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L’épiscopat de la RDC et l’engagement sociopolitique de l’Église

2. L’Église catholique de la RDC et l’engagement sociopolitique

2.1. L’épiscopat de la RDC et l’engagement sociopolitique de l’Église

Depuis 1880, date du début de la deuxième évangélisation193 de la RDC, plusieurs docu- ments ont été publiés par l’épiscopat sur des questions sociales. Bien que nombre de ces documents soient intéressants, j’ai choisi de ne présenter ici que quelques-uns des docu- ments publiés après la VIe Assemblée plénière. La principale raison de ce choix est qu’avant cette date, les évêques de la RDC se réunissaient avec ceux du Rwanda et du Bu- rundi, les trois pays étant gérés par l’unique administration coloniale belge depuis 1925194. La VIe Assemblée Plénière de l’épiscopat congolais, tenue à Kinshasa du 20 novembre au 2 décembre 1961, inaugure donc une nouvelle ère. C’est la première Assemblée tenue après l’érection de la hiérarchie ecclésiale au Congo en 1959, et après l’indépendance du pays le 30 juin 1960195. C’est aussi une Assemblée significative par l’ambition qu’elle s’est don- née, celle d’établir à l’aube de l’indépendance le bilan de l’œuvre accomplie par l’Église

192 CENCO, Annuaire de l’Église catholique en RD Congo 2012-2013, Kinshasa, Éditions du Secrétariat

Général de la CENCO, 2013.

193 Pour la première évangélisation, lire Luc Croegaert, L’évangélisation du royaume de Kongo et de

l’Angola, Rome, Pontificia Univ. Gregoriana, 1996. Pour la deuxième évangélisation, Jean-Paul II, « Discours de Jean-Paul II aux évêques du Zaïre», 3 mai 1980.

www.vatican.va/.../hf_jp-ii_spe_19800503_vescovi-zaire_fr.html (24/08/2014).

194 Louis De Clerck, « L’administration coloniale belge sur le terrain au Congo (1908-1960) et au Ruanda-

Urundi (1925-1962) ». www.urome.be/pdf/admin.pdf (05/08/2014).

195 Léon de Saint Moulin et Roger Gaise N’Ganzi, Église et société. Le discours socio-politique de l’Église

pendant la colonisation et de définir de nouvelles orientations pastorales196. Elle l’est éga- lement parce que c’est elle qui a préparé l’apport de l’Église de la RDC aux travaux du Concile Vatican II. Enfin, c’est une Assemblée très significative pour ma recherche, parce qu’elle traite essentiellement du rôle de l’Église dans la société, en lien avec les problèmes sociaux des populations congolaises.

La déclaration La justice sociale au Congo (ex-belge)197, publiée en 1962 à l’issue des tra- vaux, résume l’esprit général de cette VIe Assemblée. Dans la partie portant sur l’Église catholique à l’aube de l’indépendance, les évêques explicitent la nature et la mission de l’Église, « Épouse du Christ » et « Mère des hommes », qui est de « récapituler le monde en Jésus-Christ ». Pour y parvenir, l’Église doit s’enraciner profondément dans le peuple con- golais, seul moyen de lui transmettre efficacement l’Évangile. Ils sont convaincus que cet enracinement passe, entre autres, par la promotion d’un « laïcat adulte » et la création des « Communautés chrétiennes vivantes ». Au sujet du manque de formation des fidèles laïcs, ils constatent qu’il s’agit d’une déficience « que les laïcs ressentent d’une manière particu- lièrement aiguë au moment où ils assument leurs responsabilités198 ». Les évêques recon- naissent qu’il y a en cette matière une situation qui doit évoluer, mais les directives pasto-

rales qu’ils proposent ne précisent pas comment l’Église doit remédier à cette carence de

formation des laïcs. À noter qu’à l’époque, les évêques faisaient une distinction stricte entre la vie de foi et l’engagement sociopolitique. Appelant les fidèles laïcs à assumer leurs res- ponsabilités dans la société, les évêques estimaient en effet que « ce n’est pas au titre de fidèles que les laïcs doivent aménager l’ordre temporel : c’est au titre de citoyens, citoyens Christianisés certes, mais citoyens, c’est-à-dire membres, non pas de la cité de Dieu, mais de la cité des hommes199 ». Cette dichotomie, dont j’ai déjà évoqué la dénonciation par Ro- bert Mager, a marqué pendant longtemps la conscience sociale de l’Église de la RDC, même si l’on retrouve une certaine évolution dans le compte rendu des travaux de la VIIe Assemblée plénière.

