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Des officiers de justice et des administrateurs peu au fait des attentes de la chancellerie

I. Un manque de rigueur

4. Des officiers de justice et des administrateurs peu au fait des attentes de la chancellerie

1 Idem, C.397, Etat des crimes de l'intendance d'Alsace pour les 6 premiers mois de 1767.

2 Idem, C.397, Etat des crimes de la subdélégation de Colmar pour les 6 premiers mois de 1767 - 8.09.1767

3 Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 1C.1273, Etat des crimes de la viguerie de Cerdagne pour les 6 premiers mois de 1772 - 12.09.1772.

4 Idem, 1C.1269, Etat des crimes de la généralité de Perpignan et du Pays de Foix pour les 6 premiers mois de 1772 - 5.09.1772.

5 Idem, 1C.1273, Lettre : envoi de l'état des crimes de la viguerie de Cerdagne pour les 6 premiers mois de 1772 - 14.09.1772.

6 Idem, 1C.1269, Etat des crimes de la généralité de Perpignan et du Pays de Foix pour les 6 derniers mois de 1772 - 17.04.1773 ;

Idem pour les 6 premiers mois de 1773 - 1.09.1773.

7 Idem, 1C.1273, Certificat de la viguerie de Cerdagne pour les 6 derniers mois de 1772 - 25.02.1773.

8 Idem, 1C.1273, Lettre : envoi du certificat de la viguerie de Cerdagne pour les 6 premiers mois de 1773 - 1.08.1773 ; Certificat de la viguerie de Cerdagne pour les 6 premiers mois de 1773 - 2.08.1773.

9 Idem, 1C.1269, Lettre : accusé de réception de l'état des crimes de la généralité de Perpignan et du Pays de Foix pour les 6 premiers mois de 1772 - 4.10.1772 ; Idem pour les 6 derniers mois de 1772 - 10.05.1773.

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Nous avons déjà vu que lors du remplacement du titulaire d'un office ou d'un poste de subdélégué ou d'intendant, il n'y avait pas toujours de communication entre le nouvel arrivé et son prédécesseur concernant l'enquête sur les crimes dignes de mort ou de peines afflictives. Dans ces circonstances, le nouvel administrateur ou officier de justice ignore donc la procédure à suivre.

Le subdélégué d'Aurillac perçoit très bien la difficulté qu'ont les officiers à se conformer aux demandes du chancelier. En effet, pour les six premiers mois de 1760, il note à propos des certificats qui lui ont été adressés par les procureurs d'office et qu'il transmet à l'intendant :

« Vous [...] en verrés, Monsieur, qui sont prématurés c'est à dire de long tems avant l'expiration du semestre, d'autres qui m'ont été remis par lettres missives. J'en ai reconnu l'irrégularité mais il faut du tems pour former ces procureurs fiscaux et les habituer à me remettre leur certificats au tems qu'il faut et de la manière qu'ils doivent être conceus »1.

Deux semaines plus tard, lors de l'envoi de deux certificats de procureurs d'office qui étaient en attente de lui fournir, il insiste à nouveau sur le temps qu'il faudra pour que les officiers dressent convenablement et de manière satisfaisante les états des crimes ou le cas échéant les certificats2. Les officiers de justices ignorent bien souvent ce qu'ils doivent inclure ou non dans les états des crimes et la manière dont ils doivent dresser les certificats. Au sujet de l'état des crimes qu'il doit remettre au subdélégué pour le dernier semestre de 1760, l'avocat du roi de Carcassonne explique d'ailleurs son trouble concernant les anciennes procédures et son incertitude sur ce qui doit figurer dans son état :

« J'ay l'honneur de vous présenter l'état des crimes de ce ressort qui concerne les six derniers mois de l'anée qui vient d'expirer, à la vérité, j'avois d'abord prié M. de Murat de vouloir vous l'adresser après l'avoir examiné. Ce magistrat après l'avoir considéré, a remarqué que je devois y ramener les crimes commis dans les six premiers mois de l'année dernière, comme s'il n'avoit pas été fait d'exécution de ces délits dans l'état envoyé il y a six mois »3.

