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2. Quelques traits marquants de la vie politique en RDC, autant de défis

2.6. Le culte de la personnalité

Un dernier trait marquant de la vie politique congolaise que je tiens à relever est celui du culte de la personnalité. Bien avant la découverte du fleuve Congo par Diego Cao en 1482150, il existait dans l’espace qu’occupe l’actuelle RDC des entités politiques structu- rées :

[De] véritables États, comme celui du Kongo, du Lunda, du Luba et du Kuba. Les récoltes plus abondantes de produits agricoles permettent une telle expan- sion. Certains de ces États sont aussi grands que l’Irlande. Il s’agit de sociétés féodales hiérarchisées. Chacune a à sa tête un roi, sorte de chef de village su- prême, le père de son peuple, le protecteur et le bienfaiteur de ses sujets. Il veille sur la communauté, consulte les anciens et règle les différends. On devine aisément la conséquence d’une telle construction politique : la personnalité du

147 Albert Sarlet, « Katanga, la plus riche des provinces du Congo », http://users.skynet.be/aloube/accueil.htm

(24/07/2014).

148 Châtaigner et Magro (dir.), États et sociétés fragiles, p. 93; Kalumvuenziko, Congo-Zaïre. p. 165. 149 Pongo, Transition et conflits politiques au Congo-Kinshasa, p. 95.

roi importe beaucoup. On peut bien ou mal tomber. Quand le pouvoir est aussi personnalisé, l’histoire devient maniaco-dépressive151.

C’est malheureusement ce qui arriva à l’État moderne constitué par Léopold II à partir de ces entités politiques précoloniales et reconnu par la conférence de Berlin le 26 février 1885152. Dans les différentes phases de son évolution, l’histoire politique de la RDC sera réellement « maniaco-dépressive ». Le modèle féodal et la personnalisation du pouvoir marqueront sa gouvernance politique, avec une forte propension de ses dirigeants au culte de la personnalité. Dans Afriques indociles153, le camerounais Achille Mbembe parle d’un « principe autoritaire » commun aux régimes africains postcoloniaux. Ce principe autori- taire, les Congolais en ont fait les frais, avant mais surtout après l’indépendance. À ce sujet, je ne suis pas de ceux qui, comme Francis Akindès154, imputent l’autoritarisme et le culte de la personnalité des dirigeants africains à la culture africaine qui serait intrinsèquement autoritaire. Je désapprouve également l’idée inverse selon laquelle ce phénomène serait uniquement un produit de la colonisation155. La position défendue par Crawford Young156 me semble plus proche de la réalité. Je crois en effet que « ce phénomène se comprend mieux si on le place à l’intersection des dynamiques endogènes et exogènes157». Pour ce qui est de la RDC, chaque période et chaque dirigeant politique y ont apporté leur touche. Comme dit plus haut, dans les États précoloniaux, le pouvoir a souvent été personnalisé au point que certains chefs se faisaient quasiment adorer, mais il y avait des mécanismes, comme les conseils ou assemblées158, chargés de limiter voire de contrôler le pouvoir du chef. Léopold II en a ajouté une couche en gouvernant sans se présenter devant ses sujets, parce qu’il n’a jamais mis les pieds en RDC. Cette gouvernance à distance a conduit à une

151 Van Reybrouck, Congo, p. 37.

152 « Grands traités politiques. Acte général de la conférence de Berlin de 1885 », 2006. http://mjp.univ-

perp.fr/traites/1885berlin.htm (23/01/2015).

153 Achille Mbembé, Afriques indociles. Christianisme, pouvoir et État en société postcoloniale, Paris, Kar-

thala, 1988.

154 Lire surtout le chapitre 4 de Francis Akindès, Les mirages de la démocratisation en Afrique subsaharienne

francophone, Paris, Codesria/Karthala, 1996.

155 Ainsi Matsanza, État et partis au Congo-Kinshasa, p. 13.

156 Crawford Young, The African Colonial State in Comparative Perspective, New Haven/Londres, Yale

University Press, 1994, p. 1.

