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55 n’offrant pas réellement de clé analytique pour comprendre comment les avantages de

l’entreprise et des lieux de localisation sont créés et évoluent au cours du temps. Ce modèle ne laisse donc pas beaucoup de place pour l’inventivité des entrepreneurs et leur idéologie.

De même, si John Dunning n’ignore pas les interactions entre multinationales et États, il prend principalement en compte les conséquences indirectes de l’activité économique sur les politiques mises en place par les États. En effet, dans son chapitre, « A business analytic approach to governments and globalization », il insiste sur le fait que dans le contexte de mondialisation actuelle, les avantages de localisation sont de plus en plus « créés » par les gouvernements et qu’en conséquence, ceux-ci doivent faire au mieux pour les susciter et les entretenir108. Néanmoins, il ne considère pas réellement la manière dont les mesures politiques peuvent faire l’objet de luttes de pouvoir entre différents groupes sociaux ni la possible intervention des entrepreneurs dans le jeu politique pour se créer eux-mêmes un avantage de localisation.

Ce constat s’applique également à la théorie des « diamonds » de Porter, qui dans son ouvrage The competitive advantage of nations, considère comment les stratégies des firmes interagissent avec les contextes institutionnels109. Son modèle vise entre autres à expliquer pourquoi certaines nations sont le berceau d’un nombre important de sociétés multinationales et il traite notamment du cas suisse110. Selon lui, les avantages, qu’il nomme

« diamonds », suivent une logique cumulative, d’où l’importance de l’histoire et de renforcements mutuels. Néanmoins, comme il le souligne lui-même, la force explicative du modèle appliqué aux cas concrets est parfois difficile à évaluer :

« In the most successful national industries, it is often hard to know where to start in explaining competitive advantage: the interplay and self-reinforcement of the determinants are so complex as to obscure cause and effect. The national environment becomes a more favorable one for competing over time as the ‘diamond’ restructures itself. The system is also constantly in motion. The national industry continually evolves to reflect shifting circumstances, or it falls into decline »111.

Comme pour Dunning, le caractère englobant et exhaustif de la théorie est donc à la fois sa force et sa faiblesse. Aussi, si leurs modèles sont applicables à différents points dans le temps, prenant acte de changements institutionnels, ils ne rendent pas compte des dynamiques politiques derrière ces évolutions.

Par contraste, un théoricien ayant beaucoup écrit sur l’interaction entre multinationales et États-nations est Raymond Vernon. Ceci est d’ailleurs un peu paradoxal, puisqu’il est connu en premier lieu pour sa théorie purement économique du cycle de vie du produit, qui met en lien le processus d’internationalisation avec le stade auquel se trouve le produit (naissance –

108 DUNNING John H., Governments, globalization, and international business, Oxford : Oxford University Press, 1999, p. 144-115.

109 PORTER Michael E., The competitive advantage of nations, New York: Free Press, 1990, 855 p.

110 Sivio Borner a contribué à développer le cas suisse pour cet ouvrage. Cf. section suivante.

111 PORTER Michael E., The competitive advantage…, p. 144.

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croissance – maturité – déclin)112. L’idée est très simple : lorsque la concurrence étrangère apparaît pour un certain produit, l’entreprise doit délocaliser où les coûts de production sont les moins élevés si elle veut conserver ses parts de marché. Néanmoins, dans ses ouvrages ultérieurs, à commencer par Sovereignty at bay : the multinational spread of U.S. enterprises publié en 1971, Raymond Vernon s’est attelé à étudier les conséquences de l’activité des multinationales pour les États-nations113. Cet ouvrage paraît dans le contexte des débats publics virulents autour de l’activité des multinationales et Raymond Vernon souligne alors que la logique des entreprises multinationales, dont les opportunités augmentent en raison du changement technologique, peut potentiellement entrer en contradiction avec la logique des États-nations répondant aux impératifs de leurs citoyens. Toutefois, en ayant en tête principalement l’exemple étasunien et en examinant la situation sous l’angle d’un possible clash, Raymond Vernon n’entrevoit pas l’intégration des entrepreneurs dans le fonctionnement même de l’arène de l’État et dans la définition des politiques et des institutions.

Sur le lien entre entreprises et institutions, Edith Penrose apporte une contribution tout à fait intéressante dans son ouvrage The theory of the growth of the firm publié en 1959114. Si, de manière générale, Edith Penrose demeure une outsider du champ de l’International Business, différents auteurs, à l’instar de John Dunning, reconnaissent la pertinence de sa recherche pour comprendre le processus d’internationalisation des entreprises115. En effet, la contribution théorique de son ouvrage ne se limite pas aux sociétés multinationales, mais porte aussi sur ce type de firme, dans la mesure où l’internationalisation constitue une des possibles stratégies d’expansion. Critiquant l’attitude générale des économistes à appréhender la firme comme une boîte noire — « their ‘firm’ has no ‘insides’ so to speak »116

—, l’auteure insiste sur l’importance des représentations des entrepreneurs et sur leur propension à influencer le système dans lequel leur entreprise opère :

« The relevant environment, that is the set of opportunities for investment and growth that its entrepreneurs and managers perceive, is different for every firm and depends on its specific collection of human and other resources. Moreover, the environment is not something ‘out there’, fixed and immutable, but can itself be manipulated by the firm to serve its own purposes »117.

