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Une réponse à la complexité et à un besoin d’efficacité Selon Berry,

Première partie Revue de littérature

1. Définition des concepts constitutifs de notre question question

2.2 Quelles raisons justifient cet usage privilégié, voire excessif ?

2.2.1 Les propriétés attribuées au chiffre ou les mythes du chiffre

2.2.1.2 Une réponse à la complexité et à un besoin d’efficacité Selon Berry,

« La conduite des organisations publiques ou privées mobilise des instruments de

gestion. Ce peut être des outils matériels, comme un ordinateur par exemple ; des outils conceptuels comme un taux d'actualisation pour étudier l'intérêt d'un investissement ; des outils d'aide à la décision complexes, comme un modèle de marketing pour étudier le marché potentiel d'un nouveau produit ; des dispositifs aux ramifications nombreuses, comme un système de contrôle de gestion; des procédures instituant des cheminements obligatoires pour des dossiers, imposant des règles sur leur mode d'élaboration, etc.. » (1983, p. 5).

D’après cette définition, les chiffres et représentations chiffrées font partie des instruments de gestion. Berry considère que les instruments de gestion sont une réponse à la complexité, ainsi

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qu’à la nécessité d’être efficace, face à une contrainte de temps, ce qui correspond à une des contraintes (soulignées en première partie) du manager. En effet,

« toute situation de gestion est d'une complexité dépassant les capacités d'analyse

des hommes et ceci prend un relief particulier dans les grandes organisations où l'encombrement du temps des agents et l'urgence des choix poussent aux outils simples, aux idées simples, aux critères de jugement expéditifs. » (1983, p. 6).

En conséquence, explique-t-il, « Les abrégés du vrai se résument souvent à quelques chiffres

simples », comme par exemple prendre quelques ratios comptables pour évaluer la santé financière d’une entreprise et « les abrégés du bon s'énoncent souvent de façon lapidaire », comme par exemple, « un bon investissement doit avoir une rentabilité supérieure à 25 % ».

« Tous ces raccourcis permettent de gagner du temps et c'est leur fonction immédiatement apparente pour qui étudie la gestion : les décideurs demandent sans cesse qu'on leur fournisse des chiffres simples, des idées simples et faciles à défendre. Le gain de temps que procurent ces raccourcis doit s'analyser selon deux dimensions : d'une part cela permet de se fixer rapidement une opinion sur une situation donnée et d'autre part cela permet de justifier plus facilement ses choix.

(Berry, 1983, p. 8 et 9).

De même, Ellul souligne le besoin « de rechercher en toutes choses la méthode absolument la

plus efficace » (Ellul, 1990, p. 18), et pour cela d’utiliser les chiffres et le calcul (1990, p. 19). Hibou établit de même un lien entre l’usage des chiffres et le besoin d’efficacité, notamment dans l’entreprise :

« Le gouvernement des hommes (dans l’entreprise à travers des stratégies, dans le

public à travers des politiques publiques, dans la société à travers des programmes de participation, etc…) dépend de plus en plus d’informations quantifiées produites par des données intégrées, sélectionnées, filtrées et élaborées de façon à pouvoir agir rapidement, efficacement et de façon transparente. » (Hibou, 2012, p. 113). Bouquin et Fiol font le même constat, en ce qui concerne plus précisément le manager dans les organisations : « Confrontés à des situations complexes, les managers ont tendance à

recourir immédiatement à des solutions », (2007, p. 9), ces solutions correspondant notamment selon les auteurs, à la création de nouveaux instruments de gestion comme la méthode ABC (Activity Based Coasting, c’est un outil d'analyse des coûts par activité) et le Balanced Scorecard (tableau de bord regroupant différents indicateurs, malgré une volonté

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d’y inclure des données qualitatives sur l’environnement et les clients notamment), ces instruments privilégiant donc l’usage de données essentiellement chiffrées.

