• Aucun résultat trouvé

145 utilisé pour la première en 1914 dans un texte officiel du Département fédéral politique448,

devient couramment utilisé y compris par les syndicats à partir de la fin des années 1950449. L’USS va même jusqu’à accuser les entreprises de paresse, préférant augmenter leurs effectifs plutôt que de rationaliser leur production et d’augmenter leur productivité. La citation suivante est particulièrement représentative de sa rhétorique :

« Bien entendu, les pouvoirs publics pourraient refuser l’admission de nouveaux contingents de travailleurs étrangers ; il en résulterait une certaine détente. D’ailleurs, il est de plus en plus difficile de trouver en Italie de la main-d’œuvre convenable. […] On peut aussi se demander si la Suisse ne s’est pas approchée dangereusement de la limite supérieure d’assimilation. Ne compromettrons-nous pas la structure sociologique de notre population en allant plus loin encore ? […]. Si on empêchait une nouvelle augmentation du nombre de travailleurs étrangers, la surcharge du bâtiment diminuerait un peu. L’industrie serait contrainte d’améliorer ses capacités en rationalisant les exportations, plutôt qu’en augmentant l’effectif. Le taux d’accroissement des constructions industrielles prendraient une cadence plus modérée et la demande de logements s’atténuerait un peu »450.

Si le contentieux entre patrons et syndicats sur l’interprétation des causes de l’inflation donne souvent l’impression d’un dialogue de sourds, il serait cependant erroné d’en déduire un antagonisme très marqué. En effet, les solutions négociées et consensuelles restent de mise. Le rapport de force est en effet corseté par le système corporatiste en vigueur et le cadre des conventions collectives, alors à leur apogée en Suisse451. Par conséquent, les syndicats ne s’engagent qu’extrêmement rarement dans des conflits ouverts (grèves, manifestations) où ils pourraient tirer profit de l’avantage de la pénurie de travailleurs pour faire aboutir leurs revendications. Une des raisons de cette retenue réside dans le fait que les industries suisses tournées vers l’exportation sont en concurrence avec l’étranger, ce qui amène les syndicats de ces branches à faire preuve de modération pour maintenir la compétitivité de leur entreprise à l’international452. Une certaine compréhension réciproque prévaut donc avec un but partagé : celui d’assurer la prospérité de l’économie suisse à long terme.

Dans ce cadre, une partie de la rhétorique d’opposition qui se développe fait simplement partie du jeu politique. À ce sujet, l’influent secrétaire patronal Heinrich Homberger souligne lors d’une réunion du Vorort en janvier 1962 que l’élite syndicale exprime certaines revendications avant tout pour contenir les pressions internes :

448 ARLETTAZ Gérald, ARLETTAZ Sylvie, La Suisse et les étrangers : immigration et formation nationale (1848-1933), Lausanne : Éditions Antipodes, 2004, 167 p.

449 Voir par exemple : Union syndicale suisse, Rapport d’activité 1957-1959, p. 46.

450 USS, Rapport de Gestion 1953-1956, p. 59.

451 GARBANI Philippe, SCHMID Jean, Le syndicalisme suisse…, p. 145.

452 PIOTET Georges, Restructuration industrielle et corporatisme : le cas de l’horlogerie en Suisse : 1974-1987, Thèse de doctorat présentée à la Faculté des sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne, 1988, 794 p.

146

« Die Leitung der Gewerkschaften ist ebenfalls mit den elementaren Kräften des Marktes konfrontiert, und die Mitglieder erwarten von ihrer Organisation, dass diese die günstige Gelegenheit zur Wahrung ihrer Interessen wahrnimmt »453.

De la même manière, il serait erroné de postuler un poids politique très fort des syndicats en raison de la situation déséquilibrée d’offre et de demande sur le marché du travail.

Comparativement avec les périodes antérieures et celles qui vont suivre, ils sont certes favorisés, mais le curseur de l’influence politique semble ne jamais quitter le côté du patronat. Ainsi, si les syndicats sont régulièrement invités dans les commissions et lors des phases de consultation, le patronat dispose généralement d’un accès privilégié aux autorités, surtout auprès des hauts fonctionnaires de la Division du commerce454. En conséquence, pour que des mesures politiques pour freiner l’immigration et l’inflation soient implémentées, il faut attendre que les craintes autour de l’inflation et de l’immigration deviennent plus généralisées.

En effet, jusqu’au début des années 1960, les milieux économiques prônent l’autorégulation pour freiner la haute conjoncture et éviter l’intervention de l’État455. Dans ce cadre, l’État se cantonne à un rôle de coordinateur456. L’attitude attentiste des autorités et surtout la mauvaise volonté du patronat sont vivement critiquées par l’USS :

« Chaque fois qu’il s’est agi de mettre un frein à la surexpansion, il a été presque impossible de concilier les opinions divergentes des différents groupements économiques. Une fois de plus, on a pu constater que sous le régime économique qui est le nôtre, la Confédération n’a que des moyens très limités d’influencer le rythme de l’activité en temps voulu et par des mesures efficaces. Aussi le Conseil fédéral s’est-il borné le plus souvent à faire appel au bon sens des groupements économiques ; ces recommandations se sont pourtant révélées infructueuses dans la plupart des cas pour la simple raison qu’elles n’ont pas été suivies »457. L’évolution conjoncturelle entre 1959 et 1961, période durant laquelle les prix augmentent pour la première fois plus rapidement en Suisse qu’à l’étranger, rend néanmoins une intervention des autorités de plus en plus crédible458. L’effectif des travailleurs étrangers semble également se développer de manière exponentielle (cf. figure 19). Le Vorort et l’UCAPS tentent alors de coordonner les comportements individuels, en appelant leurs sections à faire pression sur leurs entreprises membres afin qu’elles modèrent leurs

