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Une formation essentiellement disciplinaire et/ou technique

Première partie Revue de littérature

1. Définition des concepts constitutifs de notre question question

1.1 La déresponsabilisation du manager

1.1.3 Constats d’une déresponsabilisation du manager

1.1.3.3 Une formation au management qui ne forme pas à la responsabilité

1.1.3.3.1 Une formation essentiellement disciplinaire et/ou technique

Parmi les principaux reproches recensés dans la littérature, se trouve celui d’une formation au management, essentiellement technique, et non tournée vers la réflexion et le jugement. Ainsi Ellul le constatait de manière tout à fait générale dès la fin des années 1990 :

« C’est le monde technicien parfait : le technicien règne sur la recherche, il correspond aux techniciens (de l’économie, de l’analyse des besoins, etc.) de l’industrie, et l’Université reçoit dorénavant sa fonction majeure d’un appel de fourniture de techniciens. Les études n’ont plus de raison d’être quand elles ne sont pas immédiatement utilisables. » (Ellul, 1988, p. 77).

Nous retrouvons cette idée de directement utilisable, plus récemment, dans la notion d’efficacité, à propos plus précisément des écoles de commerce :

« Le « faire », le « comment faire », l’efficience de chaque acte y sont mesurés à

l’aune de leur potentiel de valorisation monétaire rapide, ou indirectement. Cette focalisation constitue la référence centrale des dispositifs institutionnels que sont les écoles, autant qu’elle a été intériorisée dans les schémas conceptuels et cognitifs de la grande majorité de ceux qui y œuvrent. C’est l’omniprésence du fameux rapport « coûts/efficacité » associable à chaque acte pris isolément. » (Fimbel, « si Jean

Baudrillard a raison, alors… », 2012, p. 5).

De même Eric-Jean Garcia, toujours au sujet de la formation au management, considère que « les activités de formation ou de training se caractérisent par la dimension pratique des

savoirs avant tout destinés à servir la performance. » (2012, p. 43). Nous retrouvons décliné sous une autre forme l’objectif d’un enseignement utilisable et efficace, à savoir destiné à servir la performance. Enfin Boltanski évoque dans le même état d’esprit, une véritable « culture du management, enseignée dans les Business Schools » qui « fournit un langage,

des outils, conceptuels, juridiques (le droit international des affaires) et comptables, et propose des objectifs immédiatement compréhensibles par des « responsables » venus d’horizons très divers » (Boltanski, 2008, p. 165). Cet enseignement correspond donc à des outils et à des techniques, du faire, des savoirs pratiques, comme le confirme Noiville (2009, p. 51) concernant l’institution française HEC :

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« A Jouy, je n’ai trouvé que des techniques de base, sans hauteur de vues et une absence d’enseignement sérieux en relations humaines », de même Faber : « HEC

est un peu une déception. Des approximations y sont parfois élevées au rang de science, des slogans proférés comme théorèmes. Le doute y est bien peu pratiqué.

Nous sommes abreuvés de technique : comptable, financière, marketing, commerciale, industrielle. Des moyens puissants mais pas une question ne porte sur le pourquoi. » (2011, p. 18).

Ou Huet et Michel dans une note de l’institut Montaigne, correspondant à une version de travail du 2 juillet 2012 sur « quel avenir pour les écoles de management ? » :

« Aujourd’hui, de manière implicite, les objectifs de formation l’emportent sur ceux d’éducation, ce qui limite la prise de recul des étudiants. Les approches axées sur l’employabilité immédiate et l’acquisition de techniques directement applicables comme la comptabilité, la finance, le marketing, « favorisent la segmentation des savoirs et l’absence de prise en compte d’une vision systémique de l’entreprise », regrettent les auteurs du rapport de l’institut Montaigne. (Huet et Michel, 2012, p. 49).

Ou encore Cristol,

« Les institutions éducatives, en demeurant focalisées sur la partie normative du métier et sur les techniques de gestion, transmettent une représentation minimisée de l’importance du lien, des comportements et des valeurs sociales et assimilent la formation en sciences de gestion, à la formation des managers. » (Cristol, 2009, p. 310),

et Tarondeau,

« Au moins dans les programmes de MBA que j’ai connus, les cours étaient focalisés presque exclusivement sur des techniques et sur des valeurs égoïstes. Il y a peu ou pas de conscience des responsabilités des chefs vis-à-vis des autres ou de leurs responsabilités pour des accomplissements non monétaires. » (Tarondeau, 2007, p. 85),

qui établit en outre un lien direct avec la notion de responsabilité. Edgar Morin, interviewé le 6 janvier 2013 par Stéphane Paoli sur France Inter, sur son ouvrage « Le chemin de l’espérance » écrit en collaboration avec Stéphane Hessel (Fayard 2011) mais aussi à propos d’un article paru dans l’édition du Monde du 2/01/13, établit le même constat au niveau de la société en général :

