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Représentation et réalité .1 Une réalité interprétée

Première partie Revue de littérature

1. Définition des concepts constitutifs de notre question question

1.2 La représentation chiffrée

1.2.1 Le concept de représentation .1 Définition .1 Définition

1.2.1.2 Représentation et réalité .1 Une réalité interprétée

La représentation n’est donc pas la réalité, mais ce qui en tient lieu. En outre, nous l’avons vu, elle est le fruit d’une construction liée à des attentes, elle ne peut donc pas être neutre, elle se substitue au réel et c’est à partir de représentations, que les êtres humains, travaillent, réfléchissent et échangent… Toutefois, l’usage de représentations favorise une interprétation du réel ; Florence et Angélique Rodhain évoquent dans ce sens, la notion de filtres interprétatifs : « Ainsi, nos connaissances et représentations stockées dans notre cerveau

brouillent les pistes en produisant un bruit constant. Ces filtres interprétatifs éloignent l’individu de la réalité qu’il cherche à observer. » (2012, p. 47). De même Fourez évoque l’interprétation qui peut être faite de représentations : « La manière de se représenter le

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développer un souffle dans l’existence ou, au contraire, produire un univers spirituellement plat. » (Fourez, 2004, p. 38). A ce titre, l’histoire racontée par Italo Calvino, à propos de l’exactitude, nous parait particulièrement intéressante, pour la suite de notre propos :

« A un certain moment, Kublai Khan incarne la tendance qu’a l’intellect à

rationaliser, à géométriser, à algébriser, et il réduit la connaissance de son empire à une combinatoire de pièces sur un échiquier : les villes que Marco Polo lui décrit avec force détails, il les représente par telle ou telle disposition des tours, des fous, des cavaliers, du roi, de la reine, des pions, sur les cases blanches et noires. Au terme de l’opération, il lui faut conclure que l’objet de ses conquêtes n’est autre que le bout de bois sur lequel chaque pièce se pose : un emblème du rien…Mais alors se produit un coup de théâtre : Marco Polo invite le Grand Khan à mieux observer ce qui lui semble n’être rien :

… Le Grand Khan essayait de s’absorber dans le jeu : mais à présent, c’était le pourquoi du jeu qui lui échappait. Toute partie s’achevait sur un gain ou sur une perte : mais de quoi ? Quel était le véritable enjeu ? A l’échec et mat, sous les pieds du roi enlevé par la main du vainqueur, il reste le rien : un carré noir ou blanc. A force de désincarner ses conquêtes pour les réduire à l’essentiel, Kublai était parvenu à l’opération terminale : la conquête définitive, dont les trésors en tous genres de l’empire n’étaient qu’enveloppes illusoires, se réduisait à un morceau de bois raboté.

Alors Marco Polo prit la parole :- Ton échiquier sire, est une incrustation de deux bois : ébène et érable. Le morceau de bois sur lequel se fixe ton regard illuminé a été taillé dans un anneau du tronc qui s’était développé une année de sécheresse : vois-tu comment sont disposées les fibres ? On aperçoit ici un nœud à peine marqué : un bourgeon a tenté de sortir un jour de printemps précoce, mais la gelée nocturne l’a contraint à renoncer. Le Grand Khan ne s’était jusqu’alors pas rendu compte que l’étranger savait s’exprimer couramment dans sa langue, mais ce n’est pas de là que venait son étonnement. Voici un pore plus gros : peut-être a-t-il été le nid d’une larve ; non pas d’un ver, qui à peine né aurait continué de creuser, mais d’une chenille qui a rongé les feuilles, et été cause qu’on a choisi cet arbre pour l’abattre…Ce bord-ci a été incisé par l’ébéniste avec une gorge, de manière à adhérer au carré voisin, plus saillant… La quantité de choses que l’on pouvait lire dans un petit morceau de bois lisse et vide submergeait Kublai ; déjà Polo en était

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venu à parler des forêts d’ébène, des trains de bois qui descendent au fil des rivières, des accostages, des femmes aux fenêtres…

En écrivant cette page, j’ai clairement compris que ma recherche de l’exactitude s’orientait dans deux directions. D’un côté, la réduction des évènements contingents à des schémas abstraits, permettant le calcul et la démonstration de théorèmes ; de l’autre, l’emploi de mots qui rendent compte avec la plus grande précision possible de l’aspect sensible des choses ». (Histoire du Grand Khan, extrait de « Les villes invisibles » d’Italo Calvino, 2001, p. 119).

Les représentations donnent donc accès à des interprétations tout à fait différentes de la réalité, et peuvent faire écran ; le récit de Calvino éclaire par ailleurs, de par l’attitude du grand Khan, la définition de Laplantine, quant à la rationalisation chère aux occidentaux, que nous développerons ultérieurement.

1.2.1.2.2 Une réalité construite

Par ailleurs, selon les sociologues Berger et Luckman,

« la réalité est socialement définie. Mais les définitions sont toujours incarnées,

c'est-à-dire que des individus concrets et des groupes d’individus servent à définir cette réalité. Pour comprendre l’état de l’univers socialement construit à un moment donné, ou sa transformation dans le temps, on doit comprendre l’organisation sociale qui permet aux définisseurs d’établir leurs définitions. Pour le dire plus simplement, il est essentiel de continuer à poser des questions au sujet des conceptualisations historiquement disponibles de la réalité » (1966, p. 204-205) et « « Toute société a ses moyens spécifiques de percevoir et de définir la réalité : son

monde, son univers, son organisation agencée de symboles. », (1966, p. 309). Les auteurs prennent notamment l’exemple du langage, de nos schémas de « typifications » (1966, p. 73 et 85) et de l’ensemble de notre système de représentations, qui mettent en ordre nos expériences de la réalité, jusqu’à ce que nos représentations finissent par se confondre avec la réalité et soient considérées « comme le monde tout court, le seul monde que les

hommes normaux puissent concevoir. » (1966, p. 309). Les représentations participent donc à la création de notre réalité. Cette notion de réalité construite est reprise par Ian hacking qui l’applique notamment à l’économie :

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« Tous les jours, nous prenons connaissance des hauts et des bas de l’économie et

nous sommes censés y réagir par la crainte ou l’euphorie. Et pourtant cette idole splendide qu’est l’économie était difficilement repérable à la une des journaux d’il y a à peine quarante ans. Pourquoi sommes-nous si peu curieux de cette idée elle-même, l’économie ? On pourrait prétendre que l’idée, en tant qu’outil analytique, en tant que manière de penser la vie industrielle, ressemble fort à une construction. »

(2008, p. 29).

De même il évoque avec beaucoup d’ironie et dans le même sens, le déficit. Pour Hacking, ce qui amène à envisager une construction sociale de X, c’est le fait que « dans l’état actuel des

choses, X est tenu pour acquis ; X apparait inévitable. » (2008, p. 28). Si nous reprenons l’exemple actuel du déficit, le déficit est tenu à ce jour pour acquis, il apparait inévitable, et pourtant cette idée a été construite selon Hacking (2008, p. 30), elle relève de choix, elle pouvait ne pas être, et pourrait donc être uniquement issue de nos représentations, dans le sens où ces dernières influent sur, voire créent, notre vision du monde.

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