157 Gazibo, Introduction à la politique africaine, p. 83.

158 Mamadou Bella Bardé, Démocratie et éducation à la citoyenneté en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2008,

mystification du monarque, parce que les Congolais se mirent à fantasmer autour de la per- sonne de ce chef très lointain, qui avait sur eux pouvoir de vie et de mort. Il était comme Dieu : chef invisible toujours présent, à la fois craint et adoré. Au temps du Congo-Belge, l’administration coloniale développa le mythe du Blanc supérieur en tout, omniscient, beau, bon, invincible et sans défaut : « L’administration coloniale défendait le prestige du coloni- sateur blanc. Tout était fait pour que les Congolais comprennent que tout ce qui était euro- péen était mieux, voire même meilleur que ce qui était congolais ou africain159 ». Pendant la Première République, des politiciens congolais, dont la plupart avaient été des « évo- lués160 », remplacèrent les Belges au gouvernement, au parlement et dans l’administration. Face à leurs frères devenus indépendants mais demeurés « indigènes », beaucoup de ces acteurs politiques reproduisirent les attitudes de leurs anciens maîtres et se comportèrent à leur tour comme des « Blancs », perchés au-dessus de la hiérarchie sociale héritée de la colonisation. Sous la Deuxième République, le culte de la personnalité atteignit des som- mets. L’endoctrinement de la jeunesse en est une illustration. Chaque jour, avant de com- mencer les cours, toutes les écoles du pays devaient organiser une séance d’animation poli- tique, avec chants et danses à l’honneur du président Mobutu, le « guide de la révolution zaïroise161 ». Et tout le long de leur parcours scolaire, « les enfants n’avaient qu’un seul enseignement d’éducation politique à mémoriser et à réciter : le mobutisme […]. Il a fallu la chute de Mobutu pour que tous se rendent compte que toute cette machine-là n’était qu’un château des cartes162 ». Alors qu’il l’avait toujours critiqué pour sa mégalomanie, LDK ne tarda pas à emboiter les pas à Mobutu Sese Seko. Sous le régime de LDK, les bul- letins d’information devaient commencer par « un éditorial laudatif sur le président. Puis, inéluctablement, “l’information” se fait l’écho des faits et gestes du chef de l’État. Des por-

159 Bakadiababu, L’Occident pour ou contre la Démocratie en Afrique, p. 16.

160 Joséphine Mulumba, « L’évolué au Congo Belge, l’homme à l’identité en pièces », 18 sept. 2007.

http://mondesfrancophones.com/espaces/afriques/l%E2%80%99evolue-au-congo-belge- l%E2%80%99homme-a-l%E2%80%99identite-en-pieces/ (23/01/2015).

161 Makiobo, Église catholique et mutations socio-politiques au Congo-Zaïre, p. 71.

162 Norbert X. Mbu-Mputu, Patrice Lumumba. Discours, lettres, textes, Newport, Éditions Norbert Mbu-

traits géants du “libérateur” apparaissent çà et là dans les rues de Kinshasa. On peut y lire : “voici l’homme qu’il fallait”163 ».

Au début de son mandat, Joseph Kabila donna l’impression de vouloir sortir la RDC du culte de la personnalité, comme en témoigne cette dépêche de juillet 2001 : « Le général- major Joseph Kabila, qui combat le culte de la personnalité, a obligé récemment le gouver- neur intérimaire de la ville de Kinshasa, Christophe Muzungu, à rembourser en 24 heures au Trésor Public près de 3 millions de Francs congolais dépensés dans l’organisation d’une marche de soutien au chef de l’État164». Depuis, les choses ont beaucoup changé. Les effi- gies du président sont ostentatoirement placardées dans les rues des villes, les bureaux de l’État, les écoles, les hôpitaux et les marchés. Comme à l’époque de Mobutu et de LDK, les médias publics passent l’essentiel de leur temps à vanter les mérites du président et à rap- porter ses faits et gestes. Au passage du convoi présidentiel, les autres voitures doivent dé- gager la voie et se mettre de côté, comme s’il s’agissait d’une ambulance. Les récalcitrants s’exposent à l’agressivité de la garde républicaine qui n’hésite pas à interpeller violemment et à tabasser les citoyens. On peut également constater que, depuis quelque temps, l’entourage de Joseph Kabila préfère maintenant l’appeler « le Raïs » au lieu de dire sim- plement le président de la République. Cela peut paraître un détail mais cela contribue au culte de la personnalité et à la mystification croissante du pouvoir du président165. En RDC, le culte de la personnalité est une maladie dont souffre la classe politique. Si tous les politi- ciens n’y succombent pas, tous en sont atteints et aucun ne peut prétendre l’ignorer. Mettre fin à cette culture est un défi que doit relever l’éducation civique, pour espérer construire en RDC un État respectueux de la dignité de chaque citoyen.