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« Hélas, notre enseignement qui nous fournit de si multiples connaissances

n’enseigne en rien sur les problèmes fondamentaux de la connaissance qui sont les risques d’erreurs et d’illusion, et il n’enseigne nullement les conditions d’une connaissance pertinente, qui est de pouvoir affronter la complexité des réalités. Notre machine à fournir des connaissances, incapable de nous fournir la capacité de relier les connaissances, produit dans les esprits myopies, cécités. Paradoxalement, l’amoncellement sans lien des connaissances produit une nouvelle et très docte ignorance chez les experts et spécialistes, prétendant éclairer les responsables politiques et sociaux. ».

Pour revenir plus spécifiquement sur l’enseignement du management, de nombreux auteurs non seulement constatent que ce dernier est surtout centré sur des outils et des techniques, mais le regrettent et proposent que soient introduits plus d’ouverture et de questionnement. : Ainsi, Nikitin pense que « la science de gestion est constituée d’un ensemble de

problématiques, jamais résolues définitivement » et que si l’apprentissage des techniques lui parait indispensable, il n’épuise pas le sujet (2006, p. 92). Mintzberg a écrit en 1987 dans « Developing Management as Community » :

« Concentrons-nous sur l’apprentissage des méthodes de réflexion et cessons de

prétendre enseigner le management. Ces programmes d’enseignement devraient même abandonner l’enseignement des fonctions -c’est une perte de temps- et se remettre à la sociologie, à la philosophie, à l’histoire, à l’anthropologie, aux mathématiques, etc. » (Mintzberg, 2009, p. 249).

Il a ouvert dans ce sens, un programme qualifié d’« anti MBA » à Mc Gill University (Canada), dans lequel l’apprentissage des techniques par disciplines a été remplacé par « des

séminaires de réflexion qui font varier le point de vue managérial » (Sepulchre, 2012, p. 25). De même Noiville :

« Chacun, avec ses mots, plaide pour une réhabilitation des « humanités », philosophie, psychologie, et sciences humaines, histoire économique, éthique… Des vrais savoirs en somme, pas des techniques désincarnées. Tous soulignent en substance combien il est urgent que les grandes écoles qui forment les leaders de demain leur proposent « une ouverture sur des modèles de réussite différents » et « porteurs de sens. » (Noiville, 2009, p. 54).

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« Toute la question est de savoir comment la formation, initiale et continue, peut

préparer au mieux à cette réflexivité, ce travail sur soi des cadres en activité. Force est de constater que cet objectif n’est pas considéré aujourd’hui comme prioritaire dans la plupart des universités et des grandes écoles. Il s’ensuit de graves lacunes : les cursus de formation initiale n’incluent guère de questionnement sur la finalité de l’entreprise ou du service public, sur la relation à l’environnement et à l’ensemble des parties prenantes, sur la responsabilité professionnelle des managers, pas plus qu’ils ne proposent aux étudiants un recul critique sur les modèles de gestion et de management les plus répandus. Et les programmes de formation continue, sauf exception, leur emboitent le pas. » (Bouchet, 2012, p. 77).

En fait, pour certains, dont March, les Business Schools ne devraient pas avoir pour rôle de former au management, « mais de permettre aux gens qui en sortent de porter un regard

différent sur les pratiques du management et la manière dont on gère les affaires, afin de changer celles-ci. » (March 1998, p. 11), car :

« les matières considérées comme « objectives » telles que la finance, la

comptabilité, l’économie, les statistiques, ne doivent pas échapper au questionnement. Leur neutralité est un leurre. Implicitement, elles servent un système de valeurs, un ensemble de vérités et un projet de société. En d’autres termes, la logique disciplinaire et la précision des calculs ne sauraient faire oublier le projet idéologique » (Eric-Jean Garcia, 2012, p. 46).

Cette dernière remarque de Garcia, nous permet d’aborder un second reproche récurent concernant la formation au management, celle-ci véhiculerait une idéologie et un projet de société. Nous allons retrouver au niveau de la formation au management, la critique faite au monde des affaires, de formatage des managers et d’encastrement dans le monde la finance.

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