453 Heinrich Homberger, SHIV, Protokoll der 8. Sitzung des Vororts im Vereinsjahr 1961-1962, 29.01.1962, p. 11. AfZ, IB Vorort-Archiv 1.5.3.16. Traduction : « La direction des syndicats est aussi confrontée aux forces élémentaires du marché et ses membres attendent de leur organisation que ces circonstances favorables à la défense de leurs intérêts soient prises en compte ».

454 DIRLEWANGER Dominique, GUEX Sébastien, PORDENONE Gianfranco, La politique commerciale…, p. 26.

455 L’appelle à l’autorégulation suit l’immédiat après-guerre. Voir par exemple: SHIV, Jahresbericht 1946-1947, p. 11.

456 RONCA Marion, « Streitpunkt Konjunktur…, p. 93.

457 USS, Rapport de Gestion 1950-1952, p. 117.

458 SHIV, Protokoll der 7. Sitzung des Vororts im Vereinsjahr 1961-1962, 18.12.1961, p. 17. AfZ, IB Vorort-Archiv 1.5.3.16.

147

investissements, ainsi que l’augmentation des salaires et des prix459. Plusieurs circulaires sont diffusées en ce sens.

La situation apparaît quelque peu invraisemblable, dans la mesure où il s’agit de lutter contre la trop bonne santé économique, paradoxe souligné par le Vorort :

« Le déchaînement de forces qui s’est produit dans l’économie soulève des problèmes aussi importants que difficiles. Les autorités fédérales, la Banque nationale et les organisations économiques se trouvent donc en présence d’une tâche peu aisée et fort ingrate. Ils doivent engager les milieux responsables de notre économie, c’est-à-dire les chefs d’entreprises, à mettre un frein à leur esprit d’initiative — pourtant si louable en lui-même —, à ralentir le rythme d’expansion de leurs entreprises et à s’imposer une discipline librement consentie »460. Le but de ces annonces est principalement de montrer que le patronat se mobilise dans la lutte contre l’inflation et ainsi d’éviter une intervention des autorités dans l’économie461. De l’aveu même du Vorort, les effets concrets de ces dispositions volontaires sont d’une part impossibles à mesurer et, d’autre part, diverses entreprises jouent les passagers clandestins, concurrençant de manière déloyale celles qui se soumettent à l’autodiscipline462. Les mesures prises par la Banque nationale pour limiter le crédit demeurent elles aussi peu efficaces, dans la mesure où les grosses entreprises, dont les multinationales, opèrent souvent par autofinancement463.

« Convaincue de l’inutilité des homélies, et persuadée que les simples appels à l’autodiscipline sont inopérants […] »464, l’USS fait de plus en plus pression pour obtenir des mesures de la Confédération et surtout limiter l’arrivée de la main-d’œuvre étrangère. Du côté du patronat également, certaines voix se font entendre, craignant pour la durabilité du modèle de

459 Sur l’élaboration des mesures d’autodiscipline, leurs objectifs et leurs modalités d’application voir : PITTELOUD Sabine, « L’autodiscipline en guise de régulation. La stratégie patronale à l’heure de la surchauffe économique en Suisse autour de 1960 », in: ASMUSSEN Tina, EICHENBERGER Pierre, HÜRLIMANN Gisela, JUCKER Michael, SCHIEDT Hans-Ulrich, BEETSCHEN Marion, WYSS Sandra (éd.), Alles wird teurer ! Wucher ! Brot ! = Les prix s’envolent ! C’est du vol ! Du pain !, Zurich : Chronos, Traverse, vol. 3, 2017, p. 113-126.

460 USCI, 92e Rapport annuel et communications sur les affaires traitées par le Vorort pendant l’exercice 1961/62 présenté à l’Assemblée des délégués, p. 14.

461 PITTELOUD Sabine, « L’autodiscipline en guise… », p. 122.

462 USCI, 92e Rapport annuel et communications sur les affaires traitées par le Vorort pendant l’exercice 1961/62 présenté à l’Assemblée des délégués, p. 17.

463 USCI, 91e Rapport annuel et communications sur les affaires traitées par le Vorort pendant l’exercice 1960-1961 à l’Assemblée des délégués, p. 15. Ce qui est rapporté ici par le Vorort est une des caractéristiques générales des grandes entreprises suisses dans l’après-guerre qui opéraient beaucoup par autofinancement pour leurs investissements et constituaient des réserves dans les phases de croissance économique. Cette pratique permettait à la direction des entreprises d’être plus autonome par rapport aux banques et aux secteurs boursiers. Voir : MÜLLER Margrit, « What do firms maximise?

The contribution of business history to a controversial topic », Business History, vol. 56, n° 1, 2014, p.

28.

464USS, Rapport d’activité 1960-1962, p. 68.

148

Outline

Documents relatifs