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187 Heinrich Homberger, qu’une de ses secrétaires aurait lu dans le magazine ELLE, que des

jeunes filles de 20 ans pouvaient obtenir des salaires mensuels de 2000.- francs suisses. Celle-ci se serait ensuite renseignée et on lui aurait assuré la véraCelle-cité de l’information, en ajoutant qu’outre les compétences linguistiques, peu de qualifications étaient requises :

« Dazu kommt, dass sonst gar nicht viel von solchen Sekretärinnen erwartet wird, wenn sie bloss 'smart‘und ‘pretty‘ aussehen »637.

Outre le problème sur le marché du travail, les entreprises américaines sont également accusées de réaliser de conséquentes opérations sur le marché des capitaux suisses. Par exemple, la Dow Chemie à Bâle, une holding du groupe Dow Chemical, émet en Suisse un emprunt de 60 millions de francs638. Comme l’explique Michel de Rivaz, le président de la BNS, les flux financiers liés à l’activité des firmes américaines peuvent engendrer de potentiels effets déstabilisateurs :

« De par leur fonction de distributrices de licences, de centrales de vente et surtout de holding, ces sociétés sont en effet amenées à procéder à de nombreuses et diverses opérations financières. Suivant les circonstances, ces opérations pourraient avoir des répercussions défavorables sur notre économie. Il se pourrait par exemple que dans un temps de trop grande liquidité monétaire comme celle que nous vivons actuellement, où la Banque nationale s’efforce précisément d’arrêter l’afflux de capitaux étrangers, ces sociétés soient amenées à concentrer des fonds importants dans notre pays »639.

Cet élément n’est pas de moindre importance pour un pays comme la Suisse, où la BNS a pour habitude de négocier des gentlemen’s agreements avec les banques et les industries en vue de stabiliser la monnaie. Ce mode de régulation basé sur l’autodiscipline ne fonctionne donc que du moment où tous les acteurs clés de l’économie agissent de façon coordonnée.

Or, les multinationales américaines ne font pas forcément partie des associations patronales helvétiques et échappent donc potentiellement à ces mesures.

Les élites politiques et économiques s’inquiètent également des prises de contrôle d’entreprises suisses par le capital américain, phénomène qu’ils nomment couramment

« wirtschafltiche Überfremdung »640. Le Vorort discute de cette question lors d’une réunion en 1961, durant laquelle, Gustave Adolf Frey donne l’exemple d’une entreprise rachetée par les Américains à Paris où plusieurs Suisses occupant des fonctions dirigeantes ont été

637 Carl E. Koechlin, an Herrn Dr H. Homberger, Vorort des SHIV, Basel, 07.09.1962. AFZ, IB-Vorort Archiv, 54.2.28. Traduction : « À cela s’ajoute que sinon on n’attend pas grande chose de telles secrétaires, du moment où elles ont l’air ‘malignes’ et ‘belles’ ».

638 Michel de Rivaz, BNS, Exposé : Aspect économique de l’implantation de sociétés étrangères en Suisse, à la Conférence annuelle de l’Association des chefs de la police cantonale des étrangers, 15-16.09.1960, p. 4. AFZ, IB-Vorort Archiv, 54.2.24.

639 Ibid., p. 9.

640 Sur les mesures adoptées par les entreprises suisses pour se prémunir contre ce problème, voir : DAVID Thomas, MACH André, LÜPOLD Martin, SCHNYDER Gerhard (éd.), De la ‘Forteresse des Alpes’…, p. 41.

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« débarqués » (« ausgebootet ») après le changement de propriétaire641. Un autre membre du Vorort souligne même que le rachat d’entreprises suisses constitue la forme « la plus dangereuse » de pénétration étrangère642. Heinrich Homberger porte beaucoup d’attention à cette question et semble avoir particulièrement été marqué par la situation qui prévalait à la veille de la Première Guerre mondiale et des difficultés qui s’en sont suivies, lorsque les entreprises suisses ont été accusées de dissimuler des intérêts allemands643.

Enfin, l’arrivée en Europe et en Suisse de grandes entreprises américaines contribue à accentuer le déficit de la balance des paiements644. En attirant ces multinationales avec son cadre fiscal particulièrement attractif, la Suisse risque donc de devoir faire face à des reproches de la part du gouvernement américain.645 Comme l’anticipe Giuseppe Motta, vice-président de la BNS en 1960, certaines entreprises américaines réexportent même une partie de leur production aux États-Unis et cette « ‘concurrence en retour’ va sans doute émouvoir, et les syndicats américains, et le gouvernement qui s’efforce précisément d’améliorer la balance des paiements des États-Unis »646.

En raison des inconvénients précédemment listés, les élites politiques et le Vorort arrivent de plus en plus à la conclusion que davantage de retenue est de mise. Un de leurs premiers réflexes est d’éviter d’encourager les entreprises, notamment en leur relayant des informations pratiques ou d’ordre promotionnel pour faciliter leur implantation. En effet, lorsqu’à la fin des années 1950, le Consul général à New York fait savoir par correspondance à la Division du commerce647 et au Département politique suisse qu’il reçoit de plus en plus de demandes d’information de la part d’entrepreneurs américains, ce dernier lui transmet alors en retour les directives suivantes :

« En règle générale, nous estimons que les requérants américains doivent solliciter les informations d’ordre financier et économique sur la Suisse auprès de leurs autorités nationales, c’est-à-dire auprès du Département du commerce à Washington ou auprès de l’Ambassade des États-Unis à Berne. […] D’autre part, nous ne voyons pas d’objections à ce que, pour des motifs de courtoisie, nos représentants aux États-Unis fournissement certaines indications d’ordre général sur la situation en Suisse. Cependant, il ne leur appartiendrait pas,

641 SHIV, Protokoll der 2. Sitzung des Vororts im Vereinsjahr 1961-1962, 29.05.1961, p. 13. AfZ, IB Vorort-Archiv 1.5.3.16.

