer par lui et à devenir, comme lui, des serviteurs et des libérateurs de leurs frères et sœurs. L’éducation civique ne viserait plus uniquement la connaissance des droits et des devoirs du citoyen ; elle deviendrait une sequela Christi conduisant chaque bénéficiaire du programme, devenu un alter Christus, à actualiser au quotidien le souvenir libérateur de la mort-résurrection de Jésus-Christ. Quant à la mise en route du programme amélioré, à éla-borer à partir d’en bas, l’Église devrait accorder une plus grande place aux communautés ecclésiales, prévoir un mécanisme de suivi et des indicateurs pour une évaluation objective.

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ABSTRACT

This study focuses on the civic education program of the Catholic Church in the Democrat-ic RepublDemocrat-ic of Congo (DRC). The action research conducted in seven BasDemocrat-ic Ecclesial Communities of the Sacré-Coeur parish in Shabunda, located in the South Kivu province, enabled to identify practices of socio-political engagement developed by these communities either from or related to the civic education program deployed by the Church since 2004. Both the analysis of the survey participants’ views and the reading of the Manuel de

réfé-rence (Referéfé-rence Manual) have resulted into six principal categories and three procedures.

The research has allowed to identify main assets, strengths, weaknesses, and limitations of the civic education program and thereby to suggest improvements for the future of the pro-gram. Even though the relevance of both the program and the education practice is not questioned, they (practice and program) need, however, to be enhanced in order to ade-quately respond to the need of liberation, as expressed by their beneficiaries. The compo-nent should hinge on issues of power and authority, which the research findings have re-vealed to be key in the Congolese crisis. The prerequisite of the rule of law, as longed and sought by the Church through its practice of the civic education, in the DRC, lies in the following principle: the Congolese governing authorities should exercise their power for service rather than domination. To ensure that this principle is implemented, the ecclesial practice of the civic education will bring the beneficiaries of the program to meet Jesus Christ, servant and liberator of humans, to let themselves be transformed by Him and to become, as Him, servants and liberators of brothers and sisters. The aim of the civic educa-tion will not only be for the knowledge of citizens’ rights and responsibilities, but will be-come a sequela Christi, leading each beneficiary of the program, who have now bebe-come

alter Christus, to daily recall the liberating memory of Jesus-Christ’s death and

resurrec-tion. Concerning the implementation of the improved program, which needs to be devel-oped from the grassroots, the Church should give greater place to ecclesial communities, plan monitoring follow-up mechanism, and provide indicators for objective evaluations.

(5)

TABLE DES MATIERES

RÉSUMÉ ... iii

ABSTRACT ... iv

LISTE DES ABRÉVIATIONS ... ix

DÉDICACE ... xi

REMERCIEMENTS ... xii

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE UN. CONTEXTE SOCIOPOLITIQUE ET DÉFIS DE L’ÉDUCATION CIVIQUE EN RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO ... 12

1. Bref aperçu de l’évolution sociopolitiquede la RDC ... 13

1.1. Rendez-vous manqués ou espoirs gâchés ... 13

1.2. Le processus de paix et la deuxième période de transition ... 20

1.3. L’amnésie collective, un fléau national en RDC ... 22

2. Quelques traits marquants de la vie politique en RDC, autant de défis pour l’éducation civique. ... 26

2.1. Le vagabondage politique ou l’absence de convictions politiques solides ... 27

2.2. L’accaparement ou la manie de gouverner sans rendre de compte ... 30

2.3. Le syndrome d’Adam et Ève ... 32

2.4. La violence comme mode d’acquisition et de conservation du pouvoir ... 37

2.5. L’enrichissement illicite ou moralement condamnable ... 39

2.6. Le culte de la personnalité ... 42

CHAPITRE DEUX. L’ÉGLISE CATHOLIQUE ET L’ENGAGEMENT SOCIOPOLITIQUE EN RDC ... 48

1. L’engagement sociopolitique de l’Église depuis Vatican II ... 51

1.1. L’Église et son magistère ... 51

1.2. Vatican II et l’engagement sociopolitique de l’Église ... 53

1.3. L’engagement sociopolitique de l’Église dans quelques encycliques et exhortations post-synodales ... 55

2. L’Église catholique de la RDC et l’engagement sociopolitique ... 62

2.1. L’épiscopat de la RDC et l’engagement sociopolitique de l’Église ... 63

2.2. Un programme ecclésial d’éducation civique ... 68

(6)

CHAPITRE TROIS. SERVIR EN TEMPS DE GUERRE. LE MILIEU DE

SHABUNDA ET MON RÔLE EN TANT QUE PRÊTRE ... 79

1. Une région au cœur des conflits, Shabunda ... 83

1.1. La région ... 83

1.2. La conception traditionnelle lega de Dieu et de l’homme ... 85

1.3. Shabunda-mission : les Nyanguba et les Mupe ... 88

2. Se découvrir par et dans l’interaction pastorale ... 91

2.1. Être prêtre pendant la guerre ... 91

2.3. Nouvelle expérience, mêmes défis ... 95

2.4. De la pastorale des urgences à la pastorale d’ensemble ... 97

2.5. Faire bouger la « machine » pastorale ... 98

CHAPITRE QUATRE. LE PROGRAMME D’ÉDUCATION CIVIQUE SOUS ENQUÊTE ... 104

1. La mystique d’engagement et le programme d’éducation civique et électorale ... 105

1.1. Contexte d’émergence de la mystique de l’engagement et du programme ... 105

1.2. Justification du programme d’éducation civique et électorale ... 107

1.3. Les objectifs du programme d’éducation civique et électorale ... 110

1.4. Les destinataires du programme ... 111

1.5. Le contenu du programme d’éducation civique et électorale ... 112

1.6. Les modalités de la mise en marche du programme ... 114

1.7. Analyse de l’horizon théologique du programme d’éducation civique et électorale ... 114

2. La recherche-action comme méthode d’enquête ... 115

2.1. Justification du choix de la méthode ... 115

2.2. Définition et origine de la recherche-action ... 116

2.3. Fondements épistémologiques de la recherche-action ... 117

2.4. Catégories et concepts de la recherche-action ... 118

2.5. Portée théologique de la recherche-action ... 119

2.6. Le processus ou déroulement de la recherche-action ... 121

3. Mise en œuvre de l’enquête ... 123

3.1. Annonce de la recherche ... 124

3.2. Recrutement des participants ... 124

3.3. Les séances de travail ... 127

(7)

3.5. Deuxième phase de la cueillette des données ... 128

3.6. La consultation au niveau national ... 131

3.7. Le nombre des rencontres et le nombre des participants à la recherche ... 132

CHAPITRE CINQ. DES OBJECTIFS PRÉVUS AUX CONSTATS INATTENDUS ... 135

1. D’un double mode d’analyse à deux pistes d’exploration ... 136

1.1. Un double mode d’analyse ... 136

1.2. Deux pistes d’exploration ... 137

2. Catégorisation et analyse des opinions des participants à la recherche ... 139

2.1. Premier objectif : les pratiques d’engagement ... 139

2.2. Deuxième objectif de la recherche : les acquis du programme ... 144

2.3. Troisième objectif : forces, faiblesses et limites du programme ... 146

2.4. Quatrième objectif : justification théologique ... 150

2.5. Cinquième objectif : amélioration du programme ... 151

3. Analyse des processus perceptibles dans le corpus ... 153

3.1. Le processus d’élaboration du programme ... 153

3.2. Le processus de déploiement du programme sur le terrain ... 154

3.3. Le processus de suivi et évaluation du programme ... 155

3.4. Le processus d’engagement sociopolitique des communautés ecclésiales ... 156

CHAPITRE SIX. DES RÉSULTATS PRÉSENTÉS À LA CONSTRUCTION DU SENS ... 159

1. Six catégories dans une dynamique d’ensemble ... 159

1.1. La connaissance de la loi et la réconciliation ... 161

1.2. La justice et la paix ... 168

1.3. Le développement ... 171

1.4. La formation ... 174

2. De haut en bas et de bas en bas ... 178

2.1. Le processus d’élaboration du programme ... 179

2.2. Le processus de déploiement du programme ... 182

2.3. Le processus d’engagement sociopolitique des communautés ecclésiales de base . 187 3. Du « bonjour » à « la paix soit avec vous » ... 191