Il en résulte que, contrairement aux présupposés de nombreux modèles de l’internationalisation présentés ci-dessus, on ne peut prédire le comportement de

112 VERNON Raymond, « International Investment and International Trade in the Product Cycle », The Quarterly Journal of Economics, vol. 80, n° 2, 1966, p. 190–207.

113 VERNON Raymond, Sovereignty at bay: the multinational spread of U.S. enterprises, New York : Basic Books, 1971, 336 p.

114 PENROSE Edith T., The theory of the growth of the firm, Reprint. Oxford : B. Blackwell, 1966, 296 p.

115 DUNNING John H., « The contribution of Edith Penrose to international business scholarship », MIR : Management International Review, vol. 43, n° 1, 2003, p. 3–19.

116 PENROSE Edith T., The theory of the growth…, p. X.

117 PENROSE Edith T., The theory of the growth…, p. Xii.

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l’entreprise en examinant la nature objective des conditions-cadres118. De plus, la confiance ou au contraire la crainte des entrepreneurs (subjective uncertainty) peuvent se révéler déterminantes pour comprendre leur stratégie119. La théorie de Penrose a donc été extrêmement utile pour comprendre l’originalité des preuves empiriques de cette thèse, qui mettent justement en avant l’importance de la perception de vulnérabilité et d’incertitude afin de comprendre la stratégie des entrepreneurs, et notamment leur stratégie politique.

Dans ses études ultérieures, Edith Penrose a aussi contribué de manière pionnière à étudier les enjeux politiques des IDE dans les pays en voie de développement120. Selon sa perspective, les institutions des pays d’accueil et des pays hôtes sont cruciales pour comprendre si l’activité des multinationales va être néfaste ou bénéfique au bien-être des populations121. Finalement, Edith Penrose s’est intéressée à l’intégration des marchés et aux conséquences de l’existence de firmes multinationales sur les logiques régissant le commerce international122. Elle a donc ouvert la porte à l’approche par les « chaînes de valeurs » (Global value chains — GVCs) en soulignant qu’une grande partie des échanges ne sont pas réalisés sous forme de transactions dans des marchés libres, mais sont en réalité contrôlés par de grandes entreprises.

Au regard des contributions séminales de Stephen Hymer et d’Edith Penrose, on ne peut que valider la lecture de Peter Buckley qui, en regrettant que le champ de l’International Business s’essouffle, appelle à un retour aux sources et à traiter davantage de « grandes questions », pertinentes pour les politiques et la société123. Dans leur article de 2017, Peter Buckley, Jonathan Doh et Mirko Benischke se montrent néanmoins optimistes quant au futur du champ, constatant un certain renouveau avec des études portant sur les chaînes de valeurs et la responsabilité sociale des entreprises124.

L’approche par l’étude des chaînes de valeurs est particulièrement pertinente pour replacer les relations au centre de l’analyse, ainsi que pour rediscuter les fondements théoriques et les preuves empiriques fournies par les économistes pour justifier le bien-fondé de l’internationalisation de la production. En effet, la plupart d’entre eux se basent sur des

118 PENROSE Edith T., The theory of the growth…, p. 42.

119 PENROSE Edith T., The theory of the growth…, p. 56.

120 PENROSE Edith T., « Foreign investment and the growth of the firm », The Economic Journal, vol. 66, n° 262, 1956, p. 220–325 ; PENROSE Edith T., ODELL Peter R., The large international firm in developing countries : the international petroleum industry, London : G. Allen and Unwin, 1968, 311 p.

121 DUNNING John H., « The contribution of Edith Penrose… », p. 10.

122 PENROSE Edith T., « Economic liberalization: openness and integration — but what kind? », Prometheus, vol. 11, n° 1, 1993, p. 30–44.

123 BUCKLEY Peter J., « Is the international business research agenda running out of steam? », Journal of International Business Studies, vol. 33, n° 2, 2002, p. 365–367.

124 BUCKLEY Peter J., DOH Jonathan P., BENISCHKE Mirko H., « Towards a renaissance in international business research? Big Questions, grand challenges, and the future of IB scholarship », Journal of International Business Studies, vol. 48, n° 9, 2017, p. 1045–1064.125 MILBERG William, WINKLER Deborah, Outsourcing economics: global value chains in capitalist development, New York : Cambridge University Press, 2013, p. 5.

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