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L’usage du chiffre comme langage commun, outil de coordination, de communication et de prise de décision

Première partie Revue de littérature

1. Définition des concepts constitutifs de notre question question

2.2 Quelles raisons justifient cet usage privilégié, voire excessif ?

2.2.2 Les usages justifiant la priorité au chiffre

2.2.2.1 L’usage du chiffre comme langage commun, outil de coordination, de communication et de prise de décision

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L’objet de notre thèse n’est pas de répertorier tous les usages des représentations chiffrées, nous allons toutefois faire un tour d’horizon très rapide des usages du chiffre, relevés par les auteurs que nous avons mobilisés, afin d’essayer de mieux comprendre les raisons d’un usage prioritaire et privilégié dans les organisations.

Comme le soulignent Berland et al. l’usage du chiffre fait partie intégrante de la gestion d’une entreprise et a de nombreux objets :

« La mesure est souvent la première action de gestion à laquelle s

attelle le gestionnaire qui désire améliorer le fonctionnement de son organisation. Elle permet de classer les actions, les objets et les personnes les uns par rapport aux autres, et ainsi de définir des contributions respectives et des grandeurs qui permettent de décider et d

agir. Elle rend visibles de nombreux aspects de l

organisation, permet de synthétiser les grandes masses et de clarifier le complexe. Elle fournit des conventions et un langage pour le plus grand nombre. Elle permet de raisonner de manière abstraite, et donc de manière puissante ». (Berland et al. 2008, p. 168). Chiapello et Desrosières mentionnent de même cet aspect langage commun de la quantification, pour eux, outil de coordination, « comparable en cela à la Constitution d’un

Etat ou à un code juridique destiné à réguler des relations sociales » (2006, p. 309). Ce à quoi Maurand-Vallet ajoute le fait qu’il s’agit par ailleurs d’un langage partagé, notamment par la communauté scientifique et qui possède plus de crédibilité que la parole simple (2011, p. 297). Ce point est souligné également par Mankelwicz et Kitahara, qui estiment que les managers et le personnel semblent plus crédibles et rationnels s’ils citent prioritairement des données quantitatives (2010, p. 61), ce que nous pouvons associer notamment à la propriété attribuée d’objectivité, décrite dans un précédent paragraphe. L’usage du chiffre est donc considéré à la fois comme une aide à la gestion et à la décision, (il existe en particulier dans ce cadre, des modèles d’évaluation quantitative du risque dans l’entreprise (Bibard, 2012), et de manière plus globale, Mankelwicz et Kitahara considèrent que les nombres jouent un rôle important dans les processus actuels de management de la décision (2010, p. 60)), comme un outil de coordination, mais aussi, en tant que langage commun, qui plus est, considéré comme crédible, comme un outil de communication. C’est ce qu’écrivent notamment Berland et al. :

« Les systèmes de mesure fournissent donc aux managers les moyens de compréhension des activités de leur organisation et leur permettent de communiquer sur ces activités. La mesure permet également la constitution de représentations

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partagées ou plutôt partageables, car la mesure est considérée comme « objective », décentrée de l’individu. » (Berland et al. 2008, p. 163).

De même, Marchesnay considère que la logique dominante veut que « tout phénomène social et humain se résume sous forme de chiffres (avec ensuite des graphiques, des camemberts, etc., pour asseoir la conviction du récepteur d’images) » (2014, p. 136). L’idée de communication est ici plus forte, puisqu’il y a dans la phrase de Marchesnay, l’idée de communiquer mais pour convaincre cette fois, ce que nous retrouvons au niveau du chiffre statistique dans l’ouvrage de Bernard Py, « La statistique, c’est une méthode qui permet de

faire passer un message. C’est un outil de communication. » (2010, p. 2), ce message pouvant apparaitre plus convaincant ou percutant via l’utilisation de données statistiques, ainsi que l’auteur souhaite le démontrer par cet exemple :

« Dire que le pourcentage d’enfants battus, dans un pays imaginaire est de 0,05%,

incite à considérer que le phénomène peut être négligeable ; dire la même chose en chiffres bruts, soit 25 000 enfants (de ce pays imaginaire) provoque l’indignation, et dire que ce phénomène représente une population égale à celle du chef-lieu de canton, peut motiver certains à faire une pétition » (Py, 2010, p. 4).

Le chiffre peut donc être utilisé à des fins de communication, pour rassembler autour d’un projet en entreprise, pour expliquer, pour informer, mais aussi pour convaincre, et même pour prescrire. Selon Fauré et Gramaccia :

« L’influence pragmatique de l’acte de calcul réside dans sa capacité à prescrire-

sous l’apparence de la description. En décrivant, nommant, désignant les objets pertinents à chiffrer, il les rend visibles, traitables, manipulables, bref il les fait exister ainsi que les contextes dans lesquels ils prennent leur sens. Parler de productivité, de compétitivité, de rentabilité n’a de sens qu’en référence à des chiffres, et ces chiffres permettent à ceux qui les énoncent de pouvoir, légitimement et sous des apparences objectives, tenir les discours, les raisonnements et les justifications associés à ces notions. (Fauré et Gramaccia, 2006, p. 6).

Les chiffres dans le discours ont donc selon les auteurs, le pouvoir de rendre légitimes et naturelles un certain nombre de notions partagées.

Toujours du point de vue de l’usage du chiffre comme outil de communication, mais dans un autre registre, l’usage de données chiffrées, permet à la différence de l’usage de données plus qualitatives, que soient manipulées « des quantités gigantesques de données » et donc, que

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soient diffusées un plus grand nombre d’informations d’une durée courte (Winner, 2002, p. 180).

Enfin si l’on se place cette fois, non plus du point de vue de l’émetteur de données chiffrées, pour expliquer, informer, convaincre, prescrire, mais du point de vue du récepteur d’informations chiffrées, Mintzberg estime que :

« Si le manager peut obtenir des informations fiables grâce à la mesure, alors il peut

rester dans son bureau tout en étant bien informé. Il n’a pas besoin de passer du temps sur le terrain, à communiquer avec ses équipes. De plus, il peut déléguer autant qu’il le désire : en appuyant sur le bouton « envoyer », il transmet à la fois l’information et les tâches déléguées. Voilà ce qui rend la mesure si intéressante, particulièrement pour le manager éloigné de la réalité tangible de son organisation.» (Mintzberg, 2011, p. 205).

Ce premier tour d’horizon très rapide des usages du chiffre a permis de mettre en évidence un certain nombre d’avantages qui le rendent indispensable : il permet de classer, comparer, synthétiser, clarifier le complexe, de raisonner et aide en cela à la prise de décision. C’est un langage partagé et crédible, qui permet de décrire, d’expliquer, de coordonner les actions, de justifier, de convaincre, de prescrire, de rendre visible, de diffuser et de recevoir un très grand nombre d’informations pouvant évoluer rapidement et donc de gagner du temps, mais en limitant les réels échanges.

Nous souhaitons par ailleurs faire un focus un peu moins rapide sur un usage du chiffre, à peine évoqué dans ce paragraphe à travers la prescription, il s’agit du chiffre utilisé pour motiver, voire responsabiliser et contrôler.

2.2.2.2 Le chiffre comme outil de motivation, de « responsabilisation » et de

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