(8)

CHAPITRE SEPT. POUVOIR ET AUTORITÉ AU SERVICE DE LA NATION ... 197

1. Une crise aux facteurs multiples ... 199

2. De la Rome antique aux pratiques congolaises ... 202

2.1. Deux paradigmes pour un choix décisif ... 203

2.2. Max Weber ou le pouvoir comme Bulamatari ... 204

2.3. Hannah Arendt et le chef Muhudumu ... 209

3. Repartir du Christ pour un Congo plus beau qu’avant ... 214

4. Plus qu’un modèle à imiter ... 217

5. Serviteurs comme lui ... 219

6. Une mémoire double et dangereuse ... 220

7. Sortir de l’objectivation ... 222

8. Une éducation civique pyramidale ... 223

9. Un décentrement indispensable ... 225

10. À théologie nouvelle, ecclésiologie nouvelle ... 227

11. Des raisons d’espérer ... 231

CONCLUSION ... 238

(9)

LISTE DES ABRÉVIATIONS

ABAKO : Association des Bakongo ABAKO : Alliance des Bakongo

ADR : Action pour la détraumatisation et la réconciliation AKC : Alliance Kivu Congo

ASDI : Association sportive et de développement intégré AT : Ancien testament

CAEK : Centre des archives ecclésiastiques Abbé Stefano Kaoze

CARTEC : Coordination des actions pour la réussite de la transition de l’Église catholique CDJP : Commission diocésaine Justice et Paix

CEDAF : Centre d’étude et de documentation africaine CEJP : Commission épiscopale Justice et Paix

CEMUBAC : Centre scientifique et médical de l’Université libre de Bruxelles pour ses activités de coopération

CEPROCE : Centre pour la promotion de la culture et l’éducation CENCO : Conférence épiscopale nationale du Congo

CERUL : Comité d’éthique de la recherche de l’Université Laval CEVB : Communauté ecclésiale vivante de base

CEZ : Conférence épiscopale zaïroise

CPJP : Commission paroissiale Justice et Paix

COBELMIN : Compagnie belge d’entreprises minières

CONAKAT : Confédération des associations tribales du Katanga EIC : État indépendant du Congo

FCK : Facultés catholiques de Kinshasa

ISDR : Institut supérieur de développement rural ISP : Institut supérieur pédagogique

ISTM : Institut supérieur des techniques médicales MNC : Mouvement national congolais

NT : Nouveau testament

ONG : Organisation non-gouvernementale ONU : Organisation des Nations Unies

(10)

QDA : Qualitative date analysis

UPCO : Union des progressistes congolais UML : Université du Moyen Lwalaba

(11)

DÉDICACE

À titre posthume, je dédie cette thèse à mamu Agnès Mbuyi Milambo, religieuse francis-caine du Saint Esprit. Paix et joie dans l’éternité du Seigneur.

(12)

xii

REMERCIEMENTS

Ce travail est l’aboutissement de plusieurs années de maturation humaine, chrétienne et sacerdotale durant lesquelles de nombreuses personnes m’ont apporté leur aide. Ajoutés aux miens, leurs efforts combinés m’ont permis d’avancer, à travers vents et marées, sur le chemin de la foi et de la connaissance scientifique. La réalisation de cette thèse est, pour moi, la meilleure manière de remercier ces innombrables bienfaiteurs, dont certains sont maintenant décédés, et de rendre grâce au Dieu de Jésus-Christ qui les a mis sur ma route. Je pense à ma mère Agathe Bimwana Muwinyegwe, à ma tante paternelle Mariamu Bitan-galo, à tous les Banitula, à l’ensemble du clan Banga et à chacun des habitants de la plus prestigieuse ville du Sud-Kivu : Shabunda wa mingazi, Sha’da pour les intimes. Au sein de cette population des braves, à laquelle je suis très fier d’appartenir, une mention spéciale revient aux membres de mon équipe de recherche et aux communautés ecclésiales de base qui ont participé, avec engouement et générosité, à la recherche-action qui a nourri cette étude.

Un remerciement particulier à Monseigneur Théophile Kaboy, évêque de Goma, avec le-quel j’ai partagé les joies et les peines pastorales à Kasongo. Grâce à cette expérience, j’ai appris à aimer l’Église au-delà du paraître et à assumer librement des choix difficiles. Je remercie tout le clergé du diocèse de Kasongo, en particulier les communautés sacerdotales de Shabunda et de Kalima qui m’ont accueilli pendant mes séjours de recherche. Je sou-haite que le fruit de ce travail devienne, pour l’Église de Kasongo et son nouvel évêque, Mgr Placide Lubamba, un précieux outil de pastorale sociale. Je suis également très recon-naissant envers Monseigneur Melchisédech Sikuli, qui a été administrateur apostolique de Kasongo, pour ses multiples encouragements.

L’accueil que j’ai reçu au diocèse de Trois-Rivières m’a permis de m’intégrer rapidement dans la vie ecclésiale du Canada. Je remercie de façon particulière Monseigneur Martin Veillette, évêque émérite, son successeur Monseigneur Luc Bouchard, le clergé local, les permanents du Centre diocésain de pastorale et la très sympathique communauté chrétienne de la cathédrale de Trois-Rivières. Plus qu’un lieu d’accueil, j’ai trouvé dans l’Église de

(13)

Trois-Rivières une famille et des amis. À tous et à chacun, un grand merci du fond du cœur. J’ai également bénéficié de l’attention de plusieurs familles, notamment la famille Munye-ma de Montréal ; la famille Kitalebe, la famille Mungombe et la famille Kambale de Qué-bec ; la famille Bazuzi d’Ottawa ; la famille Banangongo de Victoriaville ; la famille Mi-rindi, la famille Marc Nzobonihankuye et la famille Evouna de Trois-Rivières ; la famille Wabusungu de Moncton et la famille Okito de Toronto.

Je m’en voudrais de ne pas mentionner certains confrères, collègues de promotion et amis, dont l’apport m’a permis d’avancer dans la préparation de ma thèse : les abbés Richard Rivard, Alain De Maere, François Gravel, Benoit Matiri, Louis Pronovost, Jean-Yves Mar-chand, Georges-Marie Angoran, Jean Arvisais, Moïse Mayindou, Paul Akpa et Jean-Paul Isoloke ; la communauté des Filles de Jésus de Trois-Rivières et les Pauvres de saint Fran-çois ; le couple Marie-Geneviève et Jean-Pierre Lemay, le couple Linda et Paul Denis Bel-lemare, le couple Honoré et Georgette Assandé ; Marie Nyange Ndambo, Jean-Paul Alia-mutu, Brice Mpiaka, Cindy Kra, Marie-Josée Dambana, Joseph Biyaga III, Louisa Blair et Michel Nolin. Dans cette catégorie se trouvent aussi la famille du Mwami Mopipi Mu-kulumania, la famille Assani Kumwimba, la famille Wessa Bezikyumo, la famille Maghene de Goma, la famille Matenda Kyelu, la famille Kisoki Sumaili, ainsi que mes très précieux collègues et amis de l’Alliance Kivu asbl : Guillaume Bonga Laisi, Charles Nalwango, Nel-ly Mercier, Nathalie Dekeyser, Roland Graas, Bernard Deharre, Olivier Beaujean, Degives Bertrand, Miranda Vanreck et Hansueli Homberger.

