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Comme je l’ai indiqué au chapitre précédent, je n’ai pas attendu la fin des enquêtes sur le terrain pour commencer l’analyse des données. Comme l’écrivent Pierre Paillé et Alex Mucchielli : « On ne peut analyser que ce que l’on a recueilli. Mais l’on peut débuter l’analyse dès que la collecte des informations est entreprise, et il est même préférable, pour certaines approches, de faire alterner collecte et analyse pour un maximum de validité348. » La recherche-action se déroulant en boucles, l’analyse des premières données recueillies m’a effectivement permis de préparer la phase suivante et de faire avancer la recherche à partir des résultats de l’analyse clôturant chaque cycle.

1.1. Un double mode d’analyse

J’ai également indiqué que j’avais choisi de faire une analyse thématique en me servant du logiciel QDA Miner. L’analyse thématique est une analyse qualitative qui procède par ré- duction des données, jusqu’à leur saturation et à l’établissement d’un arbre thématique. Ce type d’analyse répondait à l’objectif de saisir ce que les membres des communautés ecclé- siales de base de Shabunda pensaient réellement du programme d’éducation civique et élec- torale de l’Église. Je voulais, après leur avoir donné la parole, faire une analyse permettant de relever les thèmes les plus pertinents pour eux, des thèmes présents dans le programme et ceux éventuellement oubliés par celui-ci, en montrant comment ces thèmes « se recou- pent, rejoignent, contredisent, complémentent349 ».

348 Pierre Paillé et Alex Mucchieli, L’analyse qualitative en sciences humaines et sociales, Paris, Armand

Colin, 2012, p.14.

L’analyse thématique peut être utilisée en concomitance avec d’autres procédés d’analyse qualitative. Après avoir relu plusieurs fois mes verbatim, j’ai trouvé que l’analyse à l’aide

des catégories conceptualisantes pouvait bien compléter mon analyse thématique.

L’analyse à l’aide des catégories conceptualisantes est : « une méthode qui permet de jeter directement les bases d’une théorisation des phénomènes étudiés, sans qu’il y ait de déca- lage entre l’annotation du corpus et la conceptualisation des données […]. Après un pre- mier examen empirique ou phénoménologique des données […], le chercheur va aborder conceptuellement son matériau de recherche avec comme objectif de qualifier les expé- riences, les interactions et les logiques selon une perspective théorisante350. » La combinai- son de l’analyse thématique et de l’analyse à l’aide des catégories conceptualisantes m’a permis de faire ressortir de mon corpus (9 verbatim des groupes de discussion + 2 verbatim de l’équipe de recherche + 2 verbatim des consultants nationaux) les thèmes pertinents et des catégories qui m’ont aidé dans la conceptualisation et la formulation d’une théorie. J’aurais pu procéder d’abord à une analyse thématique de tout le corpus, jusqu’à la cons- truction d’un arbre thématique, et engager par la suite une conceptualisation conduisant à la proposition d’une théorie. Mais la combinaison de l’analyse thématique et de l’analyse à l’aide des catégories m’a finalement inspiré un autre procédé. En effet, au fur et à mesure de mon travail d’analyse, au cours duquel je suis passé au logiciel NVIVO 10, j’ai repéré deux pistes intéressantes pour l’exploration de mon corpus : la catégorisation et l’analyse des processus.

1.2. Deux pistes d’exploration

La catégorisation consiste à détecter et à analyser des catégories qui émergent du matériau à l’étude. Concrètement, il s’agit de repérer des expressions qui font ressortir ce que pensent et ont voulu exprimer les participants aux groupes de discussion, jusqu’à constituer une liste des catégories à mettre en relation pour construire un sens. Tout en étant un travail hautement scientifique, la catégorisation est une analyse qui fait recours aux sensibilités et à l’expérience personnelle du chercheur, à ce que j’ai appelé l’instinct du théologien pratique. « La catégorisation en tant qu’activité humaine, écrit G. Lakoff, “est essentiellement une

question à la fois d’expérience humaine et d’imagination – de perception, d’activité motrice et de culture, d’une part, et de métaphore, de métonymie et d’imagerie mentale, d’autre part”351. » En procédant à la catégorisation, je cherche à saisir la complexité de la réalité décrite par les bénéficiaires du programme à travers leurs réponses et leurs attitudes dans les groupes de discussion. L’avantage d’utiliser les catégories pour atteindre cet objectif est qu’à partir d’une formule, d’une seule expression, d’une seule catégorie, il est possible de résumer la description d’une situation sociale, pas uniquement à cause de la généralité ou de la récurrence de l’expression choisie, « mais bien parce qu’elle est à la fois évocatrice et conceptuellement dense […]. Elle permet de visualiser une action, un processus, un inci- dent, une logique. Elle induit une image mentale précise en termes d’une dynamique ou d’une suite d’événements. Elle donne à voir ce qui a lieu, ce qui se passe, ce qui peut arri- ver, est arrivé ou arrivera, ce qui se déroule, ce qui est en jeu352. »

La deuxième piste d’exploration de mon corpus sera celle des processus qui transparaissent dans la mise en œuvre du programme à Shabunda : l’élaboration du programme, son dé- ploiement, l’engagement sociopolitique des communautés ecclésiales de base, etc. Ces pro- cessus multiples sont une mise en relation d’instances ecclésiales, d’individus, de situations et de dimensions diverses, le tout s’opposant parfois mais convergeant souvent vers une même finalité qui donne sens à l’ensemble : assurer l’action évangélisatrice de l’Église dans la société congolaise. Le repérage des processus devient donc une manière de vérifier comment les principes généraux édictés dans l’enseignement du Magistère et dans le pro- gramme de l’Église congolaise s’appliquent sur mon terrain d’intervention et deviennent pertinents pour les communautés ecclésiales de base de Shabunda. Cette contextualisation des principes généraux est importante parce que, comme le constatent Pierre Paillé et Alex Mucchielli, l’esprit de l’homme « procède toujours par contextualisation pour trouver les significations des choses […]. Le sens naît toujours d’une confrontation d’un phénomène remarqué à des éléments dits “contextuels” dans lesquels il prend place. Aucun phénomène ne peut exister “en lui-même” dans le vide environnemental353. »

351 Ibid., p. 320, citant G. Lakoff, Women, Fire and Dangerous Things. What categories reveal about mind,

Chicago, University of Chicago Press, 1987.

352 Ibid., p. 323. 353 Ibid., p. 37.

C’est en procédant à la confrontation des objectifs de la mystique d’engagement et du pro- gramme d’éducation civique avec les éléments contextuels de Shabunda que j’ai pu donner sens à certains phénomènes qui transparaissent dans les différents processus en cause. L’analyse de ces processus permettra, entre autres, de dessiner le modèle d’Église et le sou- bassement théologique qui sous-tendent la mystique d’engagement et le programme qui la porte, et d’indiquer les faiblesses de ce programme par rapport à l’objectif de la responsabi- lisation des fidèles laïcs que prône le Magistère de l’Église.

Ces deux pistes d’exploration, la catégorisation et l’analyse des processus, me paraissent importantes à la compréhension de ce que les communautés ecclésiales de base de Shabun- da pensent du fond et de la forme du programme actuel, de ce qu’il leur apporte et de ce qu’il faudrait faire pour l’améliorer.