196 Ibid., p. 66.

197 Documentation Catholique 44 (1962), n° 1367, col. 62-64.

198 Actes de la VIe Assemblée Plénière de l’Épiscopat du Congo (20 novembre – 2 décembre 1961), Léopold-

ville, Secrétariat Général de l’Épiscopat, 1961, p. 52.

Plusieurs fois reportée à cause des troubles politiques, la VIIe Assemblée plénière s’est fi- nalement tenue à Kinshasa du 16 au 24 juin 1967, soit six ans après la VIe . Elle fait trans- paraître l’effort des évêques d’adapter la doctrine du concile Vatican II aux réalités de l’Église et de la société congolaise. Le recours fréquent aux textes conciliaires donne une grande valeur doctrinale à l’ensemble de ce texte profondément marqué par le contexte sociopolitique du moment. Alors que la lettre collective Les chrétiens face à l’avenir du

pays200, signée le 26 novembre 1963 à Rome par 47 évêques et préfets apostoliques du Congo participants au concile Vatican II, avait invité « les chrétiens à devenir les anima- teurs de la construction du pays, non seulement par un engagement temporel sérieux, com- pétent, désintéressé, mais surtout par le témoignage quotidien d’une vie chrétienne authen- tique, basée sur un renouveau moral courageux201 », la période allant de 1964 à juin 1967 a été chaotique : rébellions lumumbistes (1963-1964) ; coup d’état militaire le 24 novembre 1965 ; pendaison publique de Kimba Évariste et de ses compagnons le 2 juin 1966 ; créa- tion, le 20 mai 1967, d’un parti unique, le MPR, qui deviendra parti-État le 15 août 1974202. Pour faire face au besoin d’une évangélisation en profondeur dont le pays a besoin, les évêques recommandent une plus grande implication des fidèles laïcs dans la vie de l’Église203. Ils appellent à conjuguer l’action des fidèles laïcs et des ministres ordonnés, aussi bien au sein de l’Église que dans la société, et fixent quatre objectifs pastoraux priori- taires : former un peuple adulte et engagé dans l’Église et dans la société, sans se contenter d’un peuple religieusement instruit ; créer une communauté chrétienne au lieu d’une orga- nisation ; construire l’Église plutôt que des institutions (sociales, scolaires, matérielles) ; former un peuple saint et pas seulement des saints isolés204.

Concernant la formation des fidèles laïcs à l’engagement sociopolitique, la VIIe Assemblée considère que « toute l’éducation chrétienne doit viser à former des hommes capables de réaliser l’unité de leur foi et de la vie. Le chrétien arrivé à cette maturité de la foi est un

200 La Documentation Catholique 46 (1964), n° 1422, col.518-532. 201 Ibid.

202 Voir Freddy Mulumba Kabuayi, « Du multipartisme au parti-État », 20 Mai 2005.

www.lepotentiel.com//index.php (25/06/2014).

203 L’Église au service du monde. Actes de la VIIème Assemblée Plénière de l’épiscopat, Léopoldville, Secré-

tariat Général de l’Épiscopat, 1967, p. 35.40-41.

homme libre parce qu’il prend personnellement ses responsabilités à la lumière de l’Évangile205 ». Le service attendu de chaque chrétien étant celui d’exprimer l’inspiration chrétienne dans une efficacité concrète dans la promotion humaine, c’est à chaque fidèle laïc de trouver la manière d’agir dans les réalités temporelles, parce que la Bible « ne peut lui prescrire en détail son comportement dans les divers secteurs de la vie humaine : éco- nomique, politique, culturel, professionnel et familial. Le chrétien a à décider lui-même le comment de son agir en faisant appel à tous ses talents humains206 ». Enfin, pour écarter tout soupçon d’immixtion dans la sphère politique, la VIIe Assemblée réaffirme, à la suite d’Ad Gentes (AG 12) et de Lumen Gentium (LG 76§6), que l’Église catholique, dont le rôle est de prêcher l’Évangile en éclairant tous les secteurs de la vie par sa doctrine et son té- moignage, ne veut nullement s’ingérer dans le gouvernement de la cité207. La dégradation de la situation sociopolitique dans le pays va cependant obliger les évêques à sortir de leur réserve dix ans plus tard, pour dénoncer ouvertement la corruption, le clientélisme dans la gouvernance du pays et les conditions de vie précaires de la majorité de Congolais.