Sans un accompagnement académique rigoureux, cette thèse n’aurait jamais vu le jour. C’est donc avec un cœur plein d’admiration que je remercie mon directeur de recherche, le professeur Robert Mager, qui a accepté de diriger ce travail et l’a fait avec une assiduité empreinte d’humanité et de foi. Sa remarquable disponibilité, ses pertinentes observations, son âme d’artiste et son esprit d’humour ont beaucoup allégé les difficultés rencontrées, rendant moins stressante une tâche qui paraissait titanesque. Je lui en suis très reconnais-sant. Je remercie également le professeur Gilles Routhier, doyen de la faculté, le corps en-seignant et tout le personnel administratif de la Faculté de théologie et de sciences reli-gieuses de l’Université Laval, avec une mention spéciale pour le professeur Marc Pelchat et

(14)

pour monsieur Denis Tougas, qui ont siégé sur mon comité d’encadrement. Un grand merci aussi à Yvon Paillé, du cercle Est-Ouest de Trois-Rivières, qui a accepté de relire ce texte. Je ne peux terminer ces remerciements sans saluer l’amitié et le soutien de mon frère et ami, Monseigneur Sébastien-Joseph Muyengo, évêque d’Uvira, de l’abbé Charles Bilembo Bubobubo et du professeur Charles Djungu Simba Kamatenda. Qu’ils trouvent dans cette thèse l’expression de toute ma reconnaissance, pour leur amour de la culture lega et de l’Église. « Amen ! Louange, gloire, sagesse et action de grâce, honneur, puissance et force à notre Dieu, pour les siècles des siècles ! Amen ! » (Ap 7,12)

(15)

1

INTRODUCTION

La République démocratique du Congo (RDC) est un pays de contrastes. Qualifiée de « scandale géologique1 », à cause de ses innombrables ressources minières, sa population est aujourd’hui parmi les plus pauvres du monde2. Plus grand pays de la région des Grands Lacs africains de par sa superficie, son potentiel économique et son poids démographique, elle est depuis deux décennies malmenée par de petits États voisins3, qui s’acharnent sur elle comme des vautours ravageant la carcasse d’un fauve. Sa classe politique est d’une ferveur religieuse insatiable, mais la gestion du pays ne reflète pas un engagement consé-quent à la suite du frère des pauvres et des petits (Mt 25, 40.45), Jésus-Christ, « Lumière née de la lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu » (Symbole de Nicée-Constantinople). Le moins que l’on puisse dire, c’est que la République démocratique du Congo va mal, très mal.

Dans ce contexte de chaos et de désespoir, interpellée par la souffrance et les cris de dé-tresse des populations, l’Église catholique s’est illustrée par un engagement social remar-quable, en palliant l’absence de l’État dans des secteurs vitaux comme l’éducation, la santé, la pacification, l’agriculture et l’entretien des routes. En plus de gérer des œuvres sociales qui viennent en aide aux plus démunis, elle s’est impliquée dans le processus de démocrati-sation, devenant un des acteurs majeurs de la longue transition politique qui a duré de 1990 à 2003. Parmi les lieux de cette participation de l’Église à la politique active en RDC, les

1 Cette expression est utilisée entre autres par Vital Kamerhe, Les fondements de la politique transatlantique

de la République Démocratique du Congo. La République Démocratique du Congo, terre d’espoir pour l’humanité, Bruxelles, Éditions Larcier, 2011, p. 109.

2 Le Rapport sur le développement humain (Indice de Développement Humain) 2013, établi par le

Pro-gramme des Nations Unies pour le Développement, place la RDC et le Niger au dernier rang mondial. Ces données peuvent être consultées sur www.pnud.org (15/03/2014).

3 Plusieurs rapports des Nations Unies et des organisations non-gouvernementales ont démontré l’implication

du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi dans les guerres et l’exploitation illégale des ressources naturelles de la RDC. Nous pensons notamment au rapport mapping publié en août 2010 et au rapport du groupe d’experts dirigé par Steven Hage transmis au Conseil de sécurité le 12 octobre 2012. Ces rapports peuvent être consul-tés sur www.ohchr.org/Documents/Countries/ZR/DRC (consulté le 15 mars 2014).

(16)

plus importants me semblent être : la Conférence nationale souveraine (CNS)4 et le Haut conseil de la république parlement de transition (HCRPT), présidés tous les deux au début des années 1990 par l’actuel cardinal Laurent Monsengwo Pasinya5 ; le dialogue inter-congolais tenu à Sun City, en Afrique du Sud, du 25 février au 19 avril 20026 ; le parlement de transition et les institutions d’appui à la démocratie, mis en place à la suite de la signa-ture de l’accord global et inclusif adopté à Sun City le 1er avril 20037 ; l’organisation des élections législatives et présidentielles de 2006 et de 20118.

Cet engagement de l’Église catholique sur la scène politique congolaise, souhaité et même réclamé par nombre de Congolais9, suscite cependant beaucoup d’interrogations. Comment se fait-il que, dans un pays constitutionnellement laïc, l’Église interfère de manière aussi flagrante dans la gouvernance politique de l’État, qui plus est par l’entremise des évêques et des prêtres, alors que, selon Gaudium et Spes (GS), c’est aux laïcs que reviennent à pro-prement parler « les professions et les activités séculières » (GS 43) ? Plus d’un siècle après le début de la deuxième évangélisation du pays (1880), et plus d’un demi-siècle après son accession à l’indépendance (1960), doit-on considérer comme une marque de confiance envers l’Église catholique, ou plutôt comme un échec de son action missionnaire, que la population congolaise demande à des prêtres et à des évêques de s’engager dans la politique active ?

4 Conférence tenue à Kinshasa, capitale de la RDC, du 7 août 1991 au 06 décembre 1992. Gauthier De Villers

et Jean Omasombo Tshonda, Zaïre, La transition manquée : 1990-1997, Tervuren, Institut Africain-CEDAF, 1997.

5 Lire à ce sujet Godé Iwele, Mgr Monsengwo acteur et témoin de l'histoire, Louvain-la-Neuve, Duculot,

1995.

6 Sur ce dialogue, lire Pierre-Anatole Matusila, Dialogue Intercongolais. De Sun City I à Sun City II.

Preto-ria : étape décisive, Kinshasa, Éditions Isidore Bakanja, 2003 ; Paule Bouvier, Le dialogue intercongolais. Anatomie d'une négociation à la lisière du chaos. Contribution à la théorie de la négociation. En collabora-tion avec Francesca Bomboko, Paris, L’Harmattan, 2004.

7 La conférence épiscopale nationale a autorisé des prêtres, religieux et religieuses à siéger comme députés,

sénateurs ou membres d’une institution d’appui à la démocratie de 2003 à 2006.

8 La Commission électorale est dirigée par l’abbé Apollinaire Malumalu, de 2003 à 2011 et une deuxième fois

depuis 2013. La première fois avec l’accord de la conférence épiscopale, la deuxième avec l’accord tacite de son évêque. Un prêtre du diocèse de Kananga, l’abbé Banyinkela, s’est présenté comme candidat à la prési-dentielle de 2006 contre l’avis de la Conférence des évêques et son évêque l’a suspendu par la suite.

9 Lors des conférences-débats auxquelles j’ai participé en RDC, en Belgique, en Suisse, en Allemagne et au

Canada, une partie des intervenants non seulement soutenait cette intervention mais souhaitait que l’Église dirige le pays pour le sortir de la crise. Certains membres de l’Association des Congolais de Québec et des étudiants congolais de l’Université Laval soutiennent cette option.

(17)

Ces questions invitent à la réflexion car, au-delà de l’efficacité, c’est-à-dire des résultats obtenus, c’est la pertinence, la raison de l’engagement politique de l’Église catholique con-golaise qu’il faut examiner. Dans un pays laïc comme la RDC, la séparation de l’Église et de l’État oblige l’Église, particulièrement ses ministres ordonnés, à s’abstenir de s’engager dans la politique active. Si, selon Apostolicam Actuositatem (AA), « les laïcs doivent assu-mer comme leur tâche propre le renouvellement de l’ordre temporel » (AA 7), pourquoi les fidèles catholiques congolais n’arrivent-ils pas à assumer convenablement cette tâche ? Selon le concile Vatican II, « c’est le travail de toute l’Église de rendre les hommes ca-pables de bien construire l’ordre temporel et de l’orienter vers Dieu par le Christ » (AA 7). L’Église congolaise rend-elle ses fidèles suffisamment capables de bien construire en RDC un ordre temporel orienté vers Dieu ? Existe-t-il un lien de causalité entre l’incapacité des gouvernants congolais, qui sont en majorité des fidèles catholiques, et la manière dont l’Église congolaise forme ses fidèles, les responsabilise et les accompagne dans la construc-tion d’un ordre temporel orienté vers Dieu ? Si oui, à quel niveau cette causalité se situe-t-elle ?

