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Chapitre 1 : Genèse et origines d’une enquête sur la justice au XVIIIe siècle

I. Les consignes de la circulaire

1. Des consignes peu à peu précisées

Si la circulaire du chancelier d’Aguesseau insiste sur l’état de la justice et la défaillance des juges seigneuriaux et royaux, elle reste, au contraire des articles de l’Ordonnance de 1670, très peu précise sur ce que doivent contenir les états des crimes.

La première indication donnée concerne la durée couverte par les états des crimes. L’enquête est semestrielle et par conséquent les états des crimes doivent être envoyés aux mois de juillet – pour le premier semestre – et de janvier – pour le second semestre. Néanmoins, s'il y a des cas particuliers, les intendants et les procureurs généraux ont pour consigne d’en informer immédiatement le chancelier1.

Concernant le contenu, ce sont uniquement les délits dignes de mort ou de peines afflictives qui sont visés, soit la criminalité la plus grave mais aussi la moins représentée dans les tribunaux. En effet, selon Louis-Bernard Mer, seules 15 à 20 % des procédures correspondent à ce type de délit en Bretagne au XVIIIe siècle2. Il s’agit aussi « de marquer pour chaque crime, s’il n’a point esté poursuivy ou s’il l’a

1 Arch. dép. Côte-d’Or, C.396, Circulaire du chancelier d’Aguesseau - 9.10.1733.

2 MER, Louis-Bernard, « La procédure criminelle au XVIIIe siècle : l’enseignement des archives bretonnes » in Revue

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esté et en ce cas, de quelle manière on la fait et en quel degré est la procédure commencée contre les accusez »1.

Ces consignes assez sommaires sont progressivement complétées au cours de l’enquête. En 1737, le chancelier d’Aguesseau, demande à l’intendant de Montpellier des informations supplémentaires sur l’état des procédures :

« Vous aurés soin s’il vous plait de marquer dans l’état [...] prochain les procédures qui auront été faites et les jugemens qui seront intervenus dans les affaires criminelles qui n’ont pu être commencées faute de preuve, ou qui ayant été commencées n’ont pu être achevées l’année dernière »2.

En 1739, ayant pointé du doigt plusieurs problèmes dans l'état des crimes de cette intendance, il souhaite encore que les informations relatives aux crimes à la procédure soient davantage détaillées :

« J’ai d’ailleurs observé qu’il y a plusieurs articles dans votre état où vous n’avez fait aucune mention du tems où les crimes ont été commis, ni de la datte des dernières procédures, que vous n’y avez pas distingué non plus les affaires criminelles que les officiers des présidiaux instruisent & jugent en dernier ressort, de celles qu’ils instruisent & jugent à la charge de l’appel & et je vous prie de recommander à vos subdélégués d’en insérer une note dans les mémoires qu’ils vous envoyeront dans la suitte »3.

La distinction entre les affaires instruite en premier ressort de celles jugées en appel permet de savoir si la procédure est susceptible de connaître un second jugement ou si elle est achevée et que la sentence doit donc être exécutée. La mention des dates des crimes et des derniers actes de la procédure correspond à la volonté de la chancellerie de contrôler si l’instruction des procès est sujette à des retards ou non. Après une plainte du chancelier de Lamoignon en 17614, les services de l'intendance du Languedoc insistent à nouveau auprès de leurs subdélégués pour qu’ils indiquent la date à laquelle les crimes ont été commis :

« M[onsieu]r le chancelier marque à M[onsieu]r l'intendant, [...] que par l'examen qu'il a fait de l'état des crimes dignes de mort ou de peines afflictives [...] commis dans cette province pendant les 6 derniers mois de l'année 1760, il a trouvé à certains articles qu'il n'y avoit ny les dattes des crimes ny celles des derniers actes de procédures. M[onsieu]r l'intendant me charge de vous prier en son absence d'avoir attention à l'avenir de remplir cet objet [...] »5.

1 Arch. dép. Côte-d’Or, C.396, Circulaire du chancelier d’Aguesseau - 9.10.1733.

2 Arch. dép. Hérault, C.1570, Lettre : accusé de réception de l'état des crimes de l'intendance du Languedoc pour les 6 derniers mois de 1736 - 15.04.1737.

3 Idem, C.1570, Idem pour les 6 derniers mois de 1738 - 21.05.1739.

4 « Je n'ai trouvé à certains articles de votre état ni les dattes des crimes ni celles des derniers actes de procédures ce n'est cependant que par-là que je peux juger s'il y a eu de la négligence ». Idem, C.1584, Idem pour les 6 derniers mois de 1761 - 8.04.1761.

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Néanmoins, M. Benajet, avocat du roi au siège de la sénéchaussée et du présidial de Carcassonne, ne manque pas de marquer la difficulté qu'il y a de connaître avec certitude, dans certains cas, la date des délits :

« Vous me permettrés d'avoir l'honneur de vous représenter que les sommaires des états ne parlent point de dattes de crimes. Cette datte devient uniquement authentique après la procédure extraordinaire et la procédure peut être très concluante avec l'incertitude du jour du crime comis, aussi cette datte peut être inconnue au tems de la rédaction des états et à tout évènement, elle est indirectemant constatée avec la datte de l'écroue et celle de l'état »1.

