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181 sont amenées à revoir leurs copies quant aux directives qu’elles donnent aux entreprises

américaines concernant les engagements. En effet, marquées par le souvenir des crises économiques, celles-ci ont tendance à inciter les firmes étrangères à engager du personnel suisse prioritairement. Par exemple, lors de l’arrivée de la RCA en 1955, les autorités zurichoises avaient lié l’octroi de permis pour les cadres à la condition d’engager des ingénieurs suisses. En raison de la tension sur le marché du travail, la Société suisse des constructeurs de machines (VSM) avait alors demandé de renoncer à ce genre de pratique613. Bernard Wehrli, secrétaire du Vorort, souligne également l’importance de changer de paradigme et d’inciter les multinationales américaines à amener leurs propres ingénieurs, même si en règle générale les « principes de bases des autorités sont justes et ne doivent pas être jetés par-dessus bord »614.

La Police fédérale des étrangers envoie une circulaire datée du 14 janvier 1957 à ses sections cantonales sur la question de l’établissement de laboratoires de recherche par des firmes étrangères, principalement américaines615. Celle-ci reprend dans les grandes lignes les considérations évoquées lors de la réunion organisée par l’OFIAMT avec les milieux patronaux concernés. L’attitude libérale reste donc de mise. Le Vorort informe aussi ses affiliés début janvier du résultat des discussions, soulignant « que leurs cercles ne peuvent pas exiger de mettre des bâtons dans les roues » aux multinationales américaines en refusant l’octroi de permis de travail et d’établissement616.

Ces prises de position de la Police des étrangers et du Vorort font que les permis sont effectivement accordés dans la majorité des cas. Par exemple, la Chambre de commerce de Zurich rapporte qu’entre janvier 1957 et avril 1959, sur 91 cas évalués, seules cinq requêtes ont été jugées négativement617. De plus, une coopération se met progressivement en place entre les centres de recherche et développement américains et le réseau académique helvétique, surtout avec l’EPFZ. Plusieurs professeurs de cette institution collaborent dès 1959 avec IBM, la RCA ou encore Monsanto618.

613 Ernst Speiser, Brown Boveri & Cie, Betr. : Errichtung von amerikanischen Forschungslaboratorien in der Schweiz, zu dem VSM, Baden, 26.05.1956. AFZ, IB-Vorort Archiv, 54.2.20.

614 Bernard Wehrli, SHIV, Konferenz betreffend die fremdenpolizeiliche Praxis gegenüber amerikanischen Forschungsinstituten und – Laboratorien in der Schweiz, Im Konferenzsaal des BIGA, Bern, 30.08.1956, p. 3-4. AFZ, IB-Vorort Archiv, 54.2.20.

615 Eidg. Fremdenpolizei, Kreisschreiben Nr.777 betr. Die Errichtung von Forschungsinstituten in der Schweiz durch ausländische (amerikanische) Firmen, an die kantonalen Fremdenpolizeibehörden, 14.1.1957. AF, E4300C-01#1960/27# 65*.

616 Vorort des SHIV, Errichtung von Forschungsinstituten in der Schweiz durch ausländische (vor allem amerikanische) Firmen, an die Handelskammern und interessierten Fachverbände, 07.01.1957, p. 1-2.

AFZ, IB-Vorort Archiv, 54.2.20.

617 Zürcher Handelskammer, Amerikanische Zuwanderung und Fremdenpolizei, an den Vorort des SHIV, 05.05.1959, p. 3. AFZ, IB-Vorort Archiv, 54.2.24.

618 Prof. Dr. H. Pallmann, Präsident des Schweizerischen Schulrates, Besprechung von 30.06.1959, Capitalization on European Science, Bern, 07.07.1959. AFZ, IB-Vorort Archiv, 54.2.20.

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4.2 Du laissez-faire au contrôle : un travail de Sisyphe pour le Vorort et la Police des étrangers

En vérité, la question de l’implantation des entreprises américaines n’est réglée que très provisoirement et ressurgit avec vigueur au début des années 1960. En effet, ce thème fait couramment les gros titres dans la presse, surtout à Genève et Zurich, les villes les plus directement concernées619. Par exemple, dans un article au titre évocateur, « Saturation », le conseiller national Olivier Reverdin du Parti libéral suisse pose la question des limites de la capacité d’accueil de Genève, tout en soulignant que l’arrivée des multinationales américaines « stimule l’économie » genevoise et « l’entraîne dans le courant du commerce mondial »620. Bernard Wehrli, membre du secrétariat du Vorort, interprète cet article comme la reconnaissance publique d’un mouvement qui s’accentue :

« Er bildet eine interessante Illustration für Erscheinungen, die vor allem auf dem Platz Genf evident geworden sind, sich aber auch in Zürich und andern Städten bemerkbar machen: Die Zahl der Gründungen von Tochtergesellschaften amerikanischer Firmen in der Schweiz ist in starkem Zunehmen begriffen. Meist handelt es sich um sogenannte Europavertretungen oder Europazentren, die im Zusammenhang mit der wirtschaftlichen Integration des Kontinents errichtet werden. Waren es anfänglich nur grosse amerikanische Konzerne mit allgemein bekannten Namen, die solche Tochtergesellschaften gründeten, so scheinen nun in vermehrten Masse auch kleinere und mittlere amerikanische Firmen dem Beispiel zu folgen »621.

