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Justification et analyse de ce cinquième éclairage

3.2.1.2.3.2 Le cas particulier de la représentation chiffrée comptable

3.2.5.2 Justification et analyse de ce cinquième éclairage

3.2.5.2.1 L’usage privilégié de la représentation chiffrée valorise un modèle de

l’entreprise support de profit et non communauté humaine.

Ce sous-éclairage a pour origine une phrase de Pesqueux : « Les logiques ainsi mentionnées (visant à valoriser la rentabilité à court terme pour l’actionnaire et donc utilisant des indicateurs de nature financière) illustrent l’existence d’un modèle de l’entreprise comme

étant quasi exclusivement support de profit et non communauté humaine, ce qui conduit, en retour, à la création de la réalité d’une telle vision (2005, p. 138). Cette idée est partagée par Colasse qui écrit à propos du cadre conceptuel des normes comptables internationales, à la base de la représentation chiffrée comptable :

« Par ailleurs, ce cadre conceptuel nie implicitement, ainsi que nous l’avons déjà dit, toute réalité sociale à l’entreprise, en fait un simple nœud de contrats passés entre les dirigeants et les diverses parties prenantes et, de plus, privilégie l’un de ces contrats, celui qui lie les dirigeants aux investisseurs. » (2011, p. 161).

Pourtant, cette vision de l’entreprise, qui peut apparaitre comme une évidence à l’ensemble de ses parties-prenantes, et au manager en particulier, ne l’est pas nécessairement :

« Or, dans une grande entreprise cotée en bourse, aucun actionnaire n’a pris le

même risque personnel vis-à-vis de l’entreprise qu’un seul de ses salariés. Aucun ne s’est endetté sur son salaire et n’a fait construire sa maison à côté de son usine, ni élevé sa famille dans cette petite ville et son bassin d’emploi. Cette même obligation entraine donc une responsabilité encore plus forte, plus complexe à l’égard des salariés que des actionnaires. C’est une réalité. Comment la nier ? » (Faber, 2011, p. 120).

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« La performance et la rentabilité se mesurent à court terme, « en temps réel » mettant l’ensemble du système de production dans une tension permanente : zéro délai, juste à temps, flux tendus, management minute, etc. Il s’agit de faire toujours plus, toujours mieux, toujours plus rapidement, à moyens constants ou même avec moins d’effectifs. Si cette évolution est patente pour les entreprises cotées en Bourse, dont la valeur est quotidiennement évaluée par les marchés financiers, elle tend à se répandre dans l’ensemble des entreprises qui sont leurs clientes ou leurs fournisseurs. » (2005, p. 27).

Il synthétise en évoquant une : « pression du chiffre et des outils de mesure au détriment

d’une réflexion sur les processus, les modes d’organisation et les problèmes humains. »

(2005, p. 28).

Par ailleurs, outre la valorisation d’une entreprise avant tout support de profit, l’usage privilégié de la représentation chiffrée réduit l’échange à l’intérieur de l’entreprise, ce qui minimise encore son côté « communauté humaine ». Une des origines de la réduction des échanges correspond au souci d’efficacité et à la volonté de gagner du temps : « Le gain de

temps que procurent ces raccourcis (chiffres simples et idées simples et faciles à défendre)

doit s'analyser selon deux dimensions : d'une part cela permet de se fixer rapidement une opinion sur une situation donnée et d'autre part cela permet de justifier plus facilement ses choix. » (Berry, 1983, p. 8). Hibou reprend la même idée, en y ajoutant le côté transparence :

« Le gouvernement des hommes (dans l’entreprise à travers des stratégies, dans le

public à travers des politiques publiques, dans la société à travers des programmes de participation, etc…) dépend de plus en plus d’informations quantifiées produites par des données intégrées, sélectionnées, filtrées et élaborées de façon à pouvoir agir rapidement, efficacement et de façon transparente. » (2012, p. 113).

Pourtant, affirme-t-elle, « La compréhension du monde, autrement dit la connaissance, repose

sur une prise en compte de la complexité, de la pluralité et de l’impossibilité de prédire. », et la réduction, caractéristique des processus d’abstraction ainsi que le refus de la complexité conduisent selon l’auteur, à l’indifférence (2012, p. 127). De même, Bouquin et Fiol déplorent l’usage privilégié du chiffre au détriment de l’échange et d’une valorisation du lien social dans les entreprises :

« La grande force de la démarche japonaise, c’est d’avoir compris que la création de nouveaux savoirs n’est pas juste une question de traitement de l’information

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objective. Elle dépend également de la capacité à capter les points de vue, les intuitions et les pressentiments tacites et éminemment subjectifs des salariés pris individuellement et à les mettre à disposition de l’ensemble de l’entreprise pour qu’elle les teste et les utilise. Au cœur du processus, se trouve l’engagement personnel et le sens de l’identité de l’entreprise et de sa mission. » (Bouquin et Fiol, 2007, p. 13).

