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Chapitre 1 : Une enquête qui souffre de retards et d’oublis

II. Des informations difficiles à obtenir : la cause de nombreux retards

2. Une ignorance de l’enquête comme facteur de retard

Nous avons déjà évoqué le fait que les officiers mais aussi les administrateurs lors de leur prise de fonction ne sont pas toujours informés de l'existence des états des crimes et des ordres relatifs à cette

1 Arch. dép. Nord, C.10285, Lettre : envoi de l'état des crimes de la subdélégation de Maubeuge pour les 6 derniers mois de 1785 - 4.02.1786.

2 « Ce greffier m’a prié de vous observés qu’il etoit d’usage qu’on luy accordoit une gratification pour les états de population qu’il dressoit annuellement qu’il n’en avoit reçu aucune pour ceux des années de 1775 et 1776 et qu’il nous suplioit de vouloir bien y avoir égard ». Arch. dép. Bouches-du-Rhône, C.3523, Lettre : envoi de l’état des crimes de la subdélégation d’Arles pour les 6 derniers mois de 1777 - 25.02.1778.

3 Arch. dép. Hérault, C.1584, Lettre : envoi des états des crimes de la sénéchaussée et des capitouls de Toulouse pour les 6 derniers mois de 1761 - 30.01.1762 ; Arch. dép. Bouches-du-Rhône, C.3524, Circulaire de l'intendant à ses subdélégués - 20.01.1779.

4 Arch. dép. Hérault, C.1584, Lettre : envoi des états des crimes de la sénéchaussée et des capitouls de Toulouse pour les 6 derniers mois de 1761 - 30.01.1762.

5 Arch. dép. Nord, C.9537, Lettre : envoi de l'état des crimes de la subdélégation d'Avesnes pour les 6 premiers mois de 1772 - 18.07.1772.

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entreprise. C'est une des raisons qui peut effectivement retarder l'envoi des états des crimes particuliers et avoir des conséquences sur celle des états globaux de l'intendance.

Le procureur de la sénéchaussée de Limoux concernant son état des crimes pour le premier semestre de 1759 note ainsi : « Je me suis apperçu dans votre lettre du 31 may 1758 que vous me demandés ces états chaque 1er janvier et juillet, je ne difereray plus jusqu'au 15e ayant cru que vous ne m'aviés fait cette demande que pour les premiers jours ded[its] mois »1. Il ne repoussait donc ses envois que par ignorance et non de manière consciente et délibérée.

D'autres se mettent en retard à cause du manque de transmission de l'informations entre anciens et nouveaux officiers de justice. Certains sont néanmoins prévenus par leur prédécesseur ou par les autres officiers de leur juridiction de leurs obligations vis-à-vis de l'enquête. En 1760, le procureur fiscal de Tauves ne manque ainsi pas de préciser à l'intendant que c'est au bailli du lieu qu'il doit sa connaissance de l'enquête :

« M[onsieu]r Mabru bally de ce lieu de Tauves me fit l'honneur de me dire que vous demandiés un état des circonstances de tous les crimes qui ont étés commis dans cette justice et qui méritent peine afflictive. Je ne suis pourveu de l'office de procureur d'office que depuis le mois d'avril dernier, M[onsieu]r Mabru dit vous avoir envoyé des états de ceux qui pouvoient avoir été commis de son temps ; voicy ce qui s'est passé du depuis »2.

En revanche, dans le bailliage de Prades, un officier nouvellement en poste a tardé à s'acquitter de son devoir et n'a transmis qu'en mars son état des crimes des six derniers mois de 1762 par défaut d'information sur l'enquête3. C'est également le cas pour le procureur du roi de la ville d'Aigues-Mortes qui, après avoir reçu un rappel de l'intendant du Languedoc pour son état des crimes du second semestre de 1745, se dit être : « [...] très mortifié de [s]e trouver d'abord en commençants en arrière pour une des fonctions essentielles à la charge qu' [...] il exerce »4. En 1748, le procureur substitut de Castres met aussi en avant son ignorance – de même d'ailleurs que celle de son prédécesseur – quant à l'usage d'envoyer des états des crimes et demande par là même occasion qu'on lui fournisse des modèles préétablis :

« Si je n'avois pas ignoré jusques icy l'usage de vous envoyer chaque six mois un état des crimes dignes de mort ou des peines afflictives qui peuvent s'être commis dans l'étendue de ma

1 Arch. dép. Hérault, C.1582, Lettre : envoi de l'état des crimes de la sénéchaussée de Limoux pour les 6 premiers mois de 1759 - 15.07.1759.

