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3.2.1.2.3.2 Le cas particulier de la représentation chiffrée comptable

3.2.2.3 Synthèse sur le second éclairage

La littérature mobilisée a donc permis de mettre en évidence l’éclairage selon lequel, l’usage privilégié de la représentation chiffrée par le manager, l’isole des conséquences de ses actes, par le fait que, utilisée sans réflexion sur sa construction, elle donne une vision abstraite et désincarnée du réel (selon trois auteurs qui l’évoquent dans la société en général et trois textes concernant les organisations). Elle fait écran devant l’humain et diminue la conscience de l’autre (selon trois auteurs, dont les ouvrages concernent le monde des organisations). Trois auteurs, dont deux ont appuyé les premiers éclairages évoquent également la représentation chiffrée comme un écran par rapport au réel, qui empêche de voir, qui occulte.

Il est donc possible d’envisager que l’isolement du manager par rapport à une forme de réalité, va entrainer une diminution de sa sensibilité, voire de son intérêt aux conséquences

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humaines de ses actes de management, ce que quatre auteurs appuient dans leurs écrits. Au total, nous avons pu mobiliser une petite quinzaine de textes autour de cette variable explicative.

Ce second éclairage nous permet de penser qu’isolé de certaines conséquences de ses actes, le manager n’en a donc pas nécessairement conscience, il n’est donc pas en mesure d’en répondre et ne peut pas être responsable au sens où nous l’entendons.

3.2.3 Troisième éclairage : L’usage privilégié de la représentation chiffrée par le

manager, limite le recours à son propre jugement.

3.2.3.1 En quoi est-ce une variable explicative du lien étudié ?

Cette troisième variable explicative du lien que nous étudions est clairement évoquée dans le texte de Bessire, à propos de la représentation chiffrée comptable. En effet, l’auteur considère que : « Pour faire rimer comptabilité et responsabilité, il faut accepter de reconnaitre la

subjectivité de toute mesure ». (2005, p. 7). Or nous avons démontré que la représentation chiffrée (ou la mesure) est pensée par le manager, comme étant neutre, objective, et incontestable, et qu’il l’utilise généralement sans réflexion quant à sa construction. Dès lors, le manager utilisateur de la représentation chiffrée comptable ne fait pas appel à son jugement, dans le sens où selon Bessire, il n’interroge ni l’intention qui sous-tend la construction et l’emploi de cette représentation, ni la direction vers laquelle elle amène l’entreprise, ne s’assurant pas qu’il s’agit de la bonne direction pour la communauté d’individus ou de parties-prenantes qui la composent. (Bessire, 2005, p. 2). Il ne peut donc pas être responsable, car il n’est ni libre de ses choix, ni lucide, puisqu’une extériorité qui s’impose à lui, la représentation chiffrée comptable, remplace son jugement et guide ses actions, sans que toutes les conséquences en aient été analysées et perçues.

Nous avons par ailleurs pour approfondir la notion de jugement propre à l’individu, repris la définition du Petit Robert mobilisée dans un article de Laurent Lapierre : « La subjectivité

relève du jugement. Le Petit Robert définit ainsi le terme « jugement » : « Faculté de l’esprit permettant de bien juger de choses qui ne font pas l’objet d’une connaissance immédiate certaine, ni d’une démonstration rigoureuse… » (2012, p. 60) L’auteur constate par ailleurs dans cet article que :

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« L’objectivité demeure donc l’aspect le plus important de la direction, mais ce ne

sont pas les faits, les connaissances formalisées, les données financières, l’information sur le marché, les théories, les modes ou les modèles qui décident. C’est un sujet agissant, qui choisit et agit avec toute la complexité de son être. »

(2012, p. 60).

Si l’usage de données chiffrées, (« objectives », selon cet auteur, mais il n’y a pas consensus sur ce point dans la littérature mobilisée, qui souligne plutôt des données « pensées comme objectives » mais qui ne le sont pas nécessairement), est important, le jugement l’est tout autant. L’auteur a explicité sa pensée dans un autre article plus ancien :

« Les chiffres, les statistiques et l’usage du langage mathématique et des méthodes quantitatives sont indispensables, à la bonne gestion et à la conception de solutions efficaces. Ces aspects capitaux constituent plus facilement des objets de formation. Mais il sera toujours nécessaire de revenir à l’essence de la gestion : une praxis, c’est-à-dire une philosophie de l’action et de la création incarnées dans le bon sens. Là réside l’aspect le plus déterminant du fait de gérer : fixer un but et des objectifs, développer et, en s’en remettant à son, jugement, assumer la direction de personnes » (2005, p. 13).

Lapierre souligne l’importance du jugement mais n’établit aucun lien avec la responsabilité. De plus, à la différence de Bessire, ce dernier déconnecte d’un côté l’usage du chiffre objectif et de l’autre le jugement, les deux lui semblant indispensables, il semble toutefois déplorer un recours trop faible au jugement, aspect qui rejoint notre variable explicative : « Dans le

domaine de la gestion, il faut toujours être vigilant pour faire davantage de place au bon sens, au jugement et à la création! » (2005, p. 14). Bennis et O’Toole sont plus opposés que Lapierre à l’usage des chiffres, puisqu’ils considèrent que, la magie statistique et méthodologique appliquée à l’entreprise, (qui est essentiellement une activité humaine dans laquelle les jugements sont rendus à partir de données complexes, incomplètes et incohérentes) peut aveugler plutôt qu’éclairer. (2005, p. 99). Ils n’établissent pas non plus de lien avec la responsabilité, l’aveuglement est toutefois incompatible avec la notion de responsabilité.

Enfin Metzger, citant Bernard Stiegler38, établit un lien entre l’usage de données chiffrées et une limitation du jugement de l’individu : « L’auteur met en évidence l’existence d’un cercle :

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la recherche de rentabilité, appréciée au moyen des seuls indicateurs comptables, focalise les débats sur des aspects purement arithmétiques et techniques, au détriment des autres dimensions de la raison. » (2005, p. 267).

Jugement et Responsabilité apparaissent indissociables, d’après notre définition de la responsabilité, ce que le texte de Bessire a rappelé. Deux autres auteurs ont souligné l’importance du jugement dans le cadre du management d’une entreprise, sans toutefois le relier directement à la responsabilité. Par ailleurs, l’usage privilégié de la représentation chiffrée s’effectue selon une majorité d’auteurs, sans questionnement quant à sa construction, et est par ailleurs susceptible de limiter le recours au jugement voire d’aveugler. C’est sur ces différents points qu’est fondée notre troisième variable explicative : l’usage privilégié de la

représentation chiffrée par le manager, limite le recours à son propre jugement, le recours au jugement personnel et l’analyse étant indissociables de la responsabilité.

3.2.3.2 Justification et analyse de ce troisième éclairage

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