• Aucun résultat trouvé

Justification et clarification de la problématique

Première partie Revue de littérature

3. Justification et clarification de la problématique

3.1 Justification de la problématique

3.1.1 Clarification de la problématique

3.1.1.1 Un constat d’une forme de déresponsabilisation du manager

La notion de déresponsabilisation des managers a été analysée au premier chapitre de notre thèse, à partir du concept de responsabilité de Ricœur. Il s’agit d’une responsabilité qui implique la présence d’un agent, responsable ou sujet, ici le manager, libre de ses choix, lucide à qui est imputée l’action, dont il assume les conséquences directes, sans en négliger les effets adjacents, par « la vertu de prudence », et ce dans une « visée éthique », une responsabilité étendue donc à l’homme et à son environnement.

Dans ce cadre, nous avons pu mettre en évidence une déresponsabilisation des managers, ou de certains managers. En effet, un nombre grandissant de managers se voient accusés, depuis les années 2000, de dérives, fraudes ou malversations, mais aussi, et surtout, d’actions légales et conformes aux attentes du monde des affaires, mais aux conséquences directes ou indirectes néfastes pour l’homme et son environnement, ce que souligne fort justement Porter :

« Une fois que les banquiers et investisseurs d’Islande et d’Irlande, de Grande

Bretagne et des Etats-Unis eurent provoqué des vagues de faillites et épuisé les fonds de pension, après que des millions de personnes partout dans le monde furent expulsées de leur maison et mises au chômage, après que des nations tout entière eurent à faire face à un effondrement financier menaçant le système monétaire européen, on ne pouvait plus négliger l’homme derrière le rideau. » (2014, p. 259). D’autre part, la revue de la littérature nous a permis de souligner le fait que nous vivons dans un contexte dans lequel les valeurs du monde de la finance dominent la société dans son ensemble, ce qui a pour implications, et plus particulièrement dans les grandes entreprises :

- La mise en avant d’une partie-prenante prioritaire dans le monde des affaires (l’actionnaire), au détriment des autres parties-prenantes,

146

- La survalorisation de la performance à court terme de l’entreprise, reliée aux profits personnels des managers, les encourageant ainsi à l’opportunisme,

- L’intériorisation, voire l’assujettissement des managers à la logique du monde des affaires, monde dans lequel l’humain et l’environnement ne sont pas des priorités, et ce, malgré le développement de la Responsabilité Sociale de l’Entreprise, hors du périmètre de notre thèse, mais qui d’après nous, ne remet pas en cause ce dernier point puisque, selon Jorda notamment, « la RSE est étroitement intégrée au

managérialisme dans la mesure où le raisonnement prend appui sur une conception gestionnaire des hommes et des actions à entreprendre ». (Jorda, 2009, p. 159).

Enfin, nous avons relevé également le fait que la formation au management est considérée comme étant une formation essentiellement technique et disciplinaire, accusée de reproduire de futurs managers formatés à la logique du monde des affaires.

Nos lectures et notre analyse nous ont en conséquence permis de conclure à une forme de déresponsabilisation de certains managers, et à un contexte de déresponsabilisation, au sens de la responsabilité précédemment définie.

Nous nous sommes interrogée par ailleurs quant à l’origine ou à une des origines de ce contexte, et nous avons choisi, dans ce cadre, de questionner l’usage qui est fait des représentations chiffrées dans les entreprises.

3.1.1.2 Un constat d’usage privilégié, voire excessif des représentations

chiffrées dans les organisations

La littérature que nous avons mobilisée sur ce thème, nous a permis de mettre en évidence un consensus, quant à un usage privilégié de la représentation chiffrée dans les entreprises, encouragée par deux paradigmes dominants de notre société occidentale : l’utilitarisme et le rationalisme.

Nous avons pu observer que l’usage des chiffres répond aux besoins des managers et à leurs contraintes, dans le contexte du monde des affaires actuel. En effet, nous avons noté en particulier que ces derniers sont souvent amenés à travailler vite, dans l’urgence, efficacement, en tenant compte des exigences de leurs supérieurs, voire directement des

147

actionnaires, mais aussi des exigences dues à la gestion des hommes avec qui ils sont amenés à faire équipe. Ils doivent en outre faire face à un environnement mondialisé, complexe et incertain.