2 Arch. dép. Puy-de-Dôme, 1C.1556, Lettre : un crime dans la justice de Tauves pour les 6 premiers mois de 1760 - 26.06.1760.

3 Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 1C.1272, Lettre : envoi de l'état des crimes du bailliage de Prades pour les 6 derniers mois de 1762 - 3.03.1762.

4 Arch. dép. Hérault, C.1576, Lettre : aucun crime dans la viguerie d’Aigues-Mortes pour les 6 derniers mois de 1745 - 7.02.1746.

En effet, le Sieur Lagarde qui avait indiqué qu'aucun crime n'avait été commis dans cette juridiction le semestre précédent est décédé. Ibidem et C.1576, Lettre : aucun crime dans la viguerie d’Aigues-mortes pour les 6 premiers mois de 1745 - 1.07.1745.

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jurisdiction, j'aurois depuis longtems satisfait à cette obligation, mais puisque c'est donc chose nouvelle pour moy et pour mon prédécesseur. Je vous prie d'avoir la bonté de me donner les eclaircissemens nécessaires afin de vous faire tenir cet état tel que vous le desirés. Et au cas qu'il y ait des états à colonnes imprimés pour ces sortes d'affaires, je vous prie d'avoir la bonté de m'en faire passer quelques-uns dans le paquet de M[onsieu]r de Boissezon1. J'aurai soin de les remplir et de vous les faire passer incessamment [...] »2.

Dans la même intendance, le subdélégué de Montpellier assure qu'il aurait désiré transmettre son état des six derniers mois de 1760 à la fin du mois de décembre ou au plus tard au début du mois de janvier, mais qu'il n'a pu le faire à cause des difficultés qu'il a rencontrées pour obtenir du commis du greffier les renseignements nécessaires à son établissement. Il note néanmoins que cet officier « [...] est plus excusable que ses prédécesseurs parce qu'il n'est en place que depuis peu et que par cette raison il lui a été plus difficile de satisfaire à son devoir à cet égard »3. Le commis au greffe de la sénéchaussée d'Hyères dans l'intendance de Provence assure lui, que depuis qu'il est en poste, il n'a jamais eu d'ordre à ce sujet :

« Si je n’ay pas été plus exact à suivre les ordres de M. le garde des sceaux, c’est que depuis que je suis en exercice il ne m’avoit été tenus aucun imprimé, ni reçu aucun ordre pour remplir cette formalité. Je serai exact à l’avenir d’exécuter vos ordres, il vous plaira à cet effet de me faire parvenir quelques imprimés »4.

En 1782, le greffier de la sénéchaussée de Draguignan, bien qu'en poste depuis près de quatre ans, semble lui aussi ne pas être au courant de tous les procédés relatifs à l'enquête. Ainsi, lorsqu'il reçoit par erreur une lettre, il affirme avoir toujours envoyé des états au procureur général, mais ignorait que l'intendant souhaitait en avoir aussi un exemplaire :

« C’est par erreur sans doute que vous vous plaignés dans la lettre dont vous m’avés honnoré de ma négligence à vous faire passer l’état des crimes dignes de mort ou de peines afflictives qui se sont commis dans le ressort de la sénéchaussée d’Hieres5 pendant les six premiers mois de cette année. J’ai présumé par-là que votre lettre avait été addressée à moi au lieu du greffier d’Hieres. Permettés-moi [...] de vous exposer que depuis quatre années que je régis le greffe de cette sénéchaussée j’ai été très attentif à envoyer de trois en trois mois l’état que vous réclamés

1 Subdélégué de l'intendant du Languedoc à Castres.

2 Idem, C.1579, Lettre : le procureur du roi de Castres à l’intendant - 25.08.1748.

3 Idem, C.1584, Lettre : envoi de l'état des crimes de la subdélégation de Montpellier pour les 6 derniers mois de 1760 -

19.01.1761.

Dans la subdélégation de Nîmes, le retard dans l'envoi est aussi dû au changement de commis au greffe. Idem, C.1586, Lettre : envoi de l'état des crimes de la subdélégation de Nîmes pour les 6 premiers mois de 1766 - 1.09.1766 ; Lettre : Idem pour les 6 derniers mois de 1766 - 12.03.1767.

4 Arch. dép. Bouches-du-Rhône, C.3534, Lettre : envoi de l’état des crimes de la sénéchaussée d’Hyères pour les 6 premiers mois de 1783 - 4.09.1783.