Il existe plusieurs autres traits marquants de la vie politique qui constituent des défis à rele- ver pour l’éducation civique en RDC. Je n’ai repris ici que quelques-uns de ceux qui me semblent être les plus frappants, de par leur généralisation et leur constance dans

163 Malu-Malu, Le Congo Kinshasa, p. 224.

164 Panapress, « Affichage de l’effigie officielle de Joseph Kabila », 18 juillet 2001.

http://www.panapress.com/Affichage-de-l-effigie-officielle-de-Joseph-Kabila--13-613102-17-lang2- index.html (23/01/2015).

165 Ce type de culte est présenté de façon satirique dans le film de Michel Hazanavicius, OSS 117. Le Caire,

l’évolution politique de ce pays. Ce tableau n’est donc pas exhaustif mais simplement illus- tratif. En ce sens, il ne s’oppose pas mais complète ceux établis par d’autres chercheurs. Avant moi, Eddie Tambwe avait répertorié dix défis majeurs pour le deuxième quinquennat du président Joseph Kabila (2011-2016) parmi lesquels on trouvait les suivants : accélérer les réformes de l’État, contrôler l’Est du pays, affronter plus méthodiquement les défis du développement, bien gérer la démographie166. De son côté, Roland Pourtier a énuméré quelques craintes et défis de la reconstruction de l’État et du territoire en RDC. Il cite no- tamment l’état des routes, la recherche d’une centralité perdue, l’équité spatiale et l’éthnodiversité167. Enfin, dans sa tentative quelque peu désespérée de justifier la longue complicité des intellectuels congolais avec le dictateur Mobutu, maître Nimy Maidika Ngimbi mentionne deux principes républicains prioritaires : la primauté de l’intérêt général et le triomphe du bien commun168. L’éducation civique des populations congolaises se doit de tenir compte de tous ces défis pour être pertinente et efficace.

* * *

Le survol du dernier demi-siècle d’évolution politique en RDC a montré comment, depuis l’indépendance de ce pays en 1960, son histoire a été une succession de rendez-vous man- qués ou d’espoirs deçus. De Joseph Kasavubu à Joseph Kabila en passant par Joseph- Désiré Mobutu et Laurent-Désiré Kabila, de la Première à la Troisième République, les querelles politiciennes, les sécessions et les rébellions ont pris le dessus sur la construction d’un État démocratique et prospère. Le résultat de cette somme de décisions et d’événements malheureux est une situation sociopolitique chaotique, un État en faillite et une population congolaise exsangue. Pourtant, la RDC dispose d’énormes ressources natu- relles169 et d’une position géostratégique très enviable au cœur de l’Afrique.

166 Eddie Tambwe, « RDC, 2011-2016. Poursuite et accélération des réformes de l’État », dans Jean-Marie

Dikanga Kazadi (dir.), RD-Congo 2006-2011. Ce qui a changé, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 43-51.

167 Roland Pourtier, « L’État et le territoire. Contraintes et défis de la reconstruction », dans Théodore Trefon

(dir.), Reforme au Congo (RDC). Attentes et désillusions, Paris-Tervuren, L’Harmattan-Musée royale d’Afrique centrale, 2009, p. 35.

168 Ngimbi, Les raisons d’un retour, p. 76.

169 Vitraulle Mboungou, « RD du Congo : un paradis de richesses naturelles », 12 juin 2013.

Pour mieux éclairer cette situation paradoxale, j’ai répertorié six phénomènes et pratiques qui constituent des obstacles à la reconstruction du pays et à l’instauration d’un État de droit en RDC. Ils constituent aussi, de ce fait, des défis à relever pour l’éducation civique et électorale organisée par l’Église catholique. J’ai parlé de la situation générale de la RDC, mais je l’ai fait à partir de mon terrain d’intervention : Shabunda, dont les populations sont parmi les plus affectées par le drame sociopolitique qui se joue en RDC depuis des décen- nies.