Je ne suis pas le seul à me poser de telles questions. Depuis le début du processus de démo-cratisation en 1990, un débat passionné se déroule au sein de l’Église de la RDC sur la per-tinence et l’efficacité de son engagement sociopolitique. Il s’agit d’un débat officieux, dans la mesure où il n’a jamais fait l’objet d’une annonce ou d’une tenue officielle de la part de l’Église. Organisé dans les paroisses, les mouvements d’action catholique, les écoles et universités catholiques et les assemblées des évêques, il prend des formes diverses : confé-rences-débats, journées de réflexion, séance de concertation, ateliers de formation, col-loques, etc. Le caractère officieux et multiforme de ce débat rend difficile sa schématisation et l’analyse de ses résultats. Une chose est cependant sûre : comme à l’époque de l’ouvrage marquant Des prêtres noirs s’interrogent10, l’Église congolaise se questionne sérieusement sur la manière d’aider ses fidèles à renouveler le temporel suivant l’esprit de l’Évangile, et le débat sur cette question est loin d’être terminé.

10 Titre d’un ouvrage publié en 1956 par treize prêtres africains et haïtiens, parmi lesquels le Congolais

(18)

Sur cette question, de façon générale, on peut dire que deux courants traversent actuelle-ment l’Église congolaise. Le premier, dont les membres pourraient être qualifiés de « con-servateurs », soutient que l’Église n’a pas à s’occuper des questions politiques, son rôle étant de prêcher l’Évangile, de conférer les sacrements, de prier pour la nation et d’appeler les Congolais à la conversion des cœurs. À l’opposé, ceux que j’identifie comme « progres-sistes » croient que l’Église doit s’impliquer profondément dans la gestion politique. Étant la première force sociale du pays et ne pouvant pas pallier indéfiniment l’absence de l’État, l’Église doit travailler activement à la restauration de l’autorité de l’État et à l’avènement d’un véritable État de droit en RDC. Quant à la manière dont elle devrait s’y prendre, deux positions émergent également. Des personnes souhaitent voir l’Église catholique prendre le pouvoir et gérer le pays pendant une période de transition, afin de restaurer rapidement l’autorité de l’État. Pour ces personnes, la corruption de la classe politique actuelle et son incapacité à redresser la situation socioéconomique font qu’il devient impossible de faire confiance aux hommes et aux femmes qui la composent. Confier les rênes du pays à un évêque ou à un prêtre permettrait de doter la RDC d’un leadership responsable qui lui manque cruellement. Cette stratégie est soutenue par les « progressistes » tandis que les « conservateurs » s’y opposent. Ces derniers prônent plutôt la stratégie de la moralisation et de l’éducation civique, dans le but d’éveiller les consciences et de générer un changement de mentalité au sein de la société congolaise. Entre ces deux extrêmes, il existe certaine-ment un continuum de positions intermédiaires. Même s’il est difficile de savoir où en est exactement ce débat aujourd’hui, à cause de son caractère officieux, tout porte à croire que la deuxième tendance, la tendance conservatrice, a été préférée par l’épiscopat congolais qui, en juillet 2003, a mis de l’avant l’option pastorale de la « mystique de l’engagement11 ». C’est de cette option, et dans ce contexte, qu’est né le programme d’éducation civique et électorale sur lequel porte ma recherche.

11 CENCO, Manuel de référence d’éducation civique et électorale. Tome I modules I à IV, Kinshasa,

(19)

L’objectif annoncé de ce programme est de rendre les fidèles catholiques capables « de faire un lien fondamental entre leur foi et leur engagement dans l’édification d’un État de droit en RDC12 ».

À la suite de cet objectif, pour faire advenir cet État de droit en RDC, l’Église n’a cessé de mettre l’accent sur le rétablissement des institutions républicaines animées par des autorités élues démocratiquement. D’où l’importance qu’elle accorde à l’organisation d’élections libres et transparentes. Dans sa présentation, le Manuel de référence d’éducation civique et

électorale reflète clairement cette option. Le premier tome (173 pages) comporte quatre

modules portant sur des thèmes différents, tandis que le deuxième tome (166 pages) n’est constitué que d’un seul module, le module V, entièrement consacré aux élections. Il y a lieu de penser que, selon l’Église, non seulement l’organisation des élections et l’installation des autorités légitimes devraient-elles permettre de restaurer l’autorité de l’État, mais elles devraient aussi garantir l’avènement d’un État de droit en RDC.

Sans mettre en doute ni l’importance du programme ni la pertinence de ses objectifs, je m’interroge sérieusement sur la posture d’analyse prise par l’Église. En lisant le Manuel de

référence du programme, c’est comme s’il y avait dans la société congolaise d’un côté

l’Église, sainte et porteuse de la « mystique démocratique13 » et, de l’autre, tous les cœurs endurcis, en particulier la classe politique, qui n’écoutent pas ce que dit l’Église, mater et

magistra, qui se définie dans le Manuel de référence « comme une Église qui se veut fidèle

à Dieu et engagée dans l’histoire de notre pays14 ». Est-ce vraiment, pour l’Église catho-lique de la RDC, la meilleure manière d’aborder un problème aussi complexe que la crise sociopolitique que connaît ce pays depuis des décennies ? N’a-t-elle pas sa part de respon-sabilité dans l’échec de l’ensemble de la société congolaise à construire un État de droit ? Je m’interroge également sur la vision de l’Église selon laquelle l’absence d’un État de droit serait la cause principale de la crise sociopolitique qui ravage la RDC.

12 Ibid., p. 12. 13 Ibid., p. 20. 14 Ibid., p. 18.

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L’absence de l’État ne serait-elle pas une conséquence de quelque chose de beaucoup plus profond sur lequel l’Église devrait travailler, pour faire advenir un État de droit en RDC ? Il s’agit là de vastes questions qu’il importe d’aborder à partir d’un point d’ancrage précis. C’est pourquoi la présente étude portera sur la pratique ecclésiale d’éducation civique et les pratiques d’engagement sociopolitique des communautés ecclésiales de base à travers le programme le programme élaborée à cette fin par l’Église catholique de la RDC. Dans la perspective d’une recherche en théologie pratique, j’aborderai les questions posées en cen-trant mon attention sur la mise en œuvre et sur les effets du programme d’éducation civique dans mon milieu, à savoir la cité de Shabunda, au Sud-Kivu, dans l’Est du pays. Outre ma connaissance intime de ce milieu, le choix de Shabunda prend un sens particulier, dans la mesure où cette région, comme bien d’autres à l’Est de la RDC, a particulièrement souffert de la déliquescence de l’État, de l’anarchie et des affres de la guerre.

Ma recherche sera ainsi centrée sur cette question directrice : « En quoi le programme d’éducation civique de l’Église catholique favorise-t-il, au sein des communautés ecclé-siales de base, des pratiques d’engagement sociopolitique qui contribuent à la construction d’une société de justice, de paix et de développement en République démocratique du Con-go ? » Pour répondre à cette question, je me suis fixé cinq objectifs :

1. Identifier et analyser les pratiques d’engagement sociopolitique élaborées par les communautés ecclésiales de base de Shabunda (Sud-Kivu), à partir ou en fonction du programme d’éducation civique de l’Église catholique, pour promouvoir la jus-tice, la paix et le développement dans leurs milieux de vie ;

2. Évaluer l’impact du programme d’éducation civique de l’Église sur l’engagement sociopolitique des communautés ecclésiales, en déterminant avec les bénéficiaires les acquis majeurs du programme ;

3. Dégager la perception que les communautés ecclésiales de base ont de ce pro-gramme, en relevant ses forces, ses faiblesses et ses limites, aussi bien dans son contenu (fond) que dans son déploiement (forme) ;

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4. Appréhender la justification théologique que les concepteurs et les bénéficiaires du programme donnent à leur engagement sociopolitique dans la société congolaise ; 5. Proposer des améliorations au programme d’éducation civique de l’Église, pour

ren-forcer les pratiques d’engagement des communautés ecclésiales de base dans la promotion de la justice, de la paix et du développement au Congo.

