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184 De plus, il semble que ce soit la concentration de l’arrivée des firmes américaines sur un laps

de temps très court qui interpelle. La Police des étrangers rapporte notamment la création de 319 nouvelles entreprises en 1960, dont environ 160 à Genève et 135 à Zurich626. Concrètement, ces implantations, si elles entrent toutes dans la catégorie des sociétés anonymes de droit suisse, peuvent revêtir des formes très diverses, allant du site de production à la simple boîte aux lettres, en passant par les centres de recherches et les bureaux administratifs. Certaines entreprises, à l’instar de la General Electric, créent plusieurs sociétés dans différentes villes suisses remplissant chacune une fonction qui leur est propre627. Certaines sociétés croissent à un rythme soutenu, comme Du Pont de Nemours qui, lors de son établissement à Genève en 1959, n’occupait que cinq personnes, et qui un an plus tard occupe une quarantaine d’étrangers et environ 200 employés suisses628. Si jusqu’en 1963 le montant des IDE suisses aux USA est plus important que celui des IDE américains en Suisse, la tendance s’inverse au milieu des années 1960 (cf. figure 22).

626 Henri Tzaut, Eidgenössische Fremdenpolizei, Schw. Eidgenoessisches Politisches Department (EPD), Niederlassung amerikanischer Firmen in der Schweiz, Interdepartementale Besprechung, Bern, 19.06.1961, p. 4. AF, E2200.267-03#1969/226# 254*.

627 Riccardo Motta, Vice-président de la Banque nationale suisse (BNS), Exposé : L’implantation des sociétés américaines en Europe et en Suisse, à la séance du Comité de banque, 21.07.1960, p. 5-6. AF, E2200.267-03#1969/226# 254*.

628 Ibid., p. 12. Sur la stratégie d’internationalisation de Du Pont jusqu’à la fin des années 1960, voir : LOMBARDI Liza, When Du Pont went global: how the Du Pont family built a multinational empire (1910-1967), Genève : Thèse de doctorat de l’Université de Genève, 2014, 390 p.

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Figure 22. Investissements directs à l’étranger en provenance des États-Unis vers la Suisse et en provenance de la Suisse vers les États-Unis.

Source : Comité de la BNS, 21.07.1960, AF, E2200.267-03#1969/226# 254* et Kurt Payer, 1971, p. 126.

Pour faciliter l’arrivée de ces multinationales, tout un écosystème de conseillers financiers et juridiques se développe629. Témoignant de l’essor de ce secteur d’activité, les brochures et les documents destinés aux ressortissants américains souhaitant établir leurs affaires en Suisse se multiplient. Par exemple, l’Allgemeine Treuhand AG, basée à Bâle, publie une brochure intitulée Conducting Business in Switzerland de même que J Vontobel & Co., un bureau de banquiers zurichois, diffuse un guide Formation of Subsidiary, Taxation in Switzerland etc.630 On peut encore citer la brochure Swiss Tax Shelter Opportunities for U.S.

Business, élaborée par un expert fiscaliste de la région de Bâle, qui souhaite par ses services alléger la « tremendous tax burden » dont souffrent les sociétés américaines631. Outre ces services proposés en Suisse, les instances officielles américaines fournissent également des conseils pratiques. Le US Department of Commerce publie par exemple au début des années 1960 une brochure informative intitulée Living conditions in Switzerland destinée aux entreprises poursuivant des activités en Suisse ou ayant l’intention de s’y adonner dans un futur proche. Son contenu détaille les prérequis administratifs et juridiques nécessaires, le régime fiscal en vigueur, tout en dispensant quelques informations insolites sur la culture et la vie quotidienne en Suisse. En voici un petit florilège :

629 LEIMGRUBER Matthieu, « ‘Kansas City on lake Geneva… », p. 130.

630 Idem.

631 Silvio Bianchi, Accountant and Tax Consultant, Basel & Dr. Otto L. Walter, Attorney at Law New York, Swiss Tax Shelter Opportunities for U.S. Business, Schulthess & Co. AG, Zurich, 1960. AFZ, IB-Vorort Archiv, 54.2.24.

