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Une partie-prenante prioritaire dans le monde des affaires : l’actionnaire

Première partie Revue de littérature

1. Définition des concepts constitutifs de notre question question

1.1 La déresponsabilisation du manager

1.1.3 Constats d’une déresponsabilisation du manager

1.1.3.2 Un contexte de déresponsabilisation souligné et déploré par la littérature

1.1.3.2.1 Une partie-prenante prioritaire dans le monde des affaires : l’actionnaire

Notre conception de la responsabilité du manager étant étendue à l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise, et de manière plus générale, à l’homme et son environnement, la mise en évidence de l’existence d’une partie-prenante prioritaire favorisée, au détriment des autres parties-prenantes, ne peut que nous amener à conclure à une déresponsabilisation des managers impliqués dans ce système. Dans le même sens, Mintzberg se déclare « foncièrement opposé à la perspective actionnariale, au fait que le manager réponde

exclusivement aux intérêts de l’actionnaire. Je suis un fervent supporter de ce que j’appelle le « management engagé ». » (2009, p. 252).

La priorité faite aux actionnaires est clairement soulignée par la littérature : ainsi Aglietta et Rebérioux le constatent :

« les codes de bonne conduite nationaux ou internationaux font, dans une très large mesure, l’apologie de la valeur actionnariale (le code de l’OCDE est, à cet égard, paradigmatique) et le modèle de l’agence est omniprésent dans les publications scientifiques traitant de la gouvernance d’entreprise. » (2004, p. 102).

Ils ajoutent : « Aucun des verrous mis en place- de l’indépendance du conseil

d’administration aux auditeurs- n’a résisté à la recherche effrénée de création de valeur pour l’actionnaire. » (2004, p. 320). Ce point est de même souligné par Pesqueux,

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tous les efforts à l’œuvre dans l’entreprise devant s’orienter vers cet accroissement. » (2005, p. 92), ou encore par Defalvard « L’idéologie de la création de valeur place le dirigeant sous

une injonction paradoxale : faire le plus d’argent possible pour l’actionnaire à court-terme, tout en le contraignant à respecter des règles de plus en plus rigides. » (2008, p. 22).

Bernard Colasse souligne, lui aussi, cette priorité, ajoutant que le cadre conceptuel de l’IASB (International Accounting Standards Board) est en outre tout à fait adapté à cette priorité ; en effet, l’information comptable établie en normes comptables internationales, a pour objet de satisfaire les besoins des investisseurs et des actionnaires :

« l’IASB adhère donc à la conception friedmanienne de la responsabilité de

l’entreprise selon laquelle celle-ci doit être gérée en fonction des intérêts de ses seuls actionnaires et n’a de comptes à rendre qu’à ceux-ci. », « Cette « fin » assignée à l’information comptable se fonde en particulier sur deux théories financières bien connues dont les limites sont également bien connues : la théorie de l’agence et la théorie des marchés efficients. » (Colasse, 2011, p. 60).

Dans le cadre de la théorie de l’agence effectivement, l’action des dirigeants, soumise aux marchés financiers, doit s’aligner sur les intérêts des actionnaires et la théorie de l’efficience suppose que le fonctionnement des marchés financiers est réactif à l’information publiée par les entreprises, d’où la nécessité de normes comptables conformes à leurs besoins.

Outre le fait qu’une partie-prenante prioritaire va, de par la définition même de la responsabilité, dans le sens d’une déresponsabilisation des managers à l’égard des autres interlocuteurs de l’entreprise, Aglietta et Rebérioux soulignent le fait que cette priorité faite à l’actionnaire, serait en soi à l’origine des dérives constatées :

« La recherche effrénée d’une rentabilité financière maximale, de manière à faire

croître la valorisation boursière des titres, a été le véritable moteur des dérives financières de ces dernières années. Les scandales qui ont ébranlé la confiance des marchés américains sont le produit de l’extension de la valeur actionnariale, plutôt que de l’égarement des garde-fous. Que l’intérêt des actionnaires soit essentiel pour une entreprise est certain ; que l’intérêt d’actionnaires distants intéressés seulement par la liquidité et la rentabilité des titres, soit l’objectif unique est en revanche contestable » (Aglietta et Rebérioux, 2004, p. 330).

C’est aussi ce qu’affirme Defalvard :

« La maximisation à tout prix du profit pour l’actionnaire ne limite pas les pratiques

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également de toutes sortes de malversations comptables, baptisées pour la bonne cause du doux nom de « créativité comptable », que les scandales d’Enron et d’autres sociétés ont rendu célèbres sur le dos de leurs salariés ruinés. » (Defalvard, 2008, p. 23).

Finalement, c’est la vision de l’entreprise dans son ensemble, qui, dans ce cadre, est questionnée par certains auteurs. En effet, Bessire considère que cette priorité faite aux actionnaires ou aux investisseurs fait partie intégrante d’une logique sous-jacente à notre système économique : « maximiser la richesse des actionnaires revient à maximiser la

richesse de toutes les parties prenantes, conformément aux lois de l’équilibre général. Dit autrement, les actionnaires et les autres parties prenantes ont nécessairement les mêmes intérêts » (Bessire, 2005, p. 5). Ce qui, en conséquence, profite aux actionnaires, serait profitable à tous, ce qui justifierait la priorité aux actionnaires, comme finalité de l’entreprise. Cette logique ou « hypothèse qui sous-tend l’économie néo-classique », critiquée par Bessire, (2005, p. 5), est de même remise en question, par d’autres auteurs. Ainsi Aglietta et Rébérioux soutiennent la thèse selon laquelle, c’est « l’objectif (la finalité) des entreprises qui

poserait problème » (2004, p. 306) et considèrent la valeur actionnariale, comme une des « racines du mal » (2004, p. 326). Le fait que la gestion des entreprises s’effectue en fonction d’une extériorité, en l’occurrence le marché financier, contribuerait à dédouaner le manager de toute autre responsabilité. De même, Bernard Colasse estime, à propos de la crise de 2008, qui a mis en évidence un certain nombre de dérives, qu’« une situation de crise exige que

toutes les parties prenantes se retrouvent sous la houlette des dirigeants au nom de ce que les juristes, qui se réfèrent à une théorie institutionnelle de l’entreprise, appellent l’intérêt social » (2011, p. 161). Enfin, dans la même lignée, Desreumaux et Brechet proposent une vision toute autre de l’entreprise, « l’entreprise comme bien commun », dans laquelle le bien commun serait le projet d’entreprises, avec une « idée d’œuvre à réaliser » (2013, p. 86) et non pas « le volume des ventes, ni les profits, ni la création d’emploi, ni le prestige de ses

dirigeants, ni la qualité de vie au travail, etc., bien que ces éléments puissent être une partie de ce bien commun. » (2013, p. 90). Ils ajoutent dans ce cadre, « L’idée d’œuvre ne peut se

ramener à celle de la création de valeur, a fortiori pour l’actionnaire, véhiculée par l’idéologie dominante actuelle. » (2013, p. 90).

La priorité faite aux actionnaires, comme faisant partie intégrante de la finalité des entreprises qui prédomine dans le cadre des théories de la firme classiques, nous parait effectivement un contexte favorable à une déresponsabilisation des managers.

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