Le programme d’éducation civique et les pratiques qui en découlent, sur lesquelles est cen-trée ma recherche, font partie de l’engagement sociopolitique de l’Église catholique de la RDC. Cet engagement est tellement intense, complexe et multidimensionnel qu’il pourrait être étudié sous plusieurs angles. Il est ainsi possible de l’étudier à partir des relations entre l’Église et la classe politique congolaise. L’accent est alors mis sur les relations des membres de l’Église, notamment les évêques et les prêtres, avec certaines autorités poli-tiques, en supposant que ces relations ont un impact négatif sur la situation sociopolitique que connaît le pays. Je n’adopterai pas cet angle d’analyse, parce qu’il me semble relever, non pas de l’ecclésiologie, qui est mon champ de recherche, mais de la sociologie politique, en ce qu’il aide à mieux comprendre les enjeux sociopolitiques et les logiques de pouvoir sur la scène politique congolaise15. Une autre manière d’étudier l’engagement

sociopoli-tique de l’Église congolaise serait de focaliser la recherche sur le contenu des messages, lettres pastorales et déclarations de la Conférence épiscopale nationale. Ceci permettrait d’en retracer le mode de construction et le soubassement théologique, de marquer les points de rupture et de continuité, mais surtout de dégager les forces et les faiblesses de l’engagement de l’Église. Ce ne sera pas mon choix parce que, dans le cadre d’un doctorat en théologie pratique, je ne peux me contenter de traiter l’engagement sociopolitique de l’Église à partir des discours. Ce ne sont pas les discours seuls mais des discours rattachés à des pratiques sur un terrain d’intervention déterminé qui intéressent cette branche de la théologie. La théologie pratique est une théologie des pratiques, c’est-à-dire une réflexion théologique qui part d’une pratique donnée pour aboutir à une pratique renouvelée. « Se

15 Lire à ce sujet : Dominique Colas, Sociologie politique, Paris, Presses universitaires de France, 2002 ; Max

Weber, Le Métier et la vocation d’homme politique, Paris, Plon, 2001 ; Michel Offerle, La profession poli-tique. XIXe-XXe siècles, Paris, Belin, 1999.

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situant comme une spécialité à l’intérieur d’un ensemble, d’un organon théologique, la théologie pratique fait large part à l’analyse des pratiques et des situations et inscrit un dis-cours théologique dans des contextes précis, dans une sorte de va-et-vient entre condition humaine et contexte particulier, activité ecclésiale et message de Jésus-Christ16. »

C’est donc à partir des pratiques que je vais étudier l’engagement sociopolitique de l’Église de la RDC. Mais, ces pratiques peuvent, elles aussi, être étudiées sous plusieurs angles. Par exemple, en considérant les pratiques d’engagement au niveau de chaque fidèle catholique. On peut estimer comme John Milbank, citant Troeltsch, que « le Christianisme était aux origines, avec Jésus, une philosophie éthique individualiste. Ce n’est qu’avec Paul que sont apparus les premiers éléments “organicistes” (le “corps du Christ”)17 ». La théologie chré-tienne considère que chaque baptisé est configuré au Christ et, de ce fait, est incorporé à l’Église dont il partage la mission dans le monde. Si le baptême régénère le baptisé en le purifiant du péché originel, la conduite de tout baptisé, devenu un alter Christus, engage inévitablement sa responsabilité comme membre du corps du Christ. Cette piste, bien qu’intéressante, a cependant le désavantage de ne pas faire ressortir la dimension institu-tionnelle de l’Église congolaise. Il serait également possible d’étudier les pratiques d’engagement de l’Église à partir des pratiques des communautés ecclésiales de base, où des hommes et des femmes « qui accueillent avec sincérité la Bonne Nouvelle, par la force de cet accueil et de la foi partagée, se réunissent donc au Nom de Jésus pour chercher en-semble le Règne, le construire, le vivre18 ». Cette approche aurait l’avantage de ramener au premier plan l’exemple des communautés chrétiennes primitives, et d’aborder les pratiques de l’Église congolaise au « niveau le plus pratique » de la foi chrétienne qu’est le témoigne d’une vie fraternelle des disciples du Christ. Malheureusement, comme pour le niveau indi-viduel, les pratiques des communautés ecclésiales ne peuvent pas non plus, à elles seules, permettre de saisir le rôle de l’Église catholique comme une institution jouant un rôle

16 Fritz Lienhard, La démarche de théologie pratique. Théologies pratiques, Bruxelles, Lumen Vitae, 2006,

p. 250.

17 John Milbank, Théologie et théorie sociale. Au-delà de la raison séculière, Paris-Genève, Cerf-Ad Solem,

2010, p. 192.

18 Paul VI, Evangelii Nuntiandi. Exhortation apostolique sur l’évangélisation dans le monde moderne, Cité du

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tique majeur au sein de la société congolaise. Or, plus que chaque baptisé et chaque com-munauté ecclésiale, c’est l’engagement sociopolitique de l’Église catholique dans son en-semble que remet en question la crise sociopolitique congolaise. Je vais donc étudier la pratique ecclésiale d’éducation civique à travers le programme d’éducation civique et élec-torale de l’Église congolaise comme institution, même si mon terrain de recherche sera géographiquement limité à deux instances ecclésiales : la paroisse Sacré-Cœur de Jésus et les communautés ecclésiales de base de Shabunda, dans la province du Sud-Kivu.

Pour atteindre les objectifs spécifiques que je me suis fixés, j’ai décidé de mener une re-cherche-action à Shabunda. Le choix de cette méthode de cueillette des données a été moti-vé par mon désir de donner la parole à « l’Église d’en bas », aux hommes et aux femmes dont l’Église veut renforcer les capacités à travers le programme d’éducation civique. En plus de leur donner la parole, la recherche-action permet aussi de reconnaître des hommes et des femmes de ce terrain comme des co-chercheurs, c’est-à-dire des acteurs d’une quête objective et méthodique de la vérité. Cela signifie que, dès le départ, ils sont considérés comme étant capables d’analyser avec lucidité la crise sociopolitique dont ils subissent les conséquences au quotidien, et de proposer des solutions pertinentes pour améliorer la pra-tique ecclésiale d’éducation civique qui cherche à sortir la RDC de la crise en faisant adve-nir un État de droit.

Pour clarifier mon propos, j’expliciterai certains concepts au fur et à mesure de leur utilisa-tion. Déjà, dans le cadre de la présente étude, l’appellation « populations » s’applique avant tout aux membres des communautés ecclésiales de base, même si elle pourra aussi dési-gner, en second lieu, l’ensemble des Congolais. Et, par « communautés ecclésiales de base19 », j’entends ces petites communautés chrétiennes implantées dans des quartiers ou des villages, à un niveau hiérarchique plus bas que la paroisse, qui peut en compter plu-sieurs dizaines. Pour l’Église de la RDC, elles sont « le lieu de la vie ecclésiale dans la

19 Pour plus de détails sur les communautés ecclésiales de base lire : Pierre Lefebvre, Une église qui naît de

nouveau. Communautés de base et ministères aujourd’hui, Kinshasa, Éditions C.E.P., 1981 ; Bernard Ugeux, Les petites communautés chrétiennes, une alternative aux paroisses ? L’expérience du Zaïre, Paris, Cerf, 1988 ; Marcello de Carvalho Azevedo, Communautés ecclésiales de base : l'enjeu d'une nouvelle manière d'être Église, Paris, Centurion, 1986.

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versité des ministères, la communion et l’unité de la foi, la solidarité et le partage des biens20 ». Appelées aussi « petites communautés chrétiennes », « communautés ecclésiales vivantes » ou « communautés ecclésiales vivantes de base », les communautés ecclésiales de base sont animées par des responsables laïcs, hommes et femmes, élus pour une durée déterminée et faisant rapport de leurs activités aux membres de la communauté et à la pa-roisse. Les communautés ecclésiales de base sont une option pastorale levée par l’Église catholique de la RDC en 196121 et mise en application dans plusieurs diocèses à partir de 197422.