Sa première attitude est de se référer au subdélégué de Carcassonne, M. de Murat, à qui il doit remettre son état des crimes, mais il demeure circonspect devant ses ordres :

« J'ay représenté à M. de Murat que j'avois suivi la notice ou programme qui m'avoit été envoyée par M. de Soefve4 à qui je l'avois demandé. M. de Murat a toujours persisté dans son sentiment, auquel j'ai d'abord accédé parce qu'il représente les suitte et délai des ancienes procédures qu'on pourroit ignorer absolument sans cela. Mais de retour chés moy, j'ay réfléchy sur l'inscription de la notice ou modèle et je me suis convaincu qu'il faut distinguer par semestre les crimes sans quoy on done dans la répétition déplacée, d'autant plus qu'il y a des criminels du semestre de

1 Arch. dép. Puy-de-Dôme, 1C.1554, Lettre : envoi de l'état des crimes et de l'état des justices de la subdélégation d'Aurillac pour les 6 derniers mois de 1760 - 7.07.1760.

2 Idem, 1C.1554, Lettre : envoi de deux certificats par le subdélégué d'Aurillac pour les 6 premiers mois de 1760 - 21.07.1760.

3 Arch. dép. Hérault, C.1584, Lettre : envoi de l'état des crimes de la justice de Carcassonne pour les 6 derniers mois de 1760 - 3.01.1760.

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janvier ou des six premiers mois aux galères et dont on ne peut parler ny ayant point de sommaire pour cela. Aussi l'état entier des anciennes procédures demeurerait inconnu. D'autre part le dernier état des procédures est marqué dans l'état du pain1, dans les circonstances, je me suis déterminé à l'envoy de l'état cy joint pensant qu'on doit se conformer aux intentions des supérieurs et qui demanderont ce que sont devenus les anciens criminels. Du reste si mon idée n'avoit pas été justice, il seroit aisé de la rectifier et de mettre l'état au point que vous pouvés désirer en y ramenant l'ordinaire des anciens criminels »2.

Si cet avocat du roi comprend parfaitement l'utilité de réinscrire dans son état, les crimes anciens n'ayant pas connu lors de l'envoi précédent de jugement définitif, il préfère néanmoins se référer à la notice et au modèle qui lui ont été transmis par l'intendance. Des consignes ont donc été envoyées aux officiers de justice pour les guider dans la réalisation de leurs états des crimes. Le modèle dont il est question dans cette lettre, est sans doute le tableau imprimé à sept colonnes mis au point par le chancelier de Lamoignon. En effet dans ce modèle, rien n'est spécialement prévu pour distinguer les anciennes des nouvelles procédures, si ce n'est les dates des écrous qui permettent de retracer une chronologie. M. Benazet se rend compte qu'en n'incluant pas les anciennes procédures, la conclusion de celles-ci, demeurerait selon ses propres termes, inconnue. Il considère néanmoins que par le biais d'autres sources et notamment les états du pain qui répertorient les prisonniers pour crimes graves – donc ceux visés par le chancelier – bénéficiant du pain du roi3, elle peut être connue. Aucune lettre du subdélégué ou de l'intendant ayant trait à cet état des crimes n'a pas été conservée et nous ignorons quelle a été la réaction à la manière de procéder de cet officier. Il n'est pas le seul en tout cas à être embarrassé de la sorte lorsqu'il s'agit de dresser son état des crimes. Le commis au greffe de la viguerie de Cerdagne estime par exemple qu'il n'a pas à insérer à nouveau une affaire qui était déjà présente dans l'état des crimes du semestre précédent et ce même si cette affaire n'avait pas obtenu de jugement définitif et était en cours d'instruction :

« [...] il n'a été instruit autre procès criminel que ceux instruit contre le nommé Ribas employé des fermes du roy et contre Guillaume Colome appoticaire de Llivia en Espagne, lesquels ont été insérés dans le dernier état que nous avons envoyé autant que nous pouvons nous souvenir, par conséquent nous ne croyons pas nécessaire de les y comprendre davantage »4.

1 L'édit du 18 juin 1717 accorde aux prisonniers une livre et demie de pain par jour aux prisonniers. GARNOT, Benoît, Vivre en

prison au XVIIIe siècle. Lettres de Pantaléon Gougis, vigneron Pontchartrain (1758-1762), Paris, Publisud, 1994, 233 p. (ici

p. 55).

2 Ibidem.

3 Aux Archives Nationales, nous avons pu consulter des états des fournitures du pain, de l'eau et de la paille faites aux mendiants arrêtés par la maréchaussée. Certains de ces états pré-imprimés portaient la mention « mendians & vagabonds » barrée et à la place, celle d' « accusés de crimes et vols ». Dans ces états sont spécifiés outre le nom de la personne incarcérée, la date de son entrée, celle de sa sortie, le nombre de jours de détention et la quantité de pain fourni. Rien n'est indiqué sur les crimes dont ces personnes sont accusées ou les détails des procédures qui ont pu leur être faites. Arch. nat. K.727, Etat des fournitures du pain, de l'eau et de la paille faites aux accusés de crimes et de vols arrêtés par la maréchaussée (juillet-décembre 1784).

