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1. Six catégories dans une dynamique d’ensemble

1.4. La formation

La question de la formation est revenue constamment dans les entrevues effectuées. La Commission Justice et Paix devrait maintenant organiser régulièrement des séances de formation dans les communautés ecclésiales de base. Elle ne devrait pas se limiter à trancher les conflits des personnes qui se présentent chez elle à la paroisse. Elle devrait faire des formations dans les communautés de base, afin que tous les chrétiens, lettrés ou illettrés, soient informés et s’impliquent dans des actions de Justice et Paix. (Communauté Divin Maître)

Ce qui pourrait améliorer notre engagement dans la justice et la paix c’est sur- tout la formation. Nous former régulièrement dans des rencontres. (Communau-

té François Xavier)

Que l’Église organise des formations pour ses chrétiens, afin de faire avancer la justice, la paix et le développement. Parce que nous les gens de Shabunda nous avons des difficultés, il faudrait renforcer nos capacités pour que nous sachions faire face à ces difficultés. (Communauté Saint-Kizito)

On constate que, à travers les opinions exprimées, les participants à la recherche utilisent indistinctement les concepts de formation, information, conscientisation et sensibilisation, au point qu’on pourrait les considérer comme des synonymes. Sans trop se soucier de la sémantique, ils se servent librement de ces mots pour exprimer leur désir de formation. Sachant bien ce qu’ils veulent, ils précisent aussi la manière dont ils souhaitent voir cette formation se réaliser :

Le meilleur moyen c’est d’assurer la formation dans la communauté de base, en organisant des séminaires, afin de conscientiser tous les chrétiens. Les conseil- ler deviendrait beaucoup plus facile, parce qu’ils auront été formés en matière de justice, paix et développement. (Communauté Saint-Charles-Lwanga)

Comme certains d’entre nous ont étudié et qu’ils peuvent assurer une formation dans le domaine de justice, paix et développement, je propose au responsable de notre communauté de trouver un jour où nous pourrions nous-mêmes organi- ser cette formation, au lieu d’attendre des lointains séminaires qui seraient or- ganisés par des personnes extérieures à notre communauté. (Communauté

Saint-Charles-Lwanga)

La formation réclamée par les participants à la recherche reste malgré tout une notion très ouverte, très large et, par conséquent, très vague et potentiellement changeante. Dans sa forme et dans son contenu, la formation peut en effet prendre plusieurs formes : formation

à distance, formation professionnelle, formation universitaire, formation sur le tas, forma- tion permanente, etc. Comment la caractériser au mieux ? Comme les participants à la re- cherche sont des personnes adultes engagées dans l’action évangélisatrice, on pourrait con- sidérer qu’ils auraient besoin d’une formation permanente, dont l’inspecteur à la culture Jean-Pierre Nossent décrit l’évolution en ces termes, pour le contexte belge :

En 1976, lors de l’adoption à l’unanimité du premier grand décret relatif à l’éducation permanente, la notion est relativement récente. Elle reste polysé- mique, floue, changeante. C’est dans la décennie qui suivra que se clarifieront et se distingueront progressivement les notions comme l’éducation tout au long de la vie (ou la permanence de l’éducation – à ne pas confondre – qui veut ren- contrer les nécessités d’adaptation à une société en constante évolution), la formation permanente (ici c’est l’évolution des procès et du marché du travail qui est la référence) ou l’éducation non formelle (réalisée en dehors de l’institution scolaire qui place le bénéficiaire comme acteur central du proces- sus éducatif et le considère comme producteur de savoir et de culture au départ de son expérience de vie) ou encore la promotion socioculturelle des travail- leurs (par rapport à la formation dite de promotion sociale). Ces diverses ap- proches relèvent de notions différentes mais recoupent (ou se superposent par- tiellement à) celle d’éducation permanente. La définition de 2003 sera l’objet à la fois d’un renforcement sur les acquis de 1976 et de précisions au niveau des publics qualifiés de « populaires ». Mais après quelque temps d’application du décret, des questions sur le sens et la pertinence des actions resurgissent no- tamment via l’établissement des premières jurisprudences. La nouvelle unani- mité sur la définition n’arrête pas les débats : son utilisation comme argument de référence pour les actions menées n’empêche pas le questionnement sur la définition elle-même et ses diverses interprétations possibles381.