J’ai organisé le présent travail en sept chapitres, de dimensions inégales, agencés de ma-nière à permettre une suite cohérente dans l’évolution de ma démarche. Je commencerai par présenter le contexte sociopolitique général de la RDC au premier chapitre. Une fois préci-sé le contexte, le deuxième chapitre brossera les grandes lignes de l’engagement sociopoli-tique de l’Église congolaise, en l’inscrivant dans la longue tradition de la doctrine sociale de l’Église. Ayant ainsi déblayé le terrain, j’aborderai, dans le troisième chapitre, la ques-tion de mon terrain d’intervenques-tion et de la manière dont je me situe moi-même par rapport à la problématique de la recherche. Le quatrième chapitre sera entièrement consacré à la pré-sentation détaillée du programme d’éducation civique et électorale de l’Église sur lequel porte la recherche. Viendra ensuite, dans le cinquième chapitre, la présentation des résultats de l’enquête menée à Shabunda. Cette présentation se fera en deux temps, en passant des catégories aux processus. Il s’agira ensuite, au sixième chapitre, de discuter les résultats présentés. Cette discussion se fera en deux temps aussi, comme la présentation, mais dans une dynamique de triangulation impliquant les opinions des participants à l’enquête au ni-veau de Shabunda, des concepts théoriques et les opinions des consultants nationaux. C’est sur la base de cette discussion que je construirai, au septième chapitre, mon argumentation

20 C.E.Z., Les évêques du Zaïre en visite “ad limina” 18-30 avril 1988. Problèmes pastoraux et échange de

Discours, Kinshasa, Éditions du Secrétariat Général de la C.E.Z., 1988, n° 2§5.2.

21 Actes de la VI° Assemblée Plénière de l’Épiscopat du Congo (20 novembre -2 décembre 1961), Kinshasa,

Édition du Secrétariat Général de l’épiscopat, Congo-Léopoldville, 1961, p. 16-63.

22 Léon de Saint Moulin s.j. et Roger Gaise N’Ganzi o.p., Église et société. Le discours socio-politique des

Évêques de la Conférence Épiscopale Nationale du Congo (CENCO). Tome 1, Kinshasa, Facultés Catho-liques de Kinshasa, 1998, p. 212.

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théologique au tour des mots-clés suivants : service, sequela Christi, memoria passionis et communion.

Il importe de préciser au départ que, même si le programme d’éducation civique de l’Église et les pratiques d’engagement sociopolitique qui en découlent seront au cœur de cette re-cherche, il ne s’agira pas ici, à strictement parler, d’effectuer une évaluation formelle de ce programme en tenant compte de ses objectifs, de ses stratégies de départ, de son déploie-ment et de ses résultats dans l’ensemble du pays, ce qui supposerait une étude d’une autre nature et d’une autre ampleur. À la fin du parcours, il ne sera pas non plus proposé un pro-gramme-type d’éducation civique élaboré à partir des résultats de ma recherche. Tout le long du parcours, il sera essentiellement question de mieux cerner la pratique d’éducation civique de l’Église catholique de la RDC à travers son programme d’éducation civique et électorale, dans sa pertinence et dans son efficacité, à partir des forces, des limites et des faiblesses de ce programme, selon ce qu’en pensent les participants à l’enquête dans une petite région du pays et à la lumière de la littérature existante. Quelles capacités nouvelles le programme apporte-t-il aux communautés ecclésiales de base de Shabunda dans leur engagement sociopolitique ? Ce programme peut-il susciter des pratiques politiques pou-vant permettre l’émergence d’un État de droit en RDC ? Que faut-il faire pour améliorer la pertinence et l’efficacité de la pratique ecclésiale d’éducation civique et électorale de l’Église congolaise et du programme qui en est le cataliseur ? C’est tout cela que la présente étude se propose d’élucider à travers les sept chapitres qui la composent.

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12

CHAPITRE UN

CONTEXTE SOCIOPOLITIQUE ET DÉFIS DE L’ÉDUCATION CIVIQUE EN RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

« Ceux qui ne peuvent se souvenir du passé sont

condamnés à le répéter »

George Santayana, Vie de Raison (1905) Ce premier chapitre porte sur le contexte sociopolitique de la République Démocratique du Congo (RDC) et les défis que ce contexte pose à l’éducation civique des populations con-golaises. Il s’agit de présenter succinctement l’évolution sociopolitique récente du pays, et de relever dans cette évolution des phénomènes et pratiques qui empêchent la construction d’une nation prospère et l’instauration d’un État de droit en RDC. Cet arrière-fond me pa-raît indispensable pour mieux situer le rôle de l’Église catholique en RDC et son engage-ment dans l’éducation civique, et pour montrer combien il est nécessaire et même urgent de renouveler la pratique de l’éducation civique dans ce pays. En plus de l’introduction et de la conclusion, ce chapitre comportera donc deux parties : un rapide survol de l’évolution so-ciopolitique de la RDC et l’identification de quelques défis majeurs que l’éducation civique doit relever pour instaurer un État de droit en RDC. Les deux volets porteront sur la situa-tion générale de la RDC, vue et analysée à partir de mon terrain d’intervensitua-tion : Shabunda, dans la province du Sud-Kivu. Il y aura ainsi un va-et-vient entre des théories scientifiques générales, le contexte sociopolitique de la RDC perçu globalement et leur illustration dans le vécu des habitants de Shabunda, que j’appelle les Shabundiens.

Avant d’entamer ce long voyage, il importe de préciser qu’à travers l’histoire, le pays dont il est ici question a plusieurs fois changé de nom. Au 19e siècle, suite à la colonisation et aux manœuvres de partage du continent entre les puissances européennes, les différents royaumes ethniques de la région (luba, kuba, lunda, etc.) firent place à l’État Indépendant du Congo (1885-1908), puis au Congo-belge (1908-1960), à la République du Congo (1960-1964) et à la République populaire du Congo entre 1963-1964 (sous le gouverne-ment lumumbiste dirigé par Antoine Gizenga à Kisangani).

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Avec la constitution de Luluabourg (Kananga), le pays deviendra République Démocra-tique du Congo (1964-1971) puis Zaïre (1971-1997), avant d’être rebaptisé République Démocratique du Congo en 1997. À chaque changement de nom du pays, l’appellation de ses habitants changeait elle aussi, passant de Congolais à Zaïrois puis de Zaïrois à Congo-lais. Pour éviter toute confusion, j’utiliserai tout le long de mon travail l’appellation Répu-blique Démocratique du Congo (RDC) ou le Congo. Quant aux citoyens, je les appellerai indistinctement les Congolais.

1. Bref aperçu de l’évolution sociopolitique23 de la RDC 1.1. Rendez-vous manqués ou espoirs gâchés

L’histoire politique de la RDC pourrait se résumer en deux expressions : rendez-vous man-qués ou espoirs gâchés. Et pour cause. Dans « le discours de combat24 » qu’il prononça en réponse à l’allocution paternaliste du roi Baudouin le jeudi 30 juin 1960, jour de l’indépendance de la RDC, Patrice Lumumba, le tout premier ministre du Congo, avait rap-pelé les injustices subies par les Congolais durant l’occupation belge : « Nous avons connu le travail harassant, exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger, ni de nous vêtir ou de nous loger décemment, ni d’élever nos enfants comme des êtres chers. Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions nègres25. » Lumumba annonçait par la même occasion une ère nouvelle pour les Congolais, une ère de liberté et d’égalité, de dignité et de prospérité. D’énormes espoirs naquirent ce jour-là chez l’immense majorité de Congolais, et la RDC prenait ainsi rendez-vous avec l’histoire. Mais ce rendez-vous sera complètement manqué. Au lieu d’apporter la paix et le bonheur, l’indépendance apporta le chaos et la détérioration

23 Concernant l’évolution économique, lire entre autres : Claudine Tshimanga Mbuyi, « Évolution de la

pau-vreté en République Démocratique du Congo » dans Stephen Maryse et Jean Omasombo (dir.), Conjonctures congolaises. Chroniques et analyses de la RDC en 2011, Tervuren-Paris, Musée royal de l’Afrique centrale - L’Harmattan, 2012, p. 143-170 ; Laurent Luzolela Lola Nkakala, Congo-Kinshasa. Combattre la pauvreté en situation de post-conflit. Synergie entre l’État, le marché et le capital social, Paris, L’Harmattan, 2002 ; Banque mondiale, « République démocratique du Congo. Vue d’ensemble ». www.banquemondiale. org/fr/country/drc/overview (27/07/2014).

