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Une formation élitiste déconnectée des valeurs humaines

Première partie Revue de littérature

1. Définition des concepts constitutifs de notre question question

1.1 La déresponsabilisation du manager

1.1.3 Constats d’une déresponsabilisation du manager

1.1.3.3 Une formation au management qui ne forme pas à la responsabilité

1.1.3.3.3 Une formation élitiste déconnectée des valeurs humaines

Un troisième reproche, en opposition avec les exigences d’une formation à la responsabilité, est fait aux Business Schools

:

elles ne sont pas ouvertes sur l’humain et contribuent au « déficit moral » déploré par Stiglitz.

Il s’agit tout d’abord de formations élitistes, tendant à faire croire aux étudiants qui les suivent, qu’ils sont les meilleurs, voire des êtres supérieurs : « « Le monde est à vous »,

phrase stupide dans son contenu et criminelle dans son irresponsabilité, exprime bien la liquidation des structures et des repères à laquelle se voue la prétendue éducation des

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managers, des vendeurs et des dirigeants. » (Juvin, 2012, p. 59). De même Ellul nomme ironiquement les étudiants des grandes écoles françaises,

« les Aristoï » : « Issus de polytechnique, de l’ENA, de Centrale, des Mines, de HEC,

des Arts et Métiers, etc., ces technocrates ne constituent pas cependant une technocratie au sens propre. Le phénomène est moins visible et plus profond. Ils constituent la nouvelle classe dirigeante, et nous vivons en réalité dans un régime aristocratique : ils sont les Aristoï, les Meilleurs. » (1988, p. 72).

Selon Ellul, chaque époque ou chaque société a ses Meilleurs. Actuellement les Meilleurs, ce sont les techniciens les plus compétents et en lien avec la responsabilité, Ellul ajoute deux commentaires intéressants « les aristocrates ne peuvent jamais être tenus responsables. Qui

les jugerait ? », « C’est en effet une des caractéristiques de l’aristocratie : l’aristocrate est

au-dessus des lois.» (Ellul, 1988, p. 74).

Plus grave encore, selon Noiville, cette « survalorisation » des étudiants des grandes écoles et notamment de HEC, leur fait perdre le sens des réalités et de ce fait les cadres issus de ces écoles sont « gonflés du sentiment de leur propre importance, et peu sensibilisés aux

« conséquences humaines des actes de management » (Noiville, 2009, p. 53). Noiville se demande si HEC ne pourrait pas être comparée à « un énorme « aspirateur de talents » se

nourrissant des meilleurs pour recracher au bout du compte- et sous l’étiquette d’élite économique et financière- des dirigeants âpres au gain, relativement inutiles à la société et, pour beaucoup privés d’états d’âme ? » (2009, p. 50). De même Florence et Angélique Rodhain, reprenant les paroles de Venkat Krishnan24, expliquent « comment l’éducation à la

gestion semble rendre les étudiants plus égoïstes, moins concernés par les autres et la société. », et ce malgré l’introduction de l’enseignement de l’éthique, du Développement Durable ou de la Responsabilité Sociale d’Entreprise, dans les cursus, jugé inefficace par les auteurs, voire soupçonné pour la RSE, « de technique de manipulation destinée à faire

accepter le « froid calcul égoïste des multinationales » ? » (2012, p. 44). A ce propos, Yves-Marie Abraham explique dans un article daté de 2007 que l’idée de base de la formation à HEC serait de déscolariser les étudiants issus de classes prépas, sur la base de l’argument suivant : « Ils ne deviendront en somme de bons managers que dans la mesure où ils auront

cessé d’être de bons étudiants, c'est-à-dire des gens soucieux de choses dont le manager ne peut se soucier, sinon aux marges de son action. » (Abraham, 2007, p. 45). Il illustre son

24 In Krishnan Venkat. Impact of MBA Education on Student’s Values: Two Longitudinal Studies. Journal of business Ethics, 2008, n°83, p.233-246

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propos par un exemple édifiant d’une discussion entre étudiants, « à partir d’un cas sur un

conflit du travail particulièrement dur au sein d’un grand quotidien américain », une étudiante se révolte de la façon dont sont traités les grévistes par la direction et du non-respect du droit de grève, ce à quoi un autre étudiant réplique :

« Eh ! T’es plus à Sciences po ici…T’es à HEC maintenant, ma belle ! Si ça te

choque, retourne à Science po ! » Rires de toute la classe. La jeune fille, dont on comprend qu’elle a intégré HEC en deuxième année, venant de l’IEP de Paris, rougit et se tait. Le professeur : « La question qui se pose, c’est d’abord de savoir si

c’est efficace pour l’entreprise de gérer un conflit de cette manière… » » (Yves Marie Abraham, 2007, p. 52).

Seul l’intérêt de l’entreprise prévaut, au détriment de l’humain. Ce dernier point est par ailleurs clairement illustré par le vocabulaire utilisé dans les organisations et dans les écoles de management, pour désigner :

« le « personnel » d’une entreprise, ce collectif humain œuvrant dans une même

organisation, a été rebaptisé « ressources humaines ». Simple changement d’appellation technique, banale actualisation terminologique issue d’une modernisation du vocable ? Non, bien sûr. Le langage a entériné un glissement symbolique majeur, ramenant l’humain dans l’organisation au même plan que les « ressources énergétiques » ou les « ressources financières ». Associé à « humaines » le terme « ressources » signifie qu’on a ôté à l’humain la possibilité d’être une finalité et une référence. Il est devenu un simple moyen évalué à l’aune de son seul potentiel de contribution rapidement monétarisable. Dans nos écoles, à quels moments questionnons-nous le sens de ces glissements langagiers ? » (Fimbel « Si Jean Baudrillard a raison, alors… » 2012, p. 7).

La formation au management est donc d’après les nombreux auteurs mobilisés, une formation essentiellement technique, disciplinaire, véhiculant l’idéologie du monde des affaires, et plus particulièrement les valeurs du capitalisme financier. Elle reproduit ainsi de futurs managers formatés, peu enclins à faire preuve de jugement, de recul ou d’esprit critique, notamment par rapport au système dont ils sont issus, habités du sentiment entretenu par leur formation, qu’ils sont les meilleurs et en conséquence, peu concernés par les autres et la société. La formation ainsi décrite ne peut former à la responsabilité et participe au contexte de déresponsabilisation des managers, ce que confirment Wilson et Thomas :

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« L’échec des écoles de commerce à embrasser et enseigner la pensée critique et le raisonnement moral expliquerait pourquoi les diplômés de MBA ont pris les décisions à courte vue qui ont abouti à la crise financière actuelle et autres faillites d’entreprises (Enron, etc…) ». (Wilson et Thomas, 2012, p. 104).

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