La XXVIe Assemblée plénière tenue à Kinshasa du 12 au 17 septembre 1988 marque un tournant dans l’engagement sociopolitique de l’Église de la RDC. Alors qu’en 1961, les évêques disaient que ce n’est pas en tant que chrétiens, mais comme citoyens, que les fi- dèles laïcs s’engagent dans la société, l’exhortation pastorale Le chrétien et le développe-

ment de la Nation208 proclame solennellement que les fidèles laïcs :

[O]nt le droit et le devoir de participer à toute la mission de l’Église. Ainsi le chrétien laïc devient une présence de l’Église dans le monde, un témoignage de la charité, un apostolat de l’amour du prochain dans la famille, dans le milieu du travail, dans les multiples responsabilités socio-politiques. C’est là le mandat principal que le laïc reçoit de l’autel où s’accomplit le sacrifice du calvaire, car lui aussi est envoyé de l’autel dans le monde pour le sanctifier de sa pré- sence.209

205 Ibid., p. 147. 206 Ibid. 207 Ibid., p. 112.

208 C.E.Z., Le chrétien et le développement de la Nation. Exhortation pastorale des évêques du Zaïre, Kinsha-

sa, Secrétariat Générale de la C.E.Z., 1988.

Selon la présentation qu’en fait la Documentation catholique, cette exhortation « est un texte d’un rare courage. On y trouve un descriptif sans complaisance de la situation du Zaïre et on y propose les bases du renouveau, en demandant aux chrétiens de se mettre à l’œuvre pour changer la face des choses210 ». Le corps de l’exhortation est composé de trois parties : la situation générale ; les préalables et priorités ; les motivations et engagement des chrétiens dans l’œuvre du développement. Dans la partie qui traite de l’action missionnaire des fidèles, les évêques présentent les motivations de l’engagement sociopolitique en le fondant sur la dignité de l’homme créé à l’image de Dieu et appelé à être sauvé en Jésus- Christ. Ceci semble être un nouvel argumentaire, qui met de l’avant le thème de la création, celui de la dignité humaine et la perspective d’un accomplissement eschatologique. On sent l’influence de Jean-Paul II dans cette argumentation des évêques qui précisent que si cette mission d’évangélisation, à laquelle tous les fils et filles de l’Église de la RDC sont con- viés, est définie comme une mission spirituelle, « elle s’exerce sur l’homme, esprit incarné, image de Dieu Créateur. Par conséquent, elle conduit l’homme à vivre sa vocation de trans- formateur de la création, parachevant ainsi l’œuvre du Créateur dont il est l’image. Ainsi, les tâches de développement font partie intégrante de la mission de l’Église211 ». Reprenant un passage d’Evangelii Nuntiandi, les évêques rappellent qu’il existe des liens profonds entre l’Évangile et le développement. Ces liens sont d’ordre anthropologique, théologique et évangélique212. Sans s’étendre sur les modalités pratiques de leur formation, l’exhortation prévient que, pour être efficaces dans leur mission d’évangéliser le temporel, les chrétiens ne doivent pas se contenter « des lumières de la foi et de la force vivifiante de l’Évangile, ils doivent savoir que les institutions modernes sont déterminées par les acquisi- tions de la science et de la technique. Aussi leur est-il demandé d’avoir une compétence scientifique, des aptitudes techniques et la qualification professionnelle nécessaire pour que leur action ait de l’impact sur ces institutions213 ».

210 Documentation Catholique (1992), n° 1993, p. 885. 211 Ibid., n° 130.

212 Ibid.