24 Gauthier de Villers, De Mobutu à Mobutu. Trente ans de relations Belgique-Zaïre, Bruxelles, De

Boeck-Wesmael s.a., 1995, p. 16.

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progressive des conditions d’une vie déjà précaire pour nombre de Congolais. La Première République fut une suite ininterrompue de querelles politiciennes, de conflits tribaux et de sécessions26. La destitution, l’arrestation et l’assassinat du premier ministre Lumumba plongèrent le pays dans une guerre civile meurtrière qui fit des milliers des morts27. Puis arriva ce jour du 24 novembre 1965. « À la suite d’un coup d’État, le lieutenant-général Joseph-Désiré Mobutu prend le pouvoir à Léopoldville [Kinshasa]. Tout au long de son règne qui débute, le président Mobutu s’attribuera le mérite d’avoir mis fin au désordre et à la fragmentation du pays28. » Avec Mobutu, de nouveaux espoirs naissent et un nouveau vous est pris avec l’histoire, pour la RDC et les Congolais. Ce sera un autre rendez-vous manqué. Avec l’imposition d’un parti unique, le MPR (« Mouvement populaire de la révolution ») parti-État, et la politique de l’authenticité29 mettant en avant l’autorité incon-testable du chef dans l’Afrique traditionnelle, le président Mobutu instaura en RDC une des dictatures les plus abjectes du 20e siècle30. S’il est vrai que ses premières années connurent un essor économique avéré, le règne du général qui s’est fait maréchal fut globalement un désastre pour les Congolais : détérioration du tissu économique, dilapidation des fonds dans des projets pharaoniques, corruption généralisée, détournements et impunité garantie aux voleurs, etc. Des slogans comme « objectif 80 » ou « septennat du social » ont fait rêver les Congolais mais, comme le fait remarquer Pierre Kamba : « Rien de ce qui avait été annoncé et accompli par le pouvoir n’a grandi ni fait prospérer le pays. Tout n’était qu’idéologie, mythe et mirage31 ». La mesure la plus suicidaire de Mobutu pour l’économie congolaise fut la nationalisation brutale des entreprises ou la « zaïrianisation ». Selon Cléophas Kami-tatu, cette mesure « a contribué très efficacement à ruiner ce qui restait de l’économie en-core boiteuse pour la précipiter, non pas au bord du gouffre mais au fond du gouffre32 ».

26 Pierre Kamba, Violence politique au Congo-Kinshasa, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 206.

27 André-Bernard Ergo, Congo (1940-1963). Fractures et conséquences, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 214. 28 de Villers, De Mobutu à Mobutu, p. 13.

29 Mathieu Kirongozi Bometa, De Gaulle et Mobutu. Deux figures paradoxales en quête de stabilité politique,

Paris, L’Harmattan, 2013, p. 55-61.

30 À ce sujet, lire entre autres : Évariste Tshimanga Bakadiababu, L’Occident pour ou contre la Démocratie

en Afrique. Le cas du Congo-Zaïre, Paris, L’Harmattan, 2006; Benoît Awazi Mbambi Kungua, Le Dieu cruci-fié en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 233-235.

31 Kamba, Violence politique au Congo-Kinshasa, p. 12.

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Après la chute du mur de Berlin et le déferlement du vent de la perestroïka sur l’Afrique33, les Congolais se mirent à rêver à nouveau de liberté, de justice et de prospérité, comme au jour de l’indépendance. Commença alors une contestation ouverte du régime : marches, grèves, occupations des lieux et autres moyens de pression rendirent le pouvoir de Mobutu de plus en plus instable. Pour éviter d’être emporté par cette vague de contestations, comme le fut en Roumanie son ami Nicolae Ceausescu, le président Mobutu organisa une tournée à travers le pays pour, disait-il, écouter le peuple34. Plusieurs mémorandums lui furent dépo-sés durant ces consultations populaires, dont celui des agents du ministère des Affaires étrangères et celui de la Conférence des évêques catholiques35 auquel je reviendrai plus loin. Le 24 avril 1990, le président Mobutu s’adressa à la nation pour rendre compte de ce qu’il avait entendu durant les consultations populaires. Il dissout le parti-État, annonça la démocratisation du pays et lança à cette occasion le processus de transition vers la Troi-sième République36. De nouveaux espoirs naquirent et les Congolais prirent un autre ren-dez-vous avec l’histoire. Comme les précédents, ce renren-dez-vous fut lui aussi manqué, parce que le processus de démocratisation tourna court.

Quelques semaines seulement après le début de la transition, le président Mobutu commen-ça à revenir sur les engagements pris dans son discours du 24 avril37, s’opposant ainsi à un véritable changement de régime, ce qui est contraire à l’esprit même d’une transition poli-tique. Au sens strict en effet, la notion de transition politique « renvoie, d’une part, à des situations de passage brutal d’un gouvernement autoritaire vers un nouvel équilibre démo-cratique, c’est-à-dire à un régime de plus grande ouverture et, d’autre part, elle recouvre des processus de réformes institutionnelles se déroulant de façon progressive38 ». Il est vrai que

33 Voir El Hadji Omar Diop, Partis politiques et processus de transition démocratique en Afrique noire.

Re-cherches sur les enjeux juridiques et sociologiques du multipartisme dans quelques pays de l’espace franco-phone, Paris, Publibook, 2006, p. 23; Sekola Mosamete, L’Afrique et la Perestroïka. L’évolution de la pensée soviétique sous Gorbatchev, Paris, L’Harmattan, 2007.

34 Dieudonné Ilunga Mpunga, Étienne Tshisekedi. Le sens d’un combat, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 51. 35 Clément Makiobo, Église catholique et mutations sociopolitiques au Congo-Zaïre. La contestation du

ré-gime de Mobutu, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 127.

36 Dieudonné Wamu Oyatambwe, Les mots de la démocratie au Congo-Zaïre (1990-1997), Paris,

L’Harmattan, 2006, p. 44-47.

37 Martin Kalulambi Pongo, Transition et conflits politiques au Congo-Kinshasa, Paris, Karthala, 2001, p.

16-19.

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toutes les transitions politiques ne se ressemblent pas, certaines étant des transitions oc-troyées, d’autres négociées, d’autres encore des transitions par rupture totale, comme le spécifie Jean-Claude Willame39. Mamoudou Gazibo parle, quant à lui, de transition par pacte, transition arrachée, transition contrôlée, transition par réformes40. Toute transition suppose cependant un changement de régime, ce que Mobutu ne voulait visiblement pas. Un climat de tension et de méfiance s’installa entre les acteurs politiques de l’opposition et ceux de la majorité au pouvoir. À Shabunda, les partisans du régime et ceux de l’opposition naissante se mirent à s’invectiver publiquement, s’accusant mutuellement d’être à la base des troubles qui prenaient chaque jour de l’ampleur à travers le pays : affrontements récur-rents entre les étudiants et les forces de l’ordre dans plusieurs villes, qui conduisirent au massacre des étudiants à l’Université de Lubumbashi41; répression des manifestants et grèves générales dans plusieurs secteurs42; enlèvement des opposants par des bandes crimi-nelles à la solde du pouvoir, appelées « hiboux43 »; pillages des commerces et usines44, etc. Voulue consensuelle et de courte durée, la transition politique fut non seulement très con-flictuelle mais aussi très longue (1990-1997). Bien plus, au lieu de déboucher sur des élec-tions transparentes et l’installation d’instituélec-tions démocratiques, le processus déboucha sur la rébellion de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération (AFDL) et la prise du pouvoir par Laurent-Désiré Kabila le 17 mai 199745.