Les témoignages de ce type se multiplient dans la presse, mais aussi dans les milieux politiques et au sein de l’administration fédérale622. L’attraction exercée par certaines villes suisses n’échappe d’ailleurs pas à la presse américaine, le New York Times relatant notamment :

619 Le titre de l’article de Matthieu Leimgruber paru en 2015, « Kansas City on Lake Geneva » est d’ailleurs repris d’un article de presse « Kansas City am Genfersee » publié par le Schweizerischer Beobachter le 31 janvier 1961 qui témoigne de l’attention médiatique portée à l’arrivée des multinationales américaines.

620 Olivier Reverdin, Saturation, Journal de Genève, 31.10.1959, p. 1-2. Archives Le temps URL : http://www.letempsarchives.ch.

621 SHIV, Protokoll der 8. Sitzung des Vororts im Vereinsjahr 1959-1960, Zürich, 14.12.1959, p. 16. AfZ, IB Vorort-Archiv 1.5.3.15. Traduction : « Il représente une intéressante illustration d’une manifestation qui est devenue particulièrement évidente sur la place de Genève, mais qui se laisse aussi remarquer à Zurich et dans d’autres villes: le nombre de créations de filiales de firmes américaines en Suisse augmente considérablement. Il s’agit pour la plupart desdits centres européens qui sont érigés en lien avec le processus d’intégration économique du continent. Si c’était au début principalement des gros groupes américains au nom connu qui fondaient de telles filiales, il apparaît que davantage de petites et moyennes firmes américaines suivent l’exemple ».

622 Voir par exemple: Riccardo Motta, Vice-président de la Banque nationale suisse (BNS), Exposé : L’implantation des sociétés américaines en Europe et en Suisse, à la séance du Comité de banque, 21.07.1960. AF, E2200.267-03#1969/226# 254*.

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« ‘Big burgers’ in Geneva restaurants, Chevrolets in the roads and blue jeans in the streets, the baby-sitter industry, little girls from the Midwest shopping for ketchup – they are all part of what some Genevois like to call the ‘American invasion’. [...] But it is an invasion with several differences. It is welcomed by the government of the ‘victim’ state and most of its citizens. It is an invasion not of troops or even tourists but of people with money to spend the year round, and work to do. [...] Most of all, it is the willingness of the Geneva canton to give American companies just about the best tax break they can find anywhere that has brought them to Geneva »623.

Les élites politiques et économiques du pays tentent alors de mettre une réalité chiffrée sur ce phénomène en établissant par exemple des listes d’entreprises américaines établies en Suisse, du montant des investissements étasuniens ou encore du nombre de citoyens américains résidant dans le pays. Ainsi, dans les années cinquante, la Police des étrangers note une hausse du nombre de ressortissants des États-Unis résidant en Suisse, qui passent de 2 765 en 1950 à 4 800 en 1958, tout en soulignant que le problème n’est pas « quantitatif, mais qualitatif »624. En effet, comparé par exemple au nombre d’immigrés italiens (cf.

chapitre 6), le nombre de ressortissants américains semble totalement dérisoire : ils ne représentent qu’environ 1,1 % des 425 000 étrangers présents en Suisse en 1959625. Pourtant, les fonctions dirigeantes qu’occupent bon nombre de ces individus leur donnent un poids non négligeable aux yeux des autorités et du patronat helvétique.

Figure 21. Ressortissants des États-Unis établis en Suisse.

Source : Statistique historique de la Suisse HSSO, 2012. Tab. B.21. hsso.ch/2012/b/21.

623 Swiss welcome Yankee invasion by tax-minded business men, 26.01.1960, The New York Times. AF, E220.52-02#1981/114# 1022*.

624 Eidgenössische Fremdenpolizei, an die Handelsabteilung des Eidg. Volkswirtschaftsdepartementes, 14.10.1959, p. 2-3. AFZ, IB-Vorort Archiv, 54.2.24.

625 E. P. Maeder, Directeur de la Police fédérale des étrangers, Séance tenue à la demande de la Police fédérale des étrangers, à la Chambre de commerce de Genève, 12.11.1959, p. 1. AFZ, IB-Vorort Archiv, 54.2.24.

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