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152 accueillies par les membres du Vorort que celles visant à contrôler les investissements privés,

surtout par l’État. Au sujet du trafic de perfectionnement dans l’industrie textile, Heinrich Homberger souligne que le Vorort a déjà pris les choses en main et qu’un volume important de marchandises est déjà travaillé à l’étranger480.

Ces idées, évoquées aussi précocement qu’en 1946, reviennent en force au début des années 1960. Comme expliqué précédemment, c’est à ce moment-là que la surchauffe s’intensifie et que des actions concrètes sont requises. Dans leur circulaire visant à proposer des mesures basées sur l’autodiscipline, l’UCAPS, l’USCI et l’Union suisse des Arts et Métiers (USAM) appellent les entreprises à délocaliser et/ou sous-traiter davantage à l’étranger. Dans ce cadre, Gustave Adolf Frey-Bally481, vante, au sein d’une réunion du Vorort en 1962, les efforts réalisés par son entreprise éponyme, qui s’est « efforcée de délocaliser la production à l’étranger au lieu d’importer toujours plus de travailleurs étrangers »482. Les entreprises multinationales, qui possèdent déjà une solide expérience dans la production à l’étranger, peuvent alors aider à promouvoir les IDE et les transferts de production. En 1965 par exemple, Nestlé fournit au Vorort un mémorandum intitulé « Industries satellites suisses en Italie »483 prônant la décentralisation industrielle. L’idée est d’amener la production vers les bassins d’émigration qui alimentent l’effectif des travailleurs étrangers en Suisse (cf.

chapitre 6).

Outre les efforts réalisés par le biais des associations patronales et des entreprises, il est question de déterminer si, de leur côté, les autorités suisses peuvent également entreprendre quelque chose pour favoriser les délocalisations. Ainsi, dans le paquet de remèdes « anti-surchauffe » adopté par arrêtés fédéraux urgents, des provisions visant à faciliter des transferts de production à l’étranger sont étudiées, comme le rapporte le Vorort dans son rapport annuel :

« En relation avec les mesures prises en vue de lutter contre le renchérissement et contre la surpopulation étrangère, la question a souvent été soulevée de savoir s’il n’y aurait pas lieu de passer à l’étranger certaines commandes et de transférer à l’étranger certaines industries ou certaines parties de la fabrication. C’est ainsi que, déjà en 1962, le 'Vorort' et l’Union centrale des associations patronales suisses ont invité leurs sections à examiner la possibilité de donner plus d’extension aux investissements à l’étranger. Ils ont mentionné en particulier le transfert et l’extension de centres de production dans les pays d’origine des travailleurs étrangers et ils ont attiré l’intention sur les avantages que pouvaient présenter dans cette question certaines mesures de politique douanière, comme le traitement douanier différentiel selon l’emploi (dédouanement par revers) et le trafic de perfectionnement. Il n’est certainement pas rationnel, aussi bien pour des raisons d’ordre économique que pour des

480 Ibid., p. 10.

481 Époux de Gertrud Bally, il occupe brièvement une place au sein du Conseil d’administration de l’entreprise en 1957. Voir : Base de données « élites suisses au XXe siècle », Université de Lausanne, URL : https://www2.unil.ch/elitessuisses/index.php.

482 Gustave Adolf Frey, Protokoll der 8. Sitzung des Vororts im Vereinsjahr 1962-1963, Zürich, 17.12.1962, p. 30. AfZ, IB Vorort-Archiv 1.5.3.17.

483USCI, 95e Rapport annuel et communications sur les affaires traitées par le Vorort pendant l’exercice 1964-1965 présentés par le Vorort à l’Assemblée des délégués, p. 106.

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motifs d’ordre politique ou culturel, de développer chez nous un appareil de production qui ne peut être maintenu qu’avec un appui toujours plus important de main-d’œuvre étrangère. […]

Par la suite, le Conseil fédéral a, à plusieurs reprises, attiré l’attention sur l’intérêt qu’il y aurait à transférer à l’étranger certaines parties de notre production industrielle. Si des projets de cette nature devaient rencontrer des difficultés d’ordre douanier, les demandes qui seraient présentées en vue d’obtenir certaines facilités, par exemple en matière de trafic de perfectionnement passif feraient l’objet d’un examen bienveillant »484.

Ces questions sont aussi abordées au sein de la Commission pour les questions de marché du travail (Kommission für Arbeitsmarktfragen) en présence des représentants de l’Union syndicale suisse (USS), qui n’y trouvent rien à redire485. Au contraire, ses membres affirment plaider constamment pour davantage de rationalisation et de délocalisations des productions à forte intensité de main-d’œuvre. À leurs yeux, le recours massif aux travailleurs étrangers a l’effet indésirable de freiner le changement structurel en Suisse486.

Le 15 novembre 1963, le Conseil fédéral émet un arrêté pour faciliter le transfert à l’étranger de la fabrication de certains produits par le biais de mesures douanières. Les principales branches concernées sont le textile, la broderie, la confection et la chaussure. L’entreprise de la chaussure Bally fait office de précurseuse, comme l’explique Heinrich Homberger :

« In der Frage der zollmässigen Erleichterung der Vergebung von Aufträgen ins Ausland war es die Firma von Herrn Dr. Frey, welche mit Hilfe von Vorort und Handelsabteilung als Eisbrecher aufgetreten ist »487.