Arrivées chez nous à Shabunda le 5 février 1997, les troupes de l’AFDL furent accueillies en « libérateurs » par la population locale, au beach Nyalubwe de la rivière Ulindi, avec

39 Jean-Claude Willame, « De la démocratie "octroyée" à la "enrayée" (24 avril 1990 - 22 septembre 1991 »,

dans Feltz Gaétan (dir.), Zaïre, années 90, vol. 1, Les Cahiers du CEDAF-ASDOC, n° 5-6, 1991.

40 Mamoudou Gazibo, Introduction à la politique africaine, Montréal, Les Presses de l’Université de

Mon-tréal, 2010, p. 179-187.

41 À propos de ce massacre, lire Esdras Kambale Bahekwa, Du Shaba au Katanga. À propos du « massacre »

d’étudiants de Lubumbashi et de la période pré-insurrectionnelle, 1990-1993, Paris, L’Harmattan, 2008.

42 Table de concertation sur les droits humains au Zaïre, Zaïre 1992-1996. Chronique d’une transition

inache-vée Volume 2, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 269.

43 Louis Ngomo-Okitembo, L’engagement politique de l’Église du Zaïre 1960-1992, Paris, L’Harmattan,

1992, p. 328.

44 Pongo, Transition et conflits politiques au Congo-Kinshasa, p. 109.

45 Olivier Lanotte, Guerres sans frontières en République Démocratique du Congo, Bruxelles, Éditions Grip,

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chants et danses46. Mobutu parti, tous les espoirs étaient désormais permis et les Shabun-diens se mirent à rêver de prospérité et de démocratie. De nouveaux espoirs et un nouveau rendez-vous avec l’histoire, qui fut lui aussi manqué. Non seulement les Shabundiens et les Congolais en général découvrirent qu’avec l’AFDL, ce sont les Rwandais et les Ougandais qui avaient désormais le contrôle de l’armée et de l’administration de leur pays, mais ils goûtèrent aussi aux méthodes de l’AFDL et du nouveau président, Laurent-Désiré Kabila (LDK) :

Le 28 mai 1997, LDK s’octroie les pleins pouvoirs. Dès lors, il n’aura de cesse que de concentrer peu à peu entre ses mains la quasi-totalité des attributions po-litiques et militaires. Fossoyeur du mobutisme, il va peu à peu reprendre à son compte les méthodes qui ont fait la sinistre réputation du précédent régime. Très vite, les activités des partis politiques sont interdites. La Cour d’ordre mili-taire, nouvelle juridiction d’exception, prend rapidement le pas sur un système judiciaire déliquescent. Simultanément, l’Office des biens mal acquis, chargé de traquer les crimes économiques commis sous l’ancien régime, entame une épuration particulièrement zélée. Quelques mois plus tard, l’Association de dé-fense des droits de l’homme (Azadho) est dissoute47.

Dans les rues de Shabunda, les « libérateurs » sèment la terreur : intimidation des personnes qui posent des questions embarrassantes au sujet de l’AFDL et de ses alliés Rwandais et Ougandais; flagellation publique des personnes accusées de vol, escroquerie, adultère ou sorcellerie (jusqu’à 150 coups de fouet au niveau du ventre ou des pieds) ; réquisition des biens des organisations humanitaires, confiscation arbitraire des biens des anciens collabo-rateurs de Mobutu, etc. La peur s’installa et la désillusion fut totale.

Lorsque, pour des raisons non clairement élucidées à ce jour48, LDK décida de renvoyer chez eux ses parrains rwandais et ougandais, ces derniers décidèrent à leur tour de le chas-ser du pouvoir. Recyclant la méthode qui avait fait ses preuves contre Mobutu un an plus tôt, le Rwanda et l’Ouganda mirent sur pied une nouvelle coalition militaro-politique, le

46 Un récit détaillé de l’entrée des troupes de l’AFDL à Shabunda se trouve chez Wa Nyasa Munyaas, Un civil

dans la guerre en R-D Congo. L’errance d’un déplacé-réfugié du Sud-Kivu, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 48-53.

47 Jean-Dominique Geslin, « Laurent-Désiré Kabila, sur les pas de Mobutu », Jeune Afrique l’Intelligent

(23-29 janvier 2001), n° 2089. www.jeuneafrique.com/ARTJAWEB201101161524(23-29 (le 10/06/2014).

48 Un de ses anciens opposants devenu thuriféraire du régime justifiera cette rupture par l’esprit nationaliste

de Kabila. Voir Lambert Mende Omalanga, Dans l’œil du cyclone. Les années 1997-2000 revisitées, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 53-78.

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Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), qui lança une autre guerre à partir de la ville de Goma, le 02 août 1998. Mais, miné de l’intérieur par un conflit de leadership entre ses géniteurs rwandais et ougandais, dont les armées finirent par s’affronter dans la ville de Kisangani en mai 200049, le RCD éclatera en plusieurs factions : RCD-Goma, RDC-National, RCD-Authentique, RDC-KML, etc.50 À ces différentes fractions du RCD s’ajoutèrent plusieurs autres groupes armés : le MLC de Jean-Pierre Bemba; la nébuleuse Mai (milices locales d’autodéfense); les rebelles rwandais des FDLR; les rebelles ougan-dais de l’ADF-NALU et de la LRA; les rebelles burunougan-dais du FNL, etc. Les affrontements entre ces différentes forces, auxquelles il faut ajouter l’armée régulière, embrasèrent la RDC jusque dans les rues de Kinshasa, menaçant de renverser le régime de LDK. Ce der-nier, qui avait opportunément fait adhérer la RDC à la Southern African Development

Community (SADC) en septembre 199751, réussit à obtenir le soutien militaire de l’Angola, de la Namibie et du Zimbabwe. Des soldats libyens, zambiens, érythréens et tchadiens au-raient aussi apporté leur aide52, inaugurant ainsi ce que Colette Braeckman a appelé « la première guerre mondiale africaine53 » (1998-2003). Selon plusieurs sources54, cette guerre aurait fait plus de quatre millions de morts, dont le président LDK lui-même, assassiné dans son bureau de travail le 16 janvier 200155. Le pays était à feu et à sang.

À la suite de l’assassinat du président LDK, dont le mystère reste entier56, son entourage s’empressa de désigner et d’installer au pouvoir son fils, le général-major Joseph Kabila

49 Voir le rapport de l’ONG Groupe Lotus, Les rivalités rwando-ougandaises à Kisangani. Prise en otage de

la population civile, Kisangani, mai 2000. www.blog.lotusrdc.org/.../Les_rivalites_Ougando-Rwandaises_a_Kisangani.pdf (10/06/2014).

50 Rachel Maendeleo Rutakaza, Le rétablissement et la consolidation de la paix en République Démocratique

du Congo de 1990 à 2008. Le rôle des acteurs internationaux, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 232.

51 Marie-France Cross et François Miser, Géopolitique du Congo (RDC), Bruxelles, Éditions Complexe,

2006, p. 12.

52 Rutakaza, Le rétablissement et la consolidation de la paix…, p. 218.

53 Voir Colette Braeckman, « La première guerre mondiale africaine », Le Soir (20 janvier 2001), p. 4.

www.archives.lesoir.be/la-premiere-guerre-mondiale-africaine-_t-20010120-Z. (10/06/2014).

54 Voir les deux documentaires « RDC : des millions de morts, un conflit oublié! » et « Du sang dans nos

portables » publiés par Mediapart en juillet 2013 sur http://blogs.mediapart.fr/blog/sam-la-touch/150713/rdc-des-millions-de-morts-un-conflit-oublie (21/01/2015).

55 Serge Finia Buassa, Une semaine mémorable. Qui a tué Laurent-Désiré Kabila ?, Paris, L’Harmattan,

2012, p. 9-15.

56 Plusieurs thèses circulent incriminant sa garde rapprochée, l’Ouganda, le Rwanda, ou les Occidentaux. Pour

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