Année IDE US en Suisse (en millions de $)

IDE suisse aux USA (en millions de $)

1950 25 DM

1958 82 DM

1960 254 DM

1962 553 DM

1963 672 820

1964 944 900

1965 1 116 DM

1968 1436 DM

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« ‘Electric refrigerators are sometimes provided with houses or apartments, but most of them are very small by U.S. standards and are inadequate in ice making or storage capacity. [...]

Pasteurized and raw milk are readily obtainable but the milk standard in a few Cantons is not up to that of the United States. It is wise, therefore, when buying raw milk to use a home pasteurizing unit brought from the United States. […] Local conditions in certain areas may affect some individuals prone to particular afflictions. For example, in the Bern area, goiter is rather prevalent, and people inclined to develop goiter should take necessary precautions […]

Social life in Switzerland can best be described as rather quiet on the whole. Much of the Swiss entertaining is done in the family or in small groups. Many Swiss are reserved towards foreigners and acceptance into the family groups will depend largely on initiative in developing Swiss friends »632.

Le Consul général suisse à New York est aussi régulièrement approché par des entrepreneures souhaitant des informations supplémentaires633.

Si jusqu’alors le Vorort et les autorités fédérales s’étaient accordés pour adopter une attitude libérale envers l’implantation des multinationales américaines, l’inquiétude devient palpable en raison de l’emballement du phénomène au début des années 1960 et des externalités négatives qui l’accompagnent. En effet, les entreprises américaines représentent un facteur de croissance supplémentaire particulièrement malvenu au moment même où les autorités suisses cherchent à freiner l’expansion de l’économie (cf. chapitre 3). À ce sujet, le Vorort souligne qu’il s’agit d’une « nouvelle composante de la surexpansion », augmentant la demande en personnel, surfaces de bureaux, logements et biens de consommation634. L’inquiétude principale du patronat suisse se focalise toujours sur la concurrence que les entreprises étasuniennes exercent sur le marché de l’emploi déjà tendu, en particulier en ce qui concerne les travailleurs qualifiés.

Certes, cette problématique avait déjà occupé les élites économiques et politiques suisses dans les années 1950, comme montré dans la première partie de ce chapitre, mais les inquiétudes se renforcent à mesure que la présence américaine s’accentue. La Chambre de commerce zurichoise souligne par exemple l’effet néfaste des conditions offertes par les sociétés américaines sur le niveau de salaires de la main-d’œuvre féminine occupée aux tâches administratives635. Elle accuse les dirigeants américains d’appliquer simplement le taux de change et d’offrir des salaires similaires à celui en vigueur aux États-Unis, causant une « augmentation des inégalités sociales » en Suisse et une « mise en danger de la paix du travail » 636! Carl Koechlin, directeur de Geigy, rapporte quelque peu outré dans une lettre à

632 U.S. Departement of commerce, Bureau of international programs, World trade information service, Living conditions in Switzerland, Part 2 n° 61. AF, 2200.267-03#1969/26# 258*.

633 EPD, Auskunfterteilung an amerikanische Industrie, an das Schweizerische Generalkonsulat in New York, Bern, 23.04.1958. AF, E220.52-02#1981/114# 1022*.

634 SHIV, Protokoll der 8. Sitzung des Vororts im Vereinsjahr 1959-1960, Zürich, 14.12.1959, p. 12. AfZ, IB Vorort-Archiv 1.5.3.15.

635 Zürcher Handelskammer, Amerikanische Niederlassung und Büropersonalmangel, an den Vorort des SHIV, 19.02.1960, p. 1-2. AFZ, IB-Vorort Archiv, 54.2.24.

636 Zürcher Handelskammer, Entwurf eines Merkblattes: Sie wollen eine Geschäftsniederlassung in der Schweiz eröffnen?, 06.01.1961. AFZ, IB-Vorort Archiv, 54.2.28.

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