En dressant ce tableau d’ensemble, j’ai voulu montrer à la fois l’ampleur des défis à relever dans l’éducation civique des populations congolaises, pour parvenir à l’État de droit recher- ché et espéré par l’Église catholique à travers sa pratique d’éducation civique et le pro- gramme d’éducation civique et électorale qu’elle a élaboré à cette fin. J’ai également voulu montrer la nécessité et même l’urgence d’une éducation civique conséquente, qui soit ca- pable d’aider les Congolais à s’attaquer aux principales pratiques politiques qui font pro- blème, pour les remplacer par des pratiques politiques nouvelles pouvant permettre l’émergence d’un État de droit en RDC. Avant d’aborder l’étude de la pratique ecclésiale d’éducation civique à travers le programme d’éducation civique et électorale qu’elle a mis en route, je trouve important de présenter un aperçu de l’engagement sociopolitique de l’Église catholique de la RDC. C’est l’objet du deuxième chapitre.

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CHAPITRE DEUX

L’ÉGLISE CATHOLIQUE ET L’ENGAGEMENT SOCIOPOLITIQUE EN RDC

« Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots »

(Martin Luther-King,

Remaining Awake Through a Great Revolution,

le 31 mars 1968) En 1992, alors que la transition politique commencée en 1990 piétinait, et que les services de sécurité tracassaient impunément la population dans la cité de Shabunda, la paroisse Sacré-Cœur de Jésus de Shabunda a pris l’initiative de mettre sur pied un comité paroissial Justice et Paix. À l’époque, la Commission Justice et Paix n’était pas encore opérationnelle dans le diocèse de Kasongo170. C’est le concile Vatican II qui avait souhaité la création d’un organisme qui aurait la charge « “d’inciter la communauté catholique à promouvoir l’essor des régions pauvres et la justice sociale entre les nations” (Gaudium et Spes n. 90). En réponse à ce désir, le 6 janvier 1967, par le Motu proprio Catholicam Christi Ecclesiam, le pape Paul VI créait la Commission Pontificale Justitia et Pax171 ». D’abord expérimen- tale, la Commission recevra son statut définitif par le Motu proprio (décret du pape) Justi-

ciam et Pacem du 10 décembre 1976. Le comité paroissial Justice et Paix de Shabunda or-

ganisait des séances de formation aux droits de l’homme et dénonçait auprès des autorités les violations dont il avait connaissance. Les plaquettes publiées par le jésuite Pierre de

170 Sur le site Internet Alternatives, il est indiqué : « la Conférence Épiscopale du Zaïre à l’époque a créé sa

Commission Justice et Paix en 1978. Les statuts définitifs de la CEJP ont été approuvés par le Comité Perma- nent le 8 septembre 1993. En cette année, l’épiscopat a ordonné la création des Commissions Justice et Paix dans tous les Diocèses et toutes les paroisses catholiques de la RDC ». [s.a.], « Commission épiscopale Justice et Paix (CEJP)-RDC » https://www.alternatives.ca/.../commission-episcopale-justice-et-paix-cejp...www.cejp- rdc.org/ (16/08/2014). Au diocèse de Kasongo, la commission diocésaine justice et paix ne sera créée qu’en janvier 1997, par l’évêque Monseigneur Théophile Kaboy.

171 Conseil pontifical justice et paix, « Conseil pontifical justice et paix », 4 octobre 2001. www.vatican.

Quirini sur le droit congolais, et par l’abbé José Mpundu du Groupe Amos172 sur la démo- cratie et la non-violence, servaient de référence.

