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Première partie Revue de littérature

1. Définition des concepts constitutifs de notre question question

1.2 La représentation chiffrée

1.2.1 Le concept de représentation .1 Définition .1 Définition

1.2.2.3 Quantification et mesure

Les notions de quantification et de mesure sont des notions proches, et très utilisées en lien avec la représentation chiffrée. Il nous apparait en conséquence important que ces termes soient clairement définis. D’après le dictionnaire TLFI (trésor de la langue française informatisé) du Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales en ligne (CNRTL), le sens premier du mot quantification, correspond à l’ « Action de quantifier, d'attribuer une

certaine quantité, un certain quantum à un phénomène mesurable. » , et le fait de quantifier correspond à « Attribuer une quantité, une valeur quantitative à (une chose concrète ou

abstraite); évaluer et exprimer en chiffres », avec pour synonymes les verbes « chiffrer,

mesurer, nombrer ». D’après Desrosières et Kott « Le verbe quantifier est employé dans un

sens large : celui d’exprimer et de faire exister sous une forme numérique ce qui, auparavant, était exprimé seulement par des mots et non par des nombres » (Desrosières et Kott, 2005, p. 2).

D’après le TLFI, le verbe « mesurer » fait partie des synonymes du verbe « quantifier », mais il est défini par ailleurs comme le fait de, dans un premier temps, « déterminer, évaluer

(d'après un étalon, à l'aide d'un instrument) », et de manière plus générale comme le fait d’ « évaluer ». La mesure est elle-même définie dans le TLFI du CNRTL en ligne comme

« l’évaluation d'une grandeur ou d'une quantité, par comparaison avec une autre de même espèce, prise comme terme de référence. ». La mesure semble donc faire appel à une référence, comme le confirment Berland et al. :

« La mesure est, quant à elle, une activité aussi vieille que l’humanité, liée à tous les

domaines de l’activité humaine (scientifique, commerciale, industrielle, agricole, etc.) et fortement associée au progrès de la science. Cela lui confère une légitimité historique et sociale forte. Mais l’exercice de la mesure n’est pas aisé. Les

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mathématiciens qui ont développé une

théorie de la mesure

le savent depuis longtemps. Mesurer, c’est relier une grandeur à un symbole » (2008, p. 160),

alors que la quantification serait plus largement le fait d’exprimer en chiffres. Berland et al. rejoignent à ce niveau Desrosières et Kott qui déterminent ainsi la différence entre l’action de quantifier et celle de mesurer :

« L’idée de mesure ,inspirée des sciences de la nature, suppose que quelque chose de

réel peut être « mesuré » selon une métrologie réaliste » et « Ce verbe quantifier,

dans sa forme active (faire du nombre), implique qu’il existe une série de conventions préalables, de négociations, de compromis, de traductions, d’inscriptions, de codages et de calculs conduisant à la mise en nombre »(Desrosiers et Kott, 2005, p. 2).

En effet, Berland et al. considèrent de même qu’il existe « trois types de grandeurs » : celles qui se mesurent (comme l’angle, la longueur), celles qui peuvent être ordonnées (plus petit que…), ces deux types nécessitant la définition d’une unité et des opérations, pour obtenir un résultat, et « les grandeurs repérables » comme la concentration, la dureté, les tremblements de terre,

« qui ne peuvent être additionnées ou multipliées et nécessitent la définition

d’échelles (l’échelle de Richter, par exemple). Enfin, il existe ce que l’on appelle les

indicateurs, qui ne requièrent ni relation d’équivalence, ni relation d’ordre, mais qui reposent sur des conventions sociales. Ils constituent un chiffrage de la valeur générale d’un ensemble de grandeurs liées (le quotient intellectuel d’un enfant ou le taux de satisfaction de la clientèle d’une entreprise). La gestion fait essentiellement référence au troisième type de grandeur, en la considérant abusivement comme une mesure –faisant ainsi référence aux sciences de la nature- alors qu’elle résulte d’un processus de « quantification » » (Berland et al., 2008, p. 160).

