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69 localisation de nombreuses filiales dans certaines villes suisses. Il analyse aussi comment les

milieux organisant ce système ont œuvré à le défendre contre les critiques du gouvernement américain et au sein du comité fiscal de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)180. Janick Schaufelbuehl met également en avant le rôle central de la fiscalité pour expliquer l’arrivée des filiales américaines et souligne la manière dont des liens transatlantiques entre les milieux d’affaires se sont créés pour défendre ces investissements181. Les études de Leimgruber et de Schaufelbuehl montrent donc comment les avantages de localisation, tels que le régime fiscal ou encore les choix politiques de favoriser ou d’entraver les investissements directs à l’étranger peuvent être sujets aux influences des groupes d’intérêt. Pour l’entre-deux guerre, Christophe Farquet montre également comment certains milieux économiques suisses cherchent à influencer les cadres institutionnels internationaux pour échapper à l’imposition, notamment par la conclusion d’accords de double imposition qui profitent particulièrement aux multinationales182. La partie qui suit cherche donc à compléter la littérature mentionnée, en montrant comment l’activité politique des multinationales fait partie intégrante des activités des dirigeants des entreprises depuis 1942, quel que soit le contexte intérieur et international. Elle vise à comprendre pourquoi ces dirigeants s’engagent dans la représentation collective de leurs intérêts en fondant une association, Industrie-Holding. Nous analyserons les critères d’adhésion de l’association, ainsi que son mode opératoire. Enfin, il s’agit de montrer comment le groupe d’entreprises représentées au sein de cette association évolue au fil du siècle et quelles thématiques sont traitées selon les périodes considérées.

180 LEIMGRUBER, Matthieu, « ‘Kansas City on lake Geneva’ Business hubs, tax evasion, and international connections around 1960 », Zeitschrift für Unternehmensgeschichte (ZUG,) vol. 60, n° 2, 2015, p. 123–

140.

181 SCHAUFELBUEHL, Janick Marina, « The transatlantic business community faced with US direct investment in Western Europe, 1958–1968 », Business History, vol. 58, n° 6, 2016, p. 883.

182 FARQUET Christophe, « Tax avoidance, collective resistance, and international negotiations: Foreign tax refusal by Swiss banks and industries between the two world wars », Journal of Policy History vol.25, n° 3, 2013, p. 334–353.

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Chapitre 1. Industrie-Holding : Genèse

Ce chapitre retrace la genèse du Groupement des holdings industrielles, dit Industrie-Holding, qui regroupe certaines entreprises suisses possédant des filiales à l’étranger à partir de 1942. Étudier la genèse de cette association permet de comprendre dans quel contexte et pour quelles raisons certaines entreprises décidèrent de se regrouper pour défendre leurs intérêts liés à leur caractéristique spécifique de « multinationale », bien avant que l’expression ne soit inventée. En effet, si l’étude des multinationales s’est développée à partir des années 1960, l’utilisation anachronique de ce terme pour décrire le comportement de certaines entreprises dès la fin du XIXe siècle ne dit rien de leur autoperception : étaient-elles conscientes d’appartenir à une catégorie spécifique de firmes ayant des filiales à l’étranger ? Cette question a son importance, car l’auto-identification à ce type d’entreprises spécifiques que sont les « multinationales » est la condition préalable à toute activité de lobbying et à toute réflexion d’un « nous » versus un « eux ».

Malgré l’importance de ses membres, Industrie-Holding n’a fait l’objet que de peu d’attention académique. Margrit Müller est la première à avoir décrit le groupement sur la base de ses rapports annuels et certains auteurs qui ont étudié le développement du droit des sociétés anonymes, comme Martin Lüpold, en font ponctuellement mention183. Seules deux publications anniversaires lui sont exclusivement consacrées et ont été publiées par l’association elle-même184. Il reste donc encore beaucoup à faire pour comprendre le rôle de cette organisation. Ceci semble d’autant plus important qu’à notre connaissance, il n’existe pas d’études portant sur les associations similaires qui existent à la sortie de la Deuxième Guerre mondiale dans d’autres pays : Committee of British industrial interests in Germany, Association des intérêts industriels belges à l’étranger, Commissie voor nerderlandse industriele belangen in Duitsland, Association pour la sauvegarde et l’expansion des biens et intérêts français à l’étranger185. C’est à peine si l’on trouve la trace de leur existence186 et l’on ignore dans quelle mesure elles ont perduré ou si elles étaient simplement liées à la

183 MÜLLER Margrit, « Internationale Verflechtung », in : HALBEISEN Patrick, MÜLLER Margrit, VEYRASSAT Béatrice (Hrsg.), Wirtschaftsgeschichte der Schweiz im 20. Jahrhundert, Basel : Schwabe, 2012, p. 339-466. ; LÜPOLD Martin, Der Ausbau der ‘Festung Schweiz’ : Aktienrecht und corporate governance in der Schweiz, 1881-1961, Universität Zürich, 2010, p. 726, p. 740. ; Le livre sur la gouvernance d’entreprises en fait aussi mention : DAVID Thomas, MACH André, LÜPOLD Martin, SCHNYDER Gerhard (éd.), De la ‘Forteresse des Alpes’ à la valeur actionnariale : histoire de la gouvernance d’entreprise Suisse (1880-2010), Zürich : Seismo, 2015, p. 184, p. 243, p. 384.