Nous ignorons la date où il a obtenu cette charge.

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à M. le procureur général et comme je n’ai jamais scu qu’il vous fut nécessaire, vous voudrés bien me donner vos ordres là-dessus afin que je puisse m’y conformer »1.

Un an plus tard, il réaffirme qu'il a toujours été exact à transmettre un état des crimes au procureur général et qu'à l'avenir, il en fera de même avec l'intendant :

« Je n’ai reçu l’honneur de votre lettre en datte du 13 aout der[nier] que hier deux du courant2

et j’ose vous assurer que ma négligence à vous avoir envoyé l’état des crimes du semestre de janvier ne vient que de ce que j’ai toujours ignoré l’intention de M. le garde des sceaux. J’ai été néanmoins très exact à faire passer à M. le procureur général du roi l’état des crimes tel que vous le désirés non seulement par semestre mais même par trimestre, le dernier lui a été addresé le 18 juillet dernier. J’ai l’honneur de vous addresser avec la présente led[it] état des six premiers mois ainsi que vous me l’ordonnés et vous prie d’avoir l’indulgence de me pardonner si j’ai manqué comme aussi s’il est nécessaire que j’addresse toujours cet état à M. le procureur général du roy indépendamment de celui que j’aurai l’honneur de vous addresser avec la dernière exactitude tous les six mois »3.

Les subdélégués nouvellement nommés, ne sont pas toujours mieux instruits que les officiers de l'existence des états des crimes. En 1758, celui de Paimpol avoue ainsi sa méconnaissance totale de cette enquête :

« J’ay receu la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’escrire le 31 décembre dernier et des mémoires des crimes dignes de mort ou peines afflictives, j’ay l’honneur d’avoir esté du reigne de nos seigneurs de La Tour et de Pont Carré de Varme et je ne me rappelle pas avoir veu ces mémoires, dont monseigneur le chancelier demande »4.

Quant à M. Perraud remplaçant de M. de Saint-Benoît comme subdélégué de Limoux à Caudiès, il explique à l'intendant de Montpellier qu'il ignore les ordres donnés à ce sujet à son prédécesseur, notamment parce que celui-ci ne lui a pas encore remis tous les papiers de la subdélégation, comme cela se fait à chaque changement de subdélégué5 :

1 Arch. dép. Bouches-du-Rhône, C.3532, Lettre : le greffier de Draguignan à l’intendant - 4.09.1782.

2 On note ici la lenteur de la poste sur laquelle nous reviendrons plus en détail.

3 Arch. dép. Bouches-du-Rhône, C.3534, Lettre : envoi de l’état des crimes de la sénéchaussée de Draguignan pour les 6 premiers mois de 1783 - 3.09.1783.

4 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C.137, Lettre : aucun crime dans la subdélégation de Paimpol pour les 6 derniers mois de 1757 - 12.02.1758.

5 C'est ce que montre le remplacement du Sieur Durand par le Sieur d'Honnechy à la tête de la subdélégation du Cateau-Cambrésis. Lettre de commission de ce dernier précise en effet : « Enjoignons en conséquence audit S[ieu]r Durand de remettre audit S[ieu]r d'Honnechy notre subdélégué, tous les papiers, titres, documents, ordres, lettres et tous autres pièces concernant la subdélégation du Cateau [...] ». Arch. dép. Nord, C.10621, Commission de subdélégué du Cateau-Cambrésis pour le sieur d'Honnechy - 15.06.1758, in GLINEUR Cédric, « Pour une approche diplomatique des commissions des subdélégués d’intendance au XVIIIe siècle. L’exemple du Hainaut (1765-1788) » in Bibliothèque de l'école des chartes. 2007, t. 165, livraison 2, pp. 505-523, (ici pp. 521-522).