En fait, concluent Desrosières et Kott, la quantification « ne fournit pas seulement un reflet du

monde (point de vue méthodologique usuel), mais elle le transforme, en le reconfigurant autrement. » (2005, p. 2). De même, Chiapello et Desrosières différencient mesure et quantification, dans un article dans lequel ils recensent cinq postures possibles des chercheurs à l’égard de la quantification, et sont amenés à interroger le « réalisme des données

quantitatives », (Chiapello et Desrosiers, 2006, p. 308), ils concluent à cet égard que :

« Cette complexité peut choquer ceux qui, précisément, ne voient la quantification

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fait que celle-ci est aussi un langage commun, un outil de coordination, comparable en cela à la Constitution d’un Etat ou à un code juridique destiné à réguler des relations sociales » (Chiapello et Desrosières, 2006, p. 309).

C’est aussi l’idée que soutient Desrosières, à propos plus particulièrement de la statistique publique et de la proposition qui a échoué, de deux nouveaux indicateurs, le BIP40 (baromètre des inégalités et de la pauvreté) et l’ACDC (Autres Chiffres Du Chômage) :

« Mais ces expériences montrent, a contrario, à quel point les statistiques publiques

instituent de la réalité, et que, à ce titre, elles peuvent être comparées à une Constitution. Elles sont le produit d’un travail de la société sur elle-même et incorporent l’état des rapports sociaux à une époque. ». (Desrosières, 2014, p. 62). Desrosières ne partage toutefois pas l’idée de système de domination, avancée par Viveret et Boltanski.

Le fait de définir clairement ces deux notions de mesure et de quantification, nous amène à considérer que le fait d’exprimer une réalité en données chiffrées ou de construire une représentation chiffrée, correspond plutôt à la quantification, plus large que la notion de mesure, qu’elle inclut, et que cette construction repose effectivement sur des conventions des compromis, des choix… Il ne s’agit donc pas de reproduire le réel, mais de le « reconfigurer » selon le terme de Desrosières et Kott. Nous retrouvons ainsi clairement une caractéristique propre aux représentations de manière générale. Par ailleurs, toujours à propos de la statistique, Bernard Py considère qu’il s’agit d’un outil de communication et d’une méthode pour faire passer un message (Py, 2010, p. 2), mais que « c’est l’être humain et lui seul, qui

peut se permettre l’indispensable interprétation statistique » (Py, 2010, p. 4).C’est aussi ce qu’affirment Le Theule et Praquin, quant aux chiffres issus de la comptabilité : « Les chiffres

ne sont que des constructions élaborées pour raconter quelque chose. » (2008, p. 202) : nous retrouvons à nouveau des caractéristiques propres à toutes les représentations.

1.2.2.4 Conclusion

La représentation chiffrée présente donc un certain nombre de particularités que nous avons évoquées, mais il s’agit bien avant tout d’une représentation, concernant laquelle les auteurs que nous avons mobilisés, soulignent les caractéristiques propres, à savoir, qu’elle ne correspond pas à la réalité mais qu’elle se substitue au réel, pour le représenter, que sa

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construction est établie sur la base de choix et de conventions, qu’elle est le support des échanges, qu’elle est soumise à interprétation et contribue à véhiculer une vision du monde, voire à construire la réalité. Il y a toutefois divergence selon les auteurs, quant à considérer la représentation, et plus particulièrement la représentation chiffrée, comme un système de domination.

Enfin, de la même façon que nous avons conclu avec Pesqueux et Viveret, qu’il est indispensable pour comprendre de « dépasser les représentations », nous retrouvons cette idée qui nous parait essentielle, quant à la représentation chiffrée, notamment dans un article de Jany-Catrice, écrit en 2014, concernant l’expérience du FAIR (Forum pour d’autres indicateurs de richesse) :

« Sur le plan pratique, enfin, le Forum suggère que « soient tirées les leçons des expériences existantes et des initiatives en matière d’indicateurs, en construisant une connaissance commune et une expertise critique des intérêts et limites des indicateurs et certainement aussi de la quantification » 25,

ainsi que dans l’article de Chiapello et Desrosières qui concluent quant à la quantification sur « l’importance qu’il y a à défricher et à comprendre les usages et pratiques de la

quantification, à prendre comme objet d’étude l’attitude à l’égard du chiffre des acteurs, et notamment des chercheurs en économie et comptabilité » (2006, p. 304).

Nous considérons effectivement à la suite de ces auteurs, qu’il est nécessaire de comprendre et de dépasser, ainsi que d’ouvrir les débats sur nos modes de représentation, notamment quant aux représentations chiffrées.

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