3.2.5.2.2 L’usage privilégié de la représentation chiffrée favorise le contrôle, la

concurrence au détriment de la coopération, et l’opportunisme.

Selon Berland et al. le théoricien de la direction par objectifs, Peter Drucker, à l’origine du management par les chiffres, estime que « la fixation d’objectifs mesurables permet de

contrôler à distance le comportement d’autres personnes » (2008, p. 165), ce qui correspond à la première composante de notre sous-éclairage, l’idée étant de responsabiliser ces personnes (par rapport à l’objectif fixé) et de mesurer leur responsabilité dans le cadre d’un contrat préalable à l’action. Cette dernière idée est reprise actuellement dans le cadre des « théories contractuelles de l’entreprise », dont la théorie de l’agence fait partie. (2008, p.165).

Ces finalités reposent toutefois sur 3 hypothèses principales : L’homme n’est motivé que s’il est

« évalué et récompensé en fonction d’objectifs chiffrés. Il est, de manière générale,

considéré comme opportuniste et cherche d’abord à maximiser son bien-être, si nécessaire au détriment de l’entreprise. Or, à le considérer comme opportuniste, on le pousse à le devenir, à se centrer uniquement sur ce qui est mesuré et mesurable au détriment du reste, ou même à tenter de maquiller la mesure ».

(ce qui reprend la dernière composante de notre sous-éclairage)

L’entreprise est découpable « en « centres de responsabilités » ayant chacun un objectif

chiffré, des moyens et un responsable », d’où une favorisation de la concurrence entre les acteurs plutôt qu’une coopération dans le sens de la réussite de l’organisation. (ce qui reprend la seconde composante de notre sous-éclairage)

Il est possible de fixer un objectif mesurable pour chaque processus de l’organisation et, si le résultat diffère de l’objectif, il est possible d’agir pour le modifier. (Berland et al. 2008, p. 166)

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Ces hypothèses confirment donc notre éclairage et vont dans le sens d’une transformation du lien social dans l’entreprise, par l’utilisation privilégiée de la représentation chiffrée.

Deux autres auteurs, hors du champ des organisations confirment la notion de valorisation de la concurrence, voire de contrôle pour le premier : Hibou constate en effet que « le savoir

statistique et la quantification permettent des évaluations permanentes, la mise en comparaison non moins systématique des actes individuels, la définition d’objectifs et de standards d’efficacité pour chaque acte. » (2012, p. 112) et Gori observe que :

« Un des crédos de cette nouvelle manière de gouverner (sur la base de l’évaluation)

la recherche, l’enseignement et le soin repose sur l’idée qu’il faut accroître la compétition des pairs d’une discipline ou d’une activité pour les transformer en concurrents rentables et performants dont l’obsession fondamentale doit devenir la comparaison de leurs « produits », face à ceux des autres opérateurs du champ. Cette évaluation par benchmarking provient directement des manuels de management de Rank Xerox et de Toyota. » (Abelhauser, Gori, Sauret, 2011, p. 66). Quatre textes concernant le champ des organisations, établissent un lien entre l’usage des chiffres et la diminution d’intérêt du manager pour le collectif au profit de l’intérêt individuel voire d’une attitude opportuniste. Dumazert et Cherré reprennent les propos d’un responsable des ressources humaines, qui considère que, chez le manager, « la forme la plus courante de

déviance négative est celle qui consiste à se détacher de l’humain, à détruire le collectif pour atteindre les résultats même en laissant exister une « casse humaine » au travail » (2012, p. 285). Metzger considère que : « Le désintérêt pour les autres et l’ignorance de leur propre

responsabilité est bien ce qui caractérise les cadres des sociétés performantes », le lien est établi dans ce texte avec le chiffre, mesure de la performance. (2005, p. 267). De Gaulejac évoque les bonus poussant à l’opportunisme :

« L’obsession de la rentabilité financière occupe les dirigeants parfois même au

détriment du développement de l’entreprise. D’autant que leur rémunération sous la forme de stock-options conduit à mesurer leur propre réussite en fonction de la progression de la valeur de l’action en Bourse. » (2005, p. 29),

ce sur quoi insiste plus particulièrement Faber :

« La quasi-totalité des processus de l’entreprise, son organisation, ses symboliques,

son système de rémunération de la performance, sont orientés vers l’atteinte d’objectifs de profit et l’amélioration de notre propre situation financière. Bardées

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