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« M. de S[ain]t Benoît n'a pas encore achevé de débrouiller les papiers de la subdélégation pour m'en faire la remise. Il m'a fait passer seulem[en]t quelque dossier d'affaires retardées à mezure qu'on luy demande et que j'expédie le plustot possible. En conséquence, j'ignorois jusqu'à ce jourd'huy à la réception de la lettre dont vous m'avés honoré le 23e de ce mois, la lettre que vous luy avés écrite le 15e juin d[erni]er par laquelle vous l'aviés informé des intentions de M. le chancelier avec recommandation de vous adresser régulièrem[en]t tous les six mois dans les premiers jours de janvier & de juillet les états des crimes commis dans mon départem[en]t. C'est la principale cauze du retard de cet envoy. Je ne scaurois l'attribuer aux greffiers ausquels je ne l'ay pas encor demandé. J'écris par cet ordinaire au greffier de Limoux de me le fournir sans aucun retardem[en]t [...] et je le charge en même tems d'engager M[onsieu]r. de S[ain]t Benoît dont il estoit secrétaire à metre en règle les papiers de la subdélégation pour me les remettre »1. De même le subdélégué d'Aubenas assure que ce n'est pas par mauvaise volonté s'il n'a rien transmis pour les six premiers mois de 1784. Il met d'ailleurs en avant ses nombreux contacts pour convaincre l'intendant de Montpellier que s'il avait reçu des ordres à ce sujet, il aurait pu y satisfaire facilement :

« Si j'avois été instruit de vos ordres concernant les crimes, j'aurois été fort exact à prendre les renseignemens nécessaires toutes les semaines. Je suis même très commode pour cela, ayant dans notre ville des marchez qui me fournissent une correspondance assurée pour la plus grande partie de mon département ; mais j'étois à cet égard dans une imparfaite igniorance. J'ai attendu quelques jours pour répondre à celle que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire à ce sujet le septième du courant pour pouvoir être mieux instruit. Et je vous envoys le certificat comme j'ai cru qu'il devoit être dressé n'ayant aucun modèle ny instruction, je ne crois pourtant pas qu'il se commis d'autres crimes car vraisemblablement j'en aurois entendu parler »2.

Le subdélégué de Narbonne quant à lui évoque le fait que c'était son secrétaire qui se chargeait habituellement de dresser les états des crimes. Celui-ci étant malade et n'ayant pas informé l'administrateur de la date à laquelle il fallait envoyer ces états, il n'a pu le faire à temps.

« Mon secrétaire toujours malade étoit chargé de tous les petits détails annuels qui reviennent toutes les quinzaines et tous les mois ainsi que de beaucoup de petits registres à tenir sur divers objets. Il se chargeoit en particulier d'avoir l'etat des crimes dignes de mort ou de peines afflictives. Il ne m'avoit point dit quelle époque cet état devoit vous parvenir. Heureusement les greffiers nous ont assuré hier que l'année dernière il n'y avoit pas eu dans les six derniers mois aucune condamnation à mort ou à peine afflictive »3.

Cette situation n'est pas sans rappeler celle de M. Lucé l'intendant du Hainaut. Le subdélégué de Chaudes-Aigues, aussi, bien qu'étant en place depuis plusieurs années et que le précédent intendant lui

1 Arch. dép. Hérault, C.1584, Lettre : le subdélégué de Limoux à l’intendant - 26.01.1770.

2 Idem, C.1588, Lettre : envoi du certificat de la subdélégation d'Aubenas pour les 6 premiers mois de 1784 - 18.08.1784.

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avait déjà demandé de fournir un état des crimes, ne semble pas savoir que l'enquête est semestrielle et qu'il doit fournir un état tous les six mois sans attendre que les intendants lui écrivent à ce sujet. Il assure néanmoins qu'à l'avenir il aura à cœur de se soumettre à cet impératif à chaque fin de semestre :

« J'ay receu par le dernier courrier la lettre qui est la seule que votre grandeur m'a fait l'honeur de m'écrire au sujet des états des crimes et délits qui se cometent dans l'étendue du district de cette subdéléguation que je seray exact de vous envoyer, Monseigneur, à l'expiration de chaque semestre, consequemment à vos ordres et je l'aurois eté de même par le passé si j'en avois eu plustot connessence. N'y ayant eu que M. de la Michodière votre prédécesseur qui m'aye demandé un pareil état pour les six premiers mois de 1755, par la lettre qu'il me fit l'honeur de m'écrire le cinq du mois d'aoust de la même année 1755 ou un certificat négatif que je luy envoyai et je profite aujourd'huy d'un des modèles de ces états (que ce seigneur m'avoit lors adressé) pour le remplir des crimes qui se sont comis dans l'etandue de ce district les six premiers mois de cette année que j'ay l'honeur de vous envoyer cy joint, Monseigneur, et j'ay prié les greffiers des différantes justices de me donner connoissance de tous ceux qui peuvent se cometre à l'avenir »1.

Si les officiers et les administrateurs peuvent par leur négligence ou leur ignorance, retarder l'envoi des états des crimes et certificats, ils peuvent également l'ajourner volontairement pour attendre la fin de certaines procédures et ainsi les faire figurer dans leurs états.