D’un autre côté, le chiffre est pensé par le manager comme étant objectif, vrai, incontestable. Il est considéré comme une réponse à la complexité du réel, qu’il permet de représenter et de synthétiser, et à un besoin d’efficacité, ainsi que comme une réponse à l’incertitude et à un besoin de sécurisation. Nous avons pu établir par ailleurs, que l’usage du chiffre correspond en entreprise notamment, à un langage commun partagé crédible et convaincant, qui peut être utilisé comme outil d’aide à la décision, de motivation, de contrôle, voire comme outil d’orientation des comportements. Le chiffre, comme représentation d’une réalité, est donc indispensable au manager et son usage est encouragé par la formation au management.

Toutes ces remarques justifient un usage privilégié du chiffre par le manager, dans les organisations.

Toutefois, plusieurs auteurs parmi ceux que nous avons mobilisés, estiment que l’usage du chiffre n’est pas nécessairement toujours adapté, ni suffisant, en toutes circonstances. Certains auteurs soulignent dans ce sens la nécessité pour les individus, notamment face à la complexité, de faire appel à leur propre jugement et d’avoir recours au débat, d’autres, face à l’angoisse et au risque, d’apprendre à gérer l’incertitude.

D’autre part, il y a consensus dans la littérature que nous avons mobilisée, sur l’absence d’objectivité de la représentation chiffrée, et l’impératif pour ses utilisateurs de connaitre et de se questionner quant à son mode de construction. De manière plus générale, il y a consensus sur la nécessité pour tout individu de comprendre, de dépasser, et d’ouvrir les débats sur ses modes de représentations, ce qui, d’après les auteurs, n’est pas réalisé, concernant la représentation chiffrée par les managers, d’autant que leur formation ne les y encourage pas. C’est pour ces différentes raisons, que la notion d’usage privilégié, voire excessif, du chiffre est évoquée dans notre problématique : elle traduit un usage prioritaire de la représentation chiffrée, sans aucune réflexion quant à sa construction, ce qui peut impliquer un mauvais usage ou un usage inadapté. Elle traduit aussi le fait que le seul usage du chiffre, peut s’avérer insuffisant pour représenter la réalité, dans toute sa complexité.

Nous ne remettons pas en cause dans ce travail, l’usage de la représentation chiffrée dans les organisations, mais leur usage privilégié, voire excessif. Il nous semble en effet légitime d’interroger non pas l’usage du chiffre, mais l’invasion des chiffres, et leur arrogance à considérer représenter le réel, avec pour toile de fond, les deux éclairages, que nous avons mis

148

en évidence en fin de chapitre deux et que nous venons de rappeler très succinctement, à savoir :

- Le manager utilise la représentation chiffrée sans questionnement sur sa

construction, puisqu’il la pense objective, vraie et incontestable, et qu’il semble faire preuve de fétichisme à son égard, mais aussi, puisque lui est proposé de manière instantanée, un très, voire trop grand nombre de chiffres, dont la production est automatisée et donc difficile à interroger.

- L’usage de la représentation chiffrée (sans questionnement) est légitimé par la

formation au management, dans le sens où il s’agit d’une formation technique, par laquelle le futur manager est considéré comme formaté à la logique des affaires ; il y apprend à utiliser les chiffres, qu’il pense donc maitriser ; ce type de formation n’encouragerait par ailleurs ni au débat, ni à la réflexion, ni au jugement. Ces deux éclairages ont été mis en évidence dans le cadre de notre revue de la littérature, cependant nous n’avons, notamment pour le premier, pas trouvé beaucoup d’articles, concernant spécifiquement l’entreprise. Nous n’en avons relevé que quatre, dont trois concernent la représentation chiffrée comptable. Concernant la formation au management, nous avons pu relever une littérature plus riche, mais également dans ce cadre quelques volontés de la faire évoluer.

Nous allons donc, lors de notre confrontation avec le terrain, être particulièrement attentive aux signaux contradictoires éventuels quant à cette toile de fond.

3.1.1.3 Clarification de notre problématique

Notre travail porte sur le lien qui pourrait exister, entre d’une part : - une forme de déresponsabilisation des managers, et d’autre part

- l’usage privilégié, voire excessif, qui est fait de la représentation chiffrée dans les organisations, pour se confronter au réel.