Le cachot de la police de Shabunda étant situé à moins de cent mètres de l’église parois- siale, il arrivait que, pendant la messe, les fidèles entendent des cris des prisonniers hurlant sous la torture, alors que le curé annonçait la Bonne Nouvelle de la libération des prison- niers (Lc 4, 18). Ils écoutaient les cris des prisonniers et le message du curé, priaient, chan- taient, communiaient et retournaient tout bonnement chez eux. C’était ainsi jusqu’au jour où le responsable d’une communauté ecclésiale de base de Shabunda s’est fait arrêter injus- tement et jeter au cachot par le commandant de la police. Informés, le curé et les membres du comité paroissial Justice et Paix avaient entrepris des démarches pour sa libération. Ils essayaient de raisonner le commandant en lui expliquant qu’il violait la loi, qu’il abusait de son pouvoir, et que l’argent qu’il exigeait pour libérer le prisonnier était un enrichissement illicite. Mais le commandant, qui était un militaire devenu policier s’en moquait, affirmant qu’il n’avait pas de compte à rendre à des civils. Au matin du troisième jour, face à l’intransigeance du commandant, le comité paroissial a décidé d’organiser un sit-in devant les locaux de la police, juste après la messe matinale. À la grande surprise des policiers et des passants, monsieur le curé et une dizaine de fidèles se sont assis par terre devant les bureaux de la police. Alerté, le commandant est arrivé sur les lieux. Ayant invité le curé dans son bureau, il s’est mis à l’engueuler et à l’intimider, au motif qu’il faisait de la poli- tique et qu’il incitait la population à la rébellion. Citant de mémoire des ordonnance-lois et des arrêtés ministériels, il a rappelé que l’Église n’avait pas à se mêler de la politique et que, comme missionnaire européen, le curé s’exposait à l’expulsion du pays. Déterminé, le curé lui a répondu qu’il s’agissait d’une action citoyenne non-violente, et que lui et ses fi- dèles ne réclamaient pas autre chose que l’application des lois du pays qui interdissent les arrestations arbitraires. L’attroupement devant les locaux de la police augmentait au fil des minutes et l’énervement gagnait les policiers qui essayaient de disperser la foule. Finale- ment, au bout de deux heures, après avoir invectivé une nouvelle fois le curé et dénoncé ce qu’il appelait la politisation de l’Église catholique, le commandant a ordonné à ses hommes

172 Philippe de Dorlodot, « Marche de l’espoir ». Kinshasa 16 février 1992. Non-violence pour la démocratie

de libérer l’encombrant prisonnier. Ce dernier, sorti du cachot sous les acclamations, a été escorté par les manifestants jusqu’au bureau du curé, dans la joie et l’allégresse. Ce jour-là, une étape importante avait été franchie dans l’engagement sociopolitique de l’Église catho- lique à Shabunda, mais le débat ne faisait que commencer, au sein de la communauté chré- tienne et dans toute la cité, sur la pertinence, l’efficacité et les risques d’un tel engagement. Cette question n’est pas nouvelle. Dès les premiers siècles, les chrétiens sont confrontés aux questions sociales et au pouvoir politique et doivent définir une ligne de conduite : comment réagir en chrétien, individuellement et collectivement, face aux problèmes qui se posent dans la société ? Comment se comporter par rapport aux autorités de l’État ? Autre- ment dit, comment vivre pleinement son appartenance à la cité terrestre tout en ayant cons- cience d’appartenir à « La cité de Dieu173 »? En réponse à ces questions, tiraillée entre sa vie terrestre et sa destinée céleste, l’Église a dû assumer plusieurs paradoxes : « Paradoxe d’une religion qui a toujours montré son sens de l’État, tout en affirmant pour la première fois le statut et les droits de la personne. Paradoxe d’une religion illégale, puis persécutée, qui acquit une meilleure visibilité dans la répression au lieu de disparaître. Paradoxe d’une religion mystique, que l’épreuve du martyre obligea à repenser son anthropologie en don- nant une place au corps174 ». C’est à travers ces paradoxes que, au long des siècles, l’Église a construit sa doctrine sociale et formé ses membres à l’engagement sociopolitique, afin qu’ils soient, comme le recommande l’Évangile, le sel de la terre et la lumière du monde (Mt 5, 13-16).

Dans un contexte sociopolitique comme celui de Shabunda et de toute la RDC, marqué par des défis énormes présentés au premier chapitre, comment l’Église catholique définit-elle sa mission ? Comment s’engage-t-elle sur le plan sociopolitique ? Comment forme-t-elle ses fidèles à l’engagement sociopolitique et comment le justifie-t-elle théologiquement ? Pour mieux situer et comprendre l’engagement sociopolitique de l’Église catholique de la RDC, il me paraît indispensable de l’inscrire dans la longue tradition de la doctrine sociale de l’Église qui le fonde. On fait souvent remonter celle-ci à l’encyclique Rerum Novarum