184 Holding, Holding - 1942-1967 - 25 Jahre Vereinigung schweizerischer Industrie-Holdinggesellschaften : Jahresbericht 1967, Bern : Vereinigung schweizerischer Industrie-Holdinggesellschaften, 1968. ; Industrie-Holding, Industrie-Holding : Ein Verband besonderer Prägung.

Bern : Vereinigung schweizerischer Industrie-Holdinggesellschaften, 1993.

185 Groupement des Holdings industrielles, Séance du Comité du 12.06.1953, Tractandum n°2 Allemagne— Reprise du transfert des revenus des investissements. CH SWA, PA 660a 37-2.

186 Merci à Tobit Vandamme qui a signalé la mention de l’Association des intérêts industriels belges à l’étranger dans le chapitre 13 « Solvay's Second Postwar Period » de l’ouvrage suivant : BERTRAMS Kenneth, COUPAIN Nicolas, HOMBURG Ernst, KURGAN-VAN HENTENRYK Ginette (eds), Solvay : history of a multinational family firm, Cambridge : Cambridge University Press, 2013, 650 p.

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protection des avoirs en Allemagne dans l’après-guerre. L’étude d’Industrie-Holding offre donc une contribution sur le lobbying collectif des sociétés multinationales, un thème très peu traité dans la littérature en histoire économique.

L’analyse repose sur le dépouillement d’archives inédites conservées aux Archives économiques de Bâle dans les fonds d’Alusuisse et de l’entreprise alimentaire Hero, qui étaient toutes deux des multinationales membres d’Industrie-Holding. On y trouve certains documents fondateurs d’Industrie-Holding (statuts, premiers recensements de leurs intérêts à l’étranger) et des documents internes et confidentiels (procès-verbaux des réunions du comité et de l’assemblée générale), ce qui permet d’entrer dans les rouages du fonctionnement de l’association.

La première partie du chapitre étudie comment la constitution d’Industrie-Holding est liée au contexte de 1942 et aux difficultés spécifiques que la Seconde Guerre mondiale pose aux sociétés qui possèdent des filiales à l’étranger. Elle met également en lumières quels critères de sélection sont retenus et la logique de ces choix. La deuxième partie étudie le rôle d’Industrie-Holding face aux autres associations patronales suisses existantes et les liens qu’elle développe avec les autorités fédérales. Elle vise aussi à donner un aperçu de son mode opératoire pour exercer son influence et de ses techniques de communication.

1.1 S’unir dans l’adversité : la réponse politique des multinationales en 1942

Pour expliquer la constitution du Groupement des holdings industrielles, il est crucial de comprendre les difficultés engendrées par la Seconde Guerre mondiale pour les entreprises possédant des filiales à l’étranger. Pour les multinationales, un des problèmes les plus pressants est de parvenir à rapatrier leurs revenus : bénéfices, dividendes, droits de licence, etc. Ceci n’est pas chose aisée en raison des fortes restrictions imposées par les États sur le trafic des paiements. En effet, depuis l’entre-deux-guerres, les relations économiques entre pays européens sont régies par des accords de clearing, où les exportations sont favorisées au détriment du rapatriement des revenus des capitaux187. Cette mise au second plan des transferts financiers s’explique par la volonté de la Confédération d’assurer les places de travail en Suisse et par la forte influence de l’industrie d’exportation, notamment représentée par la puissante Union suisse du commerce et de l’industrie (USCI), appelée communément Vorort. En effet, comme le souligne Fritz Schnorf, président d’Aluminium Industrie AG lors d’une réunion du Comité d’Industrie-Holding, « […] il s’agissait de faire face au principe qui était en honneur à cette époque : le travail avant le capital »188. Si cette priorisation de l’industrie d’exportation porte atteinte aux intérêts bancaires, il s’agit également d’un problème crucial pour les multinationales industrielles.

187 PERRENOUD Marc, Banquiers et diplomates Suisses : 1938-1946, Lausanne : Ed. Antipodes, 2011, p. 140.

188 Industrie-Holding, Procès-verbal de la 21e séance du Comité à l’Hôtel Schweizerhof, Bern, 21.06.1949, p. 2. CH SWA PA 600a 37-12.

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