642 Heinrich Alexander Hürlimann-Hofmann, SHIV, Ibid., p. 13.

643 Heinrich Homberger, SHIV, Ibid., p. 12.

644 ROLLINGS Neil, « Multinational enterprise and government controls… », p. 403.

645 Ces craintes se concrétisent d’ailleurs avec l’arrivée de Kennedy au pouvoir. Concernant les tensions diplomatiques entre les deux pays et les stratégies des milieux concernés en Suisse pour défendre la pérennité de leurs affaires, voir : LEIMGRUBER Matthieu, « ‘Kansas City on lake Geneva… », p. 134-135.

646 Riccardo Motta, Vice-président de la Banque nationale suisse (BNS), Exposé : L’implantation des sociétés américaines en Europe et en Suisse, à la séance du Comité de banque, 21.07.1960, p. 4-5. AF, E2200.267-03#1969/226# 254*.

647 Gasser, Schweizerischer Generalkonsul in New York, an die Handelsabteilung des Eidgenössischen Volkswirtschaftsdepartementes (EVD), Bern, 30.03.1958. AF, E220.52-02#1981/114# 1022*.

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à notre avis, de faire œuvre de propagande et d’encourager par exemple l’établissement d’entreprises américaines en Suisse […] »648.

Le Département politique établit ces directives après avoir consulté le Vorort, qui insiste sur la surchauffe économique et le problème de la pénétration étrangère pour justifier la retenue en matière de promotion649. Les consulats suisses doivent surtout s’abstenir de toute publicité active (« Investitionspropaganda ») à l’inverse de ce que pratiquent d’autres pays européens, tels que la Belgique, qui souhaitent voir un maximum de multinationales s’installer650. Une circulaire de l’Ambassade suisse d’août 1960 est adressée aux différents consulats suisses aux États-Unis pour leur rappeler ces recommandations651. Il est également demandé de renoncer à diffuser les brochures réalisées par certains banquiers, cabinets d’avocats et sociétés de consulting652.

À la fin 1959, une séance est tenue dans les locaux de la Chambre de commerce de Genève à la demande de la Police des étrangers pour traiter à nouveau de la question des entreprises américaines arrivant en Suisse. À cette occasion, son directeur suggère de durcir les conditions d’octroi de permis d’établissement et d’établir une liste de critères devant entrer en ligne de compte pour évaluer les cas653. La Chambre de commerce de Genève fait alors savoir qu’elle ne considère pas changer sa position, se déclarant « dans l’ensemble très satisfaite que des entreprises nouvelles s’installent chez elle », lesquelles « bénéficient d’ailleurs d’un traitement fiscal privilégié »654. Celle-ci avait d’ailleurs convié un mois auparavant, sous la présidence de son Directeur Albert Pictet, un gratin d’expatriés américains en vue de cultiver de bons contacts avec cette communauté655. Prenant acte de

648 V. Long, Directeur des Affaires politiques, Département politique fédéral (DPF), à l’Ambassade de Suisse à Washington, copie au Consulat général de Suisse à New York et au Directoire de l’USCI à Zurich, 12.04.1958. AF, E220.52-02#1981/114# 1022*.

649 Heinrich Homberger & Bernard Wehrli, SHIV, Auskunfterteilung an amerikanische Industrie, an das EPD, Zürich, 10.04.1958. AF, E220.52-02#1981/114# 1022*.

650 La Belgique use d’une propagande massive pour attirer les investissements, impliquant ses services consulaires, des offices de développement régional, voire même la famille royale. Sur les investissements américains en Belgique voir: MINGRET Paul, « Les investissements américains en Belgique », Géocarrefour, vol. 45, n° 3, 1970, p. 243–278 ; HOLLANDER Jacques, Les investissements américains en Belgique, Bruxelles : Ed. du Centre Paul Hymans, 1963, 221 p ; MICHEL Roland, Les investissements américains en Belgique, Bruxelles : Centre de recherche et d’information sociopolitiques, 1971, 171 p.

651 Embassy of Switzerland, Kreissschreiben Nr°116, an die konsularischen Vertretungen in den USA, 23.08.1960. AF, E220.52-02#1981/114# 1022*.

652 Embassy of Switzerland, Kreisschreiben Nr.122, an die schweizerischen konsularvertretungen in den Vereinigten Staaten, 26.09.1960. AF, E2200.267-03#1969/226# 254*.

653 M. E. P. Maeder, Directeur de la Police fédérale des étrangers, Séance tenue à la demande de la Police fédérale des étrangers, à la Chambre de commerce de Genève, 12.11.1959, p. 2. AFZ, IB-Vorort Archiv, 54.2.24.

654 Séance tenue à la demande de la Police fédérale des étrangers, le 12 novembre 1959 à la Chambre de commerce de Genève, p. 3. AfZ, IB-Vorort Archiv, 54.2.24.

655 NZZ, Genfer Handelskammer und die Niederlassung amerikanischer Firmen, N°3187, 20.10.1959, AfZ, IB-Vorort Archiv, 54.2.24.

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