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90 En outre, devenir une communauté d’intérêt implique un processus d’inclusion et

d’exclusion. En effet, pour garantir une certaine homogénéité au sein d’Industrie-Holding, des critères sélectifs sont édictés ayant trait à la nationalité de l’entreprise et à la gestion de participations industrielles à l’étranger sur le long terme. Les enjeux identitaires et de catégorisation sont nombreux, pour se distinguer des intérêts financiers et de l’industrie d’exportation, mais aussi pour se positionner par rapport aux autres associations économiques comme le Vorort ou l’ASB.

Finalement, ce chapitre montre comment Industrie-Holding, malgré sa volonté de faire prendre conscience des intérêts spécifiques relatifs aux sociétés multinationales, s’intègre rapidement dans le système de coordination patronale suisse et développe des liens avec les autorités fédérales. Ces liens sont de nature principalement confidentielle, limités à des contacts avec quelques hauts fonctionnaires clés. Cet accès direct aux autorités fait qu’Industrie-Holding n’a pas spécialement besoin de soigner ses relations publiques ni de dialoguer avec les syndicats. Les modalités de fonctionnement de cette association expliquent donc certainement pourquoi celle-ci demeure toujours relativement méconnue de nos jours.

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Chapitre 2. Industrie-Holding — 75 ans de services rendus aux multinationales

Industrie-Holding, rebaptisée SwissHoldings en 2004, comptabilise plus de 75 ans d’activité au service des multinationales. De nos jours, l’association se définit de la manière suivante :

« SwissHoldings est une fédération qui représente les intérêts des sociétés multinationales des secteurs industriels et de service ayant leur siège en Suisse »252. Selon son site internet, SwissHoldings travaille à promouvoir de bonnes conditions-cadres en Suisse pour les multinationales et l’ouverture des marchés au niveau international253.

Grâce à sa longévité, Industrie-Holding offre une opportunité unique pour suivre de manière systématique les questions politiques auxquelles les multinationales se sont intéressées depuis l’après-guerre254. En effet, nous ne disposons pas d’exemples d’associations de multinationales existant dans d’autres pays sur une aussi longue durée. Celles que l’on connaît de nos jours ont été créées bien plus tardivement. Par exemple, l’association étasunienne Business Roundtable, qui regroupe principalement des sociétés multinationales (America’s largest companies), n’est créée qu’en 1972255. Son homologue au niveau européen, l’European Round Table of Industrialists (ERT) est créée une décennie plus tard, en 1983256.

Outre le fait de suivre les activités d’influence exercées par Industrie-Holding et les services qu’elle fournit à ses sociétaires, il est également intéressant d’étudier l’évolution de ses membres, reflet du processus d’internationalisation de l’économie suisse. En effet, Industrie-Holding se développe considérablement au fil du XXe siècle, passant d’un groupe d’une dizaine d’entreprises qui se réunit durant la Seconde Guerre mondiale à une association de plus de cinquante entreprises qui représentent 56 % de la capitalisation boursière suisse en 2010257. Il s’agit donc d’analyser au fil du temps quels secteurs sont considérés comme internationalisés et quelles firmes s’identifient ou sont identifiées comme des multinationales.

Le chapitre se structure en deux parties. La première répertorie les différents volets de l’activité d’Industrie-Holding. Elle analyse comment l’association se concentre dans un premier temps sur des activités d’influence plutôt défensives, avant de devenir plus proactive et de militer pour la création de certains outils institutionnels. La deuxième partie présente

252 SwissHoldings, 15.02.2018. URL : http://www.swissholdings.ch/fr/notre-federation/.

253 SwissHoldings, 05.05.2019. URL : https://swissholdings.ch/fr/.

254 Margrit Müller décrit brièvement les activités d’Industrie-Holding, voir : MÜLLER Margrit,

« Internationale Verflechtung », in : HALBEISEN Patrick, MÜLLER Margrit, VEYRASSAT Béatrice (Hrsg.), Wirtschaftsgeschichte der Schweiz im 20. Jahrhundert, Basel : Schwabe, 2012, p. 339-466.

255 Business Roundtable, 28.11.2018. https://www.businessroundtable.org/.

256 European Round Table of Industrialists, 28.11.2018. URL : https://www.ert.eu/about-us#ERT-Mission.

257 SwissHoldings, Jahrebericht 2010/2011, p. 62.

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l’évolution des membres d’Industrie-Holding. Il ne s’agit pas uniquement d’énumérer les sociétaires à différentes dates, mais aussi d’étudier quelles considérations stratégiques influencent les choix des membres d’Industrie-Holding d’accepter ou non de nouvelles entreprises.

2.1 Intérêts stratégiques : de la gestion des risques politiques au façonnement du Standort Schweiz

Comme l’a montré le chapitre 1, la création d’Industrie-Holding est inextricablement liée aux problèmes que pose la Seconde Guerre mondiale aux entreprises ayant des filiales à l’étranger. Dans l’immédiat après-guerre, l’association déploie donc ses efforts pour favoriser un retour à la normale. Ce but est clairement exprimé dès 1944 :

« […] dès maintenant nous ne saurions assez avoir présente à l’esprit la grande tâche qui nous incombera au lendemain de la cessation des hostilités et pendant la période transitoire qui suivra, lorsqu’il s’agira, en collaboration avec les diverses instances intéressées, de

‘reconstruire’, c’est-à-dire de rétablir nos relations économiques et financières avec l’étranger, relations d’importance vitale pour nos entreprises »258.

Un retour à la normale signifie concrètement rétablir la libre circulation des biens et des capitaux et réintroduire la libre convertibilité des monnaies. Tant que la libre convertibilité n’est pas rétablie, l’échange se fait de manière bilatérale selon laquelle les gouvernements contractants se mettent d’accord sur une liste de biens à échanger à un taux de change donné259.

Dès 1944, Industrie-Holding se réjouit des efforts « déployés pour arriver à une collaboration reposant sur de larges bases internationales », saluant en ce sens les accords de Bretton Woods et les nombreuses conférences commerciales envisagées260. L’association est néanmoins très lucide sur les limites des accords multilatéraux et la nécessité pour la Suisse de conclure, faute de mieux, des accords bilatéraux le plus rapidement possible pour rétablir le trafic des paiements. Dès 1946, certains transferts financiers sont rétablis avec la Grande-Bretagne, la France, les Pays-Bas et la Belgique. Pour les négociations avec la France, Edmond Barth, administrateur-délégué d’Elektrobank participe aux négociations en tant qu’expert, de même que Théodore Waldesbühl, directeur de Nestlé, assiste aux pourparlers conduits avec l’Espagne261.

258 Industrie-Holding, 2e Rapport annuel, Exercice du 1 janvier 1944 au 31 décembre 1945, présenté par le Comité à l’assemblée générale, Bern, 06.02.1945, p. 3. CH SWA PA 600a 37-5.

259 EICHENGREEN Barry, The European economy since 1945 : coordinated capitalism and beyond, Princeton : Princeton University Press, 2007, p. 73.

260 Industrie-Holding, 3e Rapport annuel, Exercice du 1 janvier 1945 au 31 décembre 1944, présenté par le Comité à l’assemblée générale des sociétaires, Bern, 13.02.1946, p. 3. CH SWA PA 600a 37-5.

261 Industrie-Holding, 6e Rapport annuel, Exercice du 1 janvier 1948 au 31 décembre 1948, présenté par le Comité à l’assemblée générale des sociétaires, Bern, 08.02.1949, p. 2. CH SWA PA 600a 37-5.

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