4 Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 1C.1273, Lettre : envoi du certificat de la viguerie de Cerdagne pour les 6 derniers mois de 1772 - 25.02.1773.

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Le semestre suivant, il affirme que ce procès « a été parachevé pendant les six derniers mois et [...] a été inséré dans les états de l'année passée. Par conséquent nous ne croyons pas nécesaire de devoir luy insérer de nouveau ayant été compris dans les dits états lorsque l'on commença l'instruire »1. La procédure a bien été achevée le semestre précédent, mais le greffier n'a pas estimé bon de fournir la date et la nature de la conclusion de cette affaire et il ne semble pas subir pour cet oubli de remontrance de la part de l'intendant ou de la chancellerie2. En Provence, le greffier de Saint-Maximin pour le premier semestre de 1783 n'a pour sa part « pas cru nécessaire de faire mention de la seconde procédure contenue dans le certificat attendu que lad[it]e procédure a été prise contre des inconnus et qu’elle a resté sans poursuite faute de connoitre les auteurs des vols »3. L'état lui est alors immédiatement renvoyé par les services de l'intendance en lui demandant de faire mention « de toutes les procédures dont le résultat peut être une peine afflictive »4. Le greffier s'exécute et adresse à nouveau son état des crimes5 et cette fois-ci les deux affaires y sont bien représentées6.

Les officiers de justice ne sont pas les seuls à avoir des doutes quant à la manière de bien remplir leurs états des crimes. Le subdélégué de Castres en l'absence de crime commis dans son département pendant les six derniers mois de 1745, estime n'avoir « aucun envoy à [faire] ce sujet »7 alors qu'il devrait fournir un certificat. Le subdélégué d'Avesnes pour le premier semestre de 1785, ne sait lui s'il doit inclure dans son état des crimes, les contrebandiers qui ont été décrétés de prise de corps après une commission établie par l'intendant du Hainaut dans cette ville. Il fait part de son ignorance à l'intendant et attend des instructions de sa part8. Nous ne connaissons pas la suite qu'a donnée l'intendant à cette demande. Le subdélégué de Mortagne lorsqu'il envoie son état des crimes pour les six derniers mois de 1773, s'inquiète lui de savoir si son état est trop détaillé et demande à l'intendant de le lui faire savoir si tel est le cas :

« J'ay l'honneur de vous addresser le tableau des crimes et délits que vous me demandé par vostre lettre du 19 courant. Je compte avoir rempli vos intentions, si j'ay mis quelque chose de trop, je vous prie de me le mander pour me restraindre par la suite à ce qui est purement essentielle »9.

1 Idem, 1C.1273, Idem pour les 6 premiers mois de 1773 - 2.08.1773.

2 Idem, 1C.1269, Lettre : accusé de réception de l'état des crimes de la généralité de Perpignan et du Pays de Foix pour les 6

premiers mois de 1772 - 4.10.1772 ; Idem pour les 6 derniers mois de 1772 - 10.05.1773.

3 Arch. dép. Bouches-du-Rhône, C.3534, Lettre : envoi de l'état des crimes de la judicature royale de Saint-Maximin pour les 6 premiers mois de 1783 - 2.09.1783.

4 Idem, C.3534, Lettre : au sujet de l'état des crimes de Saint-Maximin pour les 6 premiers mois de 1783 - 5.09.1783.

5 Idem, C.3534, Lettre : renvoi de l’état des crimes de la judicature royale de la ville de Saint-Maximin pour les 6 premiers mois de 1783 - 5.09.1783.

6 Idem, C.3534, Etat des crimes de la judicature royale de Saint-Maximin pour les 6 premiers mois de 1783.

7 Arch. dép. Hérault, C.1576, Lettre : aucun crime dans la subdélégation de Castres pour les 6 derniers mois de 1745 - 9.0.1746.

8 Arch. dép. Nord, C.10285, Lettre : aucun crime dans la subdélégation d'Avesnes pour les 6 premiers mois de 1785 - 30.07.1785.