Le lien peut être pensé dans les deux sens : il est possible d’envisager qu’un contexte de déresponsabilisation ou une déresponsabilisation des managers va entrainer un usage plus important, voire excessif du chiffre. Il nous semble cependant difficilement envisageable de

149

tenter d’établir un lien fléché dans ce sens, étant donné la difficulté, d’une part de devoir étudier et surtout sélectionner des individus déresponsabilisés, au sens où nous l’entendons, et d’autre part de faire émerger la conscience de l’usage prioritaire du chiffre dans ce cadre. Il s’agirait d’une recherche en terrain plus que sensible, selon le terme utilisé par Hennequin (2012, « La recherche à l’épreuve des terrains sensibles »).

Quoi qu’il en soit, ce n’est pas l’objet de notre travail, nous avons fait le choix de flécher le lien dans l’autre sens, puisqu’effectivement, nous nous demandons si le fait que les managers soient encouragés et amenés à utiliser, et donc utilisent, la représentation chiffrée de manière privilégiée, voire excessive, ne favorise pas leur déresponsabilisation, au sens de la responsabilité de Ricœur. C’est la question que nous nous posons dans ce travail, l’interaction pourrait éventuellement être questionnée dans un second temps.

3.1.2 Que dit la littérature sur cet éventuel lien ?

3.1.2.1 Résultat de nos premières recherches

Notre question de départ intégrait le lien entre le concept de responsabilité, via la déresponsabilisation, et la représentation de la réalité par les chiffres, mais nous avions dans un premier temps envisagé de traiter ce lien, dans le champ de la formation au management. Nous avons débuté nos recherches dans ce sens, sur le site de l’Association Francophone de Comptabilité, avec la revue des thèses soutenues en comptabilité, contrôle et audit entre 2001 et 2010, soient environ 340 thèses, la revue du sommaire et des résumés des articles de la revue « Comptabilité, Contrôle, Audit », de 2006 à 2011 inclus, soient environ 140 articles, et la revue des communications dans les congrès sur le site Hal-archives ouvertes, en lien avec l’Association Francophone de Comptabilité (environ 600 articles entre 2005 et 2010). L’objectif de cette première recherche était de trouver toutes les thèses ou articles en rapport avec la représentation (du réel) par les chiffres et avec en particulier, ce que le chiffre ne dit pas. Nous avons retenu 8 articles traitant tous de l’information financière (notamment en normes IFRS, reliée à la qualité de l’information comptable) et 2 thèses, l’une sur l’absence de neutralité de la terminologie comptable (2003) et l’autre sur le contenu informatif des chiffres comptables (2009), ces deux thèses n’ayant finalement pas présenté d’intérêt dans le cadre de notre travail.

150

La notion de représentation chiffrée était dans ce cadre, limitée à l’information comptable ou financière de l’entreprise, nous n’avons rien trouvé de plus général.

Nous avons en parallèle effectué des recherches sur le site du SUDOC-ABES et sur les différentes bases de données académiques que sont, Cairn, Ebsco et Science Direct (avec concernant cette dernière base, pour cible essentielle la revue « Accounting, Organizations and Society » qui nous a été conseillée lors d’échanges dans le cadre des séminaires du laboratoire). Les mots clés testés dans un premier temps, ont été : « chiffre (nombre) ou figure (number) », « représentation ou representation » « représentation chiffrée (ou par les chiffres) ou numerical data (ou representation by, figures) », « quantification », « Interprétation ou interpretation », « subjectivité ou subjectivity », « responsabilité ou sense of responsibility et manager ou management (ou dirigeant) », « manager responsable », « déresponsabilisation » et « enseigner, enseignement (teaching) , éducation, enseignement supérieur ».

Nous avons effectué cette recherche par mots clés, en fonction des moteurs de recherche, dans le thesaurus, dans le titre, dans les mots du sujet, dans le résumé et/ou par domaine (éco-gestion, sciences sociales, management, sciences de l’éducation…) ou encore par revue ou par auteur, et nous avons croisé les mots clés.

Le résultat de nos premières recherches est synthétisé dans le tableau ci-dessous (il s’agit du nombre d’articles ou d’ouvrages sélectionnés via les mots clés listés ci-dessus et regroupés par grands thèmes) :

CAIRN SCIENCE

Outline

Documents relatifs