Toutefois, comme pour la propriété d’objectivité, les auteurs mobilisés émettent un certain nombre de réserves par rapport à ce type de réponse à la complexité et à un besoin d’efficacité. Bouquin et Fiol considèrent que les managers « cèdent à une idéologie de la

complexité34, une idéologie, correspondant « à un système de croyances partagées, non

réinterrogées et mobilisées comme justification légitimante. » (2007, p. 10). En effet expliquent-ils, « Pour nous, cette référence à la complexité de la part des nouveaux

instruments de gestion est une fausse solution. D’abord, parce que la complexité devient la condition de leur acceptabilité ainsi que leur objectif ». Ils considèrent par ailleurs que :

« Confrontés à des situations complexes, les managers ont tendance à recourir

immédiatement à des solutions sans avoir cerné les problèmes auxquelles elles sont censées répondre, à focaliser leur attention sur un périmètre limité de la situation à laquelle ils ont à faire face en appauvrissant leur champ de vision, à se réfugier derrière leurs certitudes sans se rendre compte que ce ne sont que des croyances et, plus généralement, à simplifier leur monde de manière inconsciente. »,

le pourquoi étant sacrifié au bénéfice du comment. (Bouquin et Fiol, 2007, p. 9). De même, Berland résume ainsi, mais sur le ton de l’ironie, la fonction du gestionnaire : « Le bon

gestionnaire est donc celui qui est capable de dompter la complexité de l’action organisée au travers d’un résumé chiffré. » (2008, p. 159).

Berry estime que les instruments de gestion, précédemment cités, ont « à la fois des effets

vertueux et des effets pervers sur chacune des dimensions évoquées précédemment : réduction de la complexité, institution d'automatismes dans les décisions, division de la vigilance,

régulation des rapports sociaux, maintien de la cohérence. » (Berry, 1983, p. 8). Lorino estime quant à lui, que l’usage des chiffres correspond au choix de la facilité (2009, p. 31), mais que :

« Le jugement complexe sur la performance complexe d’organisations complexes

peut-il se réduire à l’appréciation d’un chiffre ? Dans la récente crise financière, comme dans les nombreux scandales qui l’ont précédée, les systèmes de contrôle par les chiffres ont régulièrement failli. Pouvait-il en aller autrement ? Non, bien sûr, car la complexité du réel – et pas seulement dans sa dimension éthique –dépassera

34 In Fiol et De Geuser 2005 « Are they really too simple. Management control Systems face the Ideology of Complexity »

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toujours celle des modélisations formelles qui tentent de la cerner. On ne fera jamais l’économie du jugement risqué et faillible. Mais se préoccuper du jugement risqué et faillible est plus difficile que se préoccuper d’un chiffrage » (2009, p. 33).

Bien que l’usage du chiffre puisse se révéler intéressant voire indispensable, il n’est donc pas toujours suffisant. C’est ce que confirme Hibou :

« Les chiffres constituent des indices appauvrissants du réel dans la mesure où ils

sont issus d’un travail d’agrégation (des milliers de mots, de relations, de langages, sont traduits en quelques mots et en quelques catégories d’une nomenclature) qui est simultanément une opération de réduction. Les informations qui sont « derrière » ces chiffres sont beaucoup plus riches, foisonnantes, disparates et non homogènes. Dans ces conditions, employer des chiffres, des indices, est nécessairement une perte d’information. Ce qui ne veut pas dire qu’on peut faire sans ces chiffres et indices, mais qu’il faut être conscient de ce qui est construit (la régularité, l’unicité, la certitude) et de ce qui est ainsi perdu (la diversité, la pluralité, l’ambivalence et l’incertitude) et tenter d’appréhender ce hors champ par d’autres moyens. » (2012, p. 40).

Nous terminerons cette partie par cette réponse de Jean Luc Sauron, quant à la complexité, dans le cadre d’un échange animé par Paoli sur France Inter, le 6 janvier 2013 : « Pourquoi

n’y-a-t-il pas de débat ? La complexité est contraire à une solution immédiate. »

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