9 Idem, C.9537, Lettre : envoi de l’état des crimes de la subdélégation de Mortagne pour les 6 derniers mois de 1773 -21.01.1773.

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Cette inquiétude vient du fait qu'il a déjà informé l'intendant du crime commis dans son département pour ce semestre, mais sous la forme d'une lettre et non d'un tableau. Ainsi, bien qu'il ait donné la date et l'heure du crime, celle de la date de découverte du corps, les conclusions du procès-verbal du médecin et des chirurgiens et indiqué qu'une information est en cours sans qu'aucune charge n'en ait résulté et qu'il reste deux témoins encore à entendre1, ces informations ont été jugées insuffisantes et il lui a été demandé de remplir l'état des crimes dans le tableau qu'on lui adresse à cet effet2. Le subdélégué s'exécute et renvoie l'état dûment rempli. Il y a notamment ajouté la date du dernier acte de la procédure mais sans en indiquer la nature. Il a également précisé le métier de la victime et détaillé les raisons pour lesquelles deux témoins n'ont pu encore être entendus3. De même, lorsque le subdélégué d'Avesnes a simplement rendu compte d'un coup de couteau dans une lettre pour les six premiers mois de 17724, l'intendance lui a également envoyé un tableau à remplir en lui précisant toutes les informations qu'il a omises et auxquelles il devra se montrer attentif à l'avenir :

« Vous m'avez marqué, M., par votre lettre du 5 de ce mois qu'il ne s'étoit commis aucuns crimes ni délits dans l'étendue de votre subdélégation pendant les 6 premiers mois de cette année sinon un coup de couteau donné par le no[mm]é Le Hanier au no[mm]é Quentin le 28 du mois d[erni]er. Mais en rendant compte de cet évènement vous n'observez point si la blessure a été dangereuse et si l'on a fait ou non quelques poursuites à cet égard. S'il est tenu quelques informations, il seroit nécessaire de savoir quel est le nom de la jurisdiction où ce crime se poursuit, le nom de la partie civile ou publique et enfin de designer ce crime conformément aux textes des colonnes du modèle d'état que je vous envoie, lequel pourra vous servir pour d'autres états de cette nature que vous aurés à former pour la suite »5.

Deux jours plus tard, le subdélégué renvoie le tableau complété en indiquant combien celui-ci lui a été utile : « le modèle d'état que vous m'avés fait la grâce de m'adresser ma servy utilement et j'ay rectiffié par ce qu'il m'a procuré des lumières que je n'avois pas pour avoir des extraits »6.

L'enquête sur les crimes dignes de mort ou de peines afflictives doit faire face à de nombreuses difficultés : retards, imprécisions et erreurs grèvent les résultats attendus par la chancellerie. Les officiers de justice sont souvent considérés par les administrateurs comme les principaux responsables des problèmes rencontrés. En effet, ils sont pointés du doigt lorsque les subdélégués ou les intendants doivent répondre aux plaintes concernant le manque d'exactitude de leurs états ou le retard avec lesquels ceux-ci parviennent à la chancellerie7. Pour justifier les lacunes des états, ils mettent régulièrement en

1 Idem, C.9537, Lettre : un crime dans la subdélégation de Mortagne pour les 6 derniers mois de 1773 - s.d.

2 Idem, C.9537, Lettre : l’intendance au subdélégué de Mortagne - 19.01.1774.

3 Idem, C.9537, Etat des crimes de la subdélégation de Mortagne pour les 6 derniers mois de 1773.

4 Arch. dép. Nord, C.9537, Lettre : un crime dans la subdélégation d’Avesnes pour les 6 premiers mois de 1772 - 5.07.1772.

5 Idem, C.9537, Lettre : l’intendance au subdélégué d'Avesnes pour les 6 premiers mois de 1772 - 16.07.1772.

6 Idem, C.9537, Lettre : envoi de l’état des crimes de la subdélégation d’Avesnes pour les 6 premiers mois de 1772

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avant la mauvaise volonté des officiers de justice qui, selon eux, manquent de zèle. Et en effet si certains officiers, comme le procureur du roi de la sénéchaussée et de la maréchaussée de Toulouse, considèrent que l'enquête du chancelier ne vise qu'à lutter contre la criminalité et ne leur est donc pas préjudiciable1, un certain nombre d'entre eux refusent obstinément d'y participer. C'est ce que nous avons pu voir avec les officiers inférieurs et notamment seigneuriaux qui cachent délibérément des crimes pour contenter leur seigneur ou traiter directement avec les criminels.