Mais rien, dans les opinions exprimées par les participants à la recherche, ne permet d’affirmer avec précision que la formation souhaitée est une formation permanente. Elle se fait en dehors du circuit scolaire, elle n’est pas diplômante et elle ne vise pas, à proprement parler, une promotion sociale des individus ou des communautés qui en seraient bénéfi- ciaires. Mais, même avec ces caractéristiques, s’agirait-il plutôt d’une formation profes-

sionnelle, d’autant plus que les participants à la recherche parlent indistinctement de la

sensibilisation, de l’information, de la conscientisation et de la formation ? Certains de ces éléments correspondent effectivement au contenu de la formation professionnelle qui com-

381 Jean-Pierre Nossent, « L’éducation permanente : une définition qui se cherche ? ».

porte trois types d’activités : activités d’information ou sensibilisation, activités d’approfondissement et activités d’accompagnement. L’information-sensibilisation vise principalement à faire émerger des besoins de formation et à alimenter une démarche de réflexion sur les pratiques, tandis que les activités d’approfondissement visent à faire ac- quérir de nouvelles connaissances et à développer de nouvelles compétences. Quant aux activités d’accompagnement, elles ont pour objectif d’intégrer les nouvelles connaissances aux pratiques quotidiennes et de favoriser la différenciation dans le changement382. Mais il demeure que la formation souhaitée n’est pas directement liée à l’exercice d’une profes- sion, fût-elle pastorale, et vise plutôt une large diffusion.

Pour sortir de cette difficulté de définir la nature de la formation dont parlent les partici- pants à la recherche, il faudrait partir de ce qui est recherché dans cette formation, c’est-à- dire de son objectif. Selon les opinions exprimées, ce qui est souhaité par les communautés ecclésiales de base, c’est le renforcement des capacités. En ce sens, la formation dont il est question est une capacitation. Cette notion de capacitation est mieux rendue par l’expression anglaise empowerment, qui exprime mieux l’idée d’un renforcement des ca- pacités :

L’empowerment est un processus ou une approche qui vise à permettre aux in-

dividus, aux communautés, aux organisations d’avoir plus de pouvoir d’action et de décision, plus d’influence sur leur environnement et leur vie. Cette dé- marche est appliquée dans nombre de domaines – le social, la santé, l’économie, la politique, le développement, l’emploi, le logement ... – et s’adresse très souvent aux victimes d’inégalités sociales, économiques, de genre, raciales... L’empowerment a sensiblement une portée sociale puisqu’il vise un changement de société. Chaque individu, chaque communauté où qu’il ou elle se situe dans l’échelle sociale possède un potentiel, des ressources et peut utiliser celles-ci pour améliorer ses conditions d’existence et tracer la route vers plus d’équité383.

On peut donc considérer l’empowerment comme « un processus de transfert des connais- sances visant à développer un potentiel jusqu’à présent caché ou ignoré chez un individu

382 Voir Rosée Morissette, « Réflexion sur le concept de formation professionnelle », 2009.

www.cccpfpt.qc.ca/uploads/6/7/2/3/6723476/rflexion_sur_le_concept_de_formation.pdf (30/03/2015).

383 « L’empowerment », Cultures et santé 4 (2009/2014), p. 3. www.cultures-sante.be/index.php/nos-

ou groupe d’individus384 ». Concrètement, il s’agit de susciter chez les bénéficiaires de la formation une conscience critique pouvant conduire à une prise de conscience et à des ac- tions capables de produire des changements structurels au sein de la société. L’empowerment vise donc très clairement le changement social et ses mots d’ordre sont : se responsabiliser, se prendre en main, conscience critique, solidarité et action385.

À la fin de l’analyse des catégories issues des opinions des participants à l’enquête, je rap- pelle que c’est l’interaction entre les catégories retenues qui permet d’accéder au sens ca- ché des opinions exprimées. Cette interaction a montré que, dans la dynamique enclenchée par le programme d’éducation civique et électorale de l’Église catholique en RDC, la con- naissance de la loi devrait renforcer la justice, tandis que la réconciliation devrait favoriser la paix. Mais ce qui est recherché in fine c’est le développement. Cette dynamique ne peut cependant vraiment bien fonctionner que si elle est alimentée et soutenue par une forma- tion qui responsabilise et renforce les capacités des communautés ecclésiales de base dans leur engagement sociopolitique. Même si les opinions exprimées n’en ont pas parlé expli- citement, on peut logiquement supposer que c’est en réussissant l’intégration harmonieuse de ces six éléments que la RDC deviendra un véritable État de droit. Il en résulte une cons- truction conceptuelle que j’appelle les six leviers de la construction de l’État de droit en

RDC (figure 1), condition sine qua non de la sortie de crise en RDC.

384 Groupe de recherche et d’intervention en évaluation (GRIÉVA), « Discussions autour du thème de

l’empowerment ».www.unites.uqam.ca/grieva/les%20projets/definitionempowerment.rtf (21/12/2014).

385 Nicole Dallaire, « Tout ce qu’il faut savoir sur l’empowerment. Pour engager un dialogue sur l’utilité du

concept et ses liens avec le DC », février 2011. www.oedc.qc.ca/fichiers/oedc/fichiers/cap_fev._2011.pdf (21/12/2014).