Ces faveurs tarifaires sont accordées sur la base de l’art.7 de la loi sur les tarifs douaniers, qui prévoit des aménagements exceptionnels dans le cas où certains produits subiraient un renchérissement488. Cependant, comme le souligne Heinrich Homberger, ces mesures ne peuvent qu’être provisoires, normalement reconduites tous les deux ans, ce qui crée de l’incertitude489.

Aussi, il apparaît que malgré la volonté délibérée du Conseil fédéral de promouvoir l’internationalisation des entreprises, les attitudes sont quelque peu ambivalentes selon les services fédéraux concernés :

484 Ibid., p. 105.

485 SGB, Protokoll der Sitzungen des Bundeskomitees, Bern, 09.05.1962, p. 58. SGB-Archiv.

486 Idem.

487 Heinrich Homberger, SHIV, Protokoll der 8. Sitzung des Vororts im Vereinsjahr 1964-1965, Zürich, 01.02.1965, p. 13. AfZ, IB Vorort-Archiv 1.5.3.17. Traduction : « Dans les questions des allègements douaniers pour la sous-traitance de commandes, la firme de Monsieur le Dr Frey a été précurseur avec l’aide du Vorort et de la Division du commerce ».

488 La loi prévoit plutôt cela dans le cadre de guerre ou de catastrophe naturelle et non de surchauffe économique.

489 Heinrich Homberger, SHIV, Protokoll der 4. Sitzung des Vororts im Vereinsjahr 1965-1966, Zürich, 30.08.1965, p. 19. AfZ, IB Vorort-Archiv 1.5.3.18.

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« Von den Spitzen des Volkswirtschaftsdepartementes wird seit langem der Wille bekundet, der wohlwollenden Behandlung allfälliger Gesuche, die in dieser Richtung gehen, Vorschub zu leisten. Dem steht aber die eher traditionsgebundene Haltung der Oberzolldirektion gegenüber, die auf die Schranken hinzuweisen pflegt, welche die Zollgesetzgebung dem Veredlungsverkehr setzt »490.

Cette ambivalence est peu surprenante, car, par le passé, l’Office fédéral de l’industrie, des arts, des métiers et du travail (OFIAMT) et la Direction générale des douanes s’attelaient plutôt à freiner les délocalisations, principalement durant les années 1920 et jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale491. Concernant le trafic de perfectionnement, cette dernière veillait à s’assurer qu’il s’agissait bien d’une petite amélioration ou d’un embellissement, et pas d’une fabrication selon la loi de 1902. Avec la révision du tarif douanier de 1959, un assouplissement est apporté : l’article 17 stipule que des réductions ou exonérations peuvent être octroyées pour les biens soumis au trafic de perfectionnement si l’intérêt de l’économie est prépondérant et s’il n’existe pas d’intérêts contradictoires apparents. Pourtant le conservatisme règne, si bien que le Vorort regrette que la Direction des douanes évalue toujours le trafic de perfectionnement avec la même orthodoxie492.

Pour illustrer ces tensions, on peut citer à nouveau le cas de Bally qui témoigne qu’il est difficile pour les entreprises de profiter de nouvelles largesses dans l’application de la loi. En effet, la multinationale de la chaussure souhaite tirer avantage du régime douanier du trafic de perfectionnement pour élaborer des chablons à l’étranger493. La Direction des douanes refuse la requête dans un premier temps, au motif qu’il s’agit d’une production et non d’un perfectionnement, avant d’être court-circuitée par la Division du commerce qui pousse le Conseil fédéral à donner son aval. La stratégie du Vorort est alors de traiter les demandes spéciales des entreprises au cas par cas en collaboration avec la Division du commerce et la Direction générale des douanes494. Dans le cadre du trafic de perfectionnement, on retrouve donc encore une illustration de la propension de l’économie privée à participer très directement à sa propre régulation, en collaboration étroite avec les services fédéraux concernés.

490 SHIV, Rundschreiben vom 8.9.1965 zum Ergebnis der Umfrage über die Vergebung von Unteraufträgen sowie Verlagerung von Industrien ins Ausland, 09.1965, p. 1. AfZ, IB Vorort-Archiv 463.1.12. Traduction : « De la part de la tête du Département fédérale de l’économie publique, la volonté de traiter de manière bienveillante les potentielles demandes se manifeste depuis longtemps. À l’opposé se trouve l’attitude traditionnelle de la Direction générale des douanes qui s’attelle à insister sur les bornes que pose la loi sur le trafic de perfectionnement ».

491 Pour des exemples, voir : AF, E7170A#1000/1069#813*.

492 SHIV, Rundschreiben vom 8.9.1965 zum Ergebnis der Umfrage über die Vergebung von Unteraufträgen sowie Verlagerung von Industrien ins Ausland, 09.1965, p. 3. AfZ, IB Vorort-Archiv 463.1.12.

493 Idem.

494 Heinrich Homberger, SHIV, Protokoll der 4. Sitzung des Vororts im Vereinsjahr 1965-1966, Zürich, 30.08.1965, p. 18. AfZ, IB Vorort-Archiv 1.5.3.18.

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