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1. Bref aperçu de l’évolution sociopolitique de la RDC

1.2. Le processus de paix et la deuxième période de transition

Pour aider la RDC à sortir de la guerre, les Nations Unies avaient voté plusieurs résolutions à partir de 1998, dont celle créant la Mission de l’Organisation des Nations Unies au Congo (la MONUC devenue MONUSCO en 2012)61. De négociations en négociations, plusieurs accords de paix furent signés par les belligérants62, et un dialogue politique inter-congolais ouvert, sous l’égide d’un médiateur nommé par l’ONU, l’ancien président du Botswana, Ketumile Masire. Alors que LDK sabotait ce processus63, allant jusqu’à récuser le facilita- teur et à sceller son bureau à Kinshasa64, Kabila fils relança le dialogue inter-congolais, dont les travaux se déroulèrent à Sun City et à Pretoria en Afrique du Sud65. Grâce aux ef- forts du président sud-africain Thabo Mbeki et de l’envoyé spécial du secrétaire général des Nations Unies, le Sénégalais Moustapha Niasse66, ce dialogue politique aboutit à la signa- ture de l’accord global et inclusif, qui mit officiellement fin à la « première guerre mondiale africaine ». Aboutissement d’un long processus jalonné par plusieurs accords politiques67,

60 Voir Charles Kasereka Pataya, Jalons pour une théologie pastorale du pardon et de la réconciliation en

Afrique. Cas de la République Démocratique du Congo (RDC), Paris, L’Harmattan-Academia, 2013, p. 75.

61 Voir la Résolution 1279 (1999) adoptée par le Conseil de sécurité à sa 4076e séance, le 30 novembre 1999.

www.un.org/fr/documents/scres.shtml (23/07/2014).

62 Jean-Claude Willame, « Le processus de paix en RDC après Lusaka ». www.ua.ac.be/objs/00111791.pdf

(23/07/2014).

63 Sissa Le Bernard N’zapa A Nai Colo, Laurent-Désiré Kabila. La longue marche pour un bref destin, Paris,

L’Harmattan, 2013, p. 163-164.

64 Tshibangu Mwamba, Congo-Kinshasa ou la dictature en série, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 196-198. 65 Paule Bouvier et Francesca Bomboko (coll.), Le dialogue intercongolais. Anatomie d’une négociation à la

lisière du chaos. Contribution à la théorie de la négociation, Paris, L’Harmattan (coll. Cahiers Africains nos 63-64), 2004, p. 253-258.

66 Vital Kamerhe, « RD Congo : Heurts et malheurs d’un long processus de paix ».

www.pambazuka.org/fr/category/features/64036 (23/07/2014).

l’accord global et inclusif inaugura également une deuxième période de transition vers la Troisième République, après celle torpillée par Mobutu (1990 à 1997).

À Shabunda, la signature de l’accord global et inclusif fut saluée avec enthousiasme par l’ensemble de la population. Des séances de prière furent organisées dans les églises, pour rendre grâce à Dieu et lui confier la bonne marche de la nouvelle transition qui devait con- duire à des élections libres et transparentes et, à terme, à une sensible amélioration des con- ditions de vie de la population. Témoin de cette effervescence, il m’est arrivé de penser que le recours à Dieu était plus qu’un acte de foi, à savoir une stratégie de survie pour une po- pulation désemparée. Les Shabundiens étaient abandonnés à eux-mêmes par un État en déliquescence, sans emploi, sans aide sociale, sans assurance maladie, continuellement ex- posés aux attaques des groupes armés, aux tracasseries de l’armée et de la police. Pour beaucoup de familles de Shabunda, manger, s’habiller et survivre aux maladies relevaient du miracle, dont seul Dieu est capable. Dans ces conditions, on n’a pas vraiment le choix d’être pratiquant et de prier Dieu. Les Shabundiens le faisaient constamment, et souvent très bruyamment. Mais cette fois-ci, il y avait vraiment de quoi demander son aide.

En effet, comme la première, la gestion de cette deuxième transition fut elle aussi difficile, à cause notamment du manque de volonté politique des acteurs impliqués. Les anciennes rébellions, converties en partis politiques, avaient gardé leurs armées et continuaient à obéir à leurs parrains étrangers. Quant au clan Kabila, il n’avait comme principale préoccupation que le maintien au pouvoir de Joseph Kabila, que devaient légitimer des élections démocra- tiques. Malgré la lenteur et le difficile jeu d’équilibre, le processus enregistra une avancée notable avec l’organisation du référendum constitutionnel, la promulgation de la constitu- tion du 18 février 2006, et l’organisation des élections législatives et présidentielles la même année. L’élection de Joseph Kabila Kabange au suffrage universel direct, et son dis- cours le jour de sa prestation de serment comme premier président de la Troisième Répu- blique, firent naître des espoirs immenses. On vit apparaître à Kinshasa des affiches annon- çant : « Le réveil du géant ».

Malheureusement, les élections et l’entrée dans la Troisième République n’ont pas apporté aux Congolais la paix, la justice et la prospérité attendues. Près de dix ans après, le prési- dent Joseph Kabila n’arrive toujours pas à doter la RDC d’une armée capable de sécuriser

le pays, à restaurer l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire national, à combattre la corruption et à décentraliser le pays comme le stipule la constitution qu’il a lui-même pro- mulguée. Dans le territoire de Shabunda, comme dans tout l’Est de la RDC, des groupes armés nationaux et internationaux restent très actifs, semant la mort et la désolation. De tous les espoirs suscités par les promesses du candidat Joseph Kabila, il reste des slogans sur lesquels les Shabundiens ironisent : « finie la recréation », les « cinq chantiers68 », ou encore « la révolution de la modernité ».

Au regard de ces rendez-vous manqués et espoirs gâchés, certaines questions se posent iné- vitablement : pourquoi, depuis des décennies, la RDC n’est-elle pas capable de se trouver des dirigeants responsables et capables de bien la gouverner ? Pourquoi les populations congolaises continuent-elles à danser pour une classe politique si incapable et si irrespon- sable ? Pourquoi, depuis des décennies, les masses congolaises se résignent-elles à vivre dans la misère et dans l’humiliation? Et d’un point de vue théologique : les Congolais n’ont-ils pas été, eux aussi, créés à l’image de Dieu et n’ont-ils pas reçu de lui le pouvoir de soumettre la terre (Gn 1, 27-30) ? N’ont-ils pas été, eux aussi, sauvés par le sang du Christ, pour qu’ils deviennent et vivent dans la liberté des enfants de Dieu (Ga 4,1-7) ?

À mon avis, un enjeu central est celui de la mémoire collective qui pose problème en RDC, parce que les Congolais donnent l’impression d’avoir une mémoire courte qui les fait re- plonger dans les erreurs du passé, alimentant ainsi un retour continuel à la case de départ.