Dans le département de Toulouse, si les arguments sont différents, ils parviennent néanmoins au même constat :

« J'ay l'honneur de vous envoyer [...] les états des crimes dignes de mort ou peines afflictives qui ont été commis dans l'étendue de la sénéchaussée de cette ville et dans celle de la jurisdiction de M[essieu]rs les capitouls […]. Ils ont toujours eu soin de faire mention des derniers actes des procédures de même que des dattes des écroues n'étant pas possible de donner les dattes des crimes parce que la plupart des accusés sont condamnés pour accumulation des crimes »2. Dans la généralité de Riom, outre la date du délit, l'intendant réclame aussi le lieu où il a été commis, la demeure et le nom de l'accusé, le ou les victimes du délit et enfin le détail, date par date, des poursuites et des actes de la procédure réalisés3. Ces ordres sont propres à l'Auvergne et semblent se justifier par le grand nombre de crimes et de criminels non poursuivis4.

1 Idem, C.1583, Lettre : envoi de l'état des crimes de la sénéchaussée et du présidial de Carcassonne pour les 6 premiers mois de 1761 - 4.07.1761.

2 Idem, C.1583, Lettre : envoi des états des crimes de la sénéchaussée et de la justice des capitouls de Toulouse pour les 6 premiers mois de 1761 - 8.07.1761.

3 Ces exigences sont connues grâces aux circulaires envoyées par les subdélégués aux procureurs fiscaux en conséquence de celle de l'intendant du 14 décembre 1759 qui n’a pas été conservée. Arch. dép. Puy-de-Dôme, 1C.1552, Copie de la circulaire du subdélégué de Lempdes aux juges de son département – 18.12.1759.

4 « [...] vous, Monsieur [l'intendant], étant instruit qu'il y avoit dans votre généralité beaucoup de crimes commis dans les coupables se montroint avec tranquillité dans leurs domiciles, m'aviés chargé d'en écrire aux juges de ma subdélégation pour m'en faire informer ». Idem, 1C.1552, Lettre : le subdélégué d'Aurillac à l'intendant - 7.01.1760.

Exemple de criminels impunis :« Je ne connois de mauvais sujet que le nommé Jacques Gay ancien milicien pour la paroisse de Colombier qui a été condamné aux galleres perpétuelles pour avoir dezerté deux à trois fois. C'est luy qui s'est sauvé des prisons de Clermont il n'y a pas longtems et vient dans la paroisse de Colombier chez une femme avec laquelle il menne une très mauvaise vie. Il a même menacé quelques personnes du feu, s'il apprenoit qu'elles fissent quelques démarches pour le faire arrester. Il est fort à craindre qu'il ne fasse quelque mauvais coup. [...] Il y en a [...] un autre nommé Jean Bidon qui est soupçonné d'avoir hommicidé Jean la Fontaine et il y a tout lieu de présumer que ce ne peut qu'être luy, il l'avoit menacé dans une fois qu'il s'en repentiroit dans une dispute qu'ils eurent ensembles pour placer leurs bœufs environ six semenes avant l'hommicide. Il a été admonesté en ce bailliage pour avoir tiré un coup de pistollet un jour de marché en cette ville à quelques personnes qui le déterminèrent de sortir de chez une marchande dont il etoit devenu amoureux et qu'il tourmentoit continuellement par des extravagences les plus déplacés qu'il poussa jusqu'à la folie. Mon avis fut de le condamner en trois ans de banissement, les autres juges furent plus doux, il ne fut qu'admonesté. C'est un libertain qui ne s'approche jamais des sacrements et capable de faire quelques mauvais coups, il n'est d'aucune utilité chez luy, il habite avec quatre autres frères qui sont encore des mauvais sujets et qui se battent continuellement. Ils ont souvent fait des rebellions à justice, les huissiers n'y sont pas bien receus, ils se font craindre dans tout le voisinage. Il est fort jeune et d'une taille de cinq pieds trois à quatre pouces. Si vous pouviés, Monsieur, en purger ce pays cy, [...] ce seroit un exemple qui en imprimeroit soit à ses frères soit à ceux qui pouroient avoir quelque mauvais dessein, surtout dans une circonstance aussy critique que celle cy où il y a tout à craindre qu'il n'y aura point de preuve suffisante contre le coupable. Idem, 1C.1552, Lettre : aucun crime dans la subdélégation de Montaigut

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Des informations supplémentaires sur les crimes sont donc exigées très rapidement après la mise en place de l’enquête. Les intendants n’attendent pas les ordres de la chancellerie, pour exiger des subdélégués et des officiers de justice des précisions et des renseignements additionnels. Ainsi, l’intendant de Montpellier renvoie au procureur du roi de Nîmes son état des crimes pour le second semestre de 1739 car :

« [...] il y a plusieurs articles où vous avés fait mention que les accusés ont esté jugés sans expliquer la peine à laquelle ils ont été condamnés et sans marquer la datte des jugemens ainsy que je vous l’avois déjà recommandé. [...] Au surplus, je vous prie aussy d’avoir attention d’expliquer sur chaque procédure si elles s’instruisent en dernier ressort ou à la charge de l’appel »1.

En 1744, l’intendant demande à ses subdélégués « d’expliquer la nature des délits, la peine qui a été prononcée et si les jugemens ont été rendus par les juges royaux ou par ceux des jurisdictions seigneuriales, s'il y avoit de la négligence ou de la lenteur dans les poursuittes vous en ferés mention »2.En 1757, il souhaite également que soit indiqué « si les témoins ont été entendus ou récolés afin que M. le chancelier soit en état de juger de l’attention et de l’exactitude du procureur d’office à suivre les procédures »3.

L’importance de signaler la date des écrous est plusieurs fois soulignée. Le garde des sceaux Hue de Miromesnil rappelle que sans elle, il ne peut « connoître s’il y a eu de la lenteur ou de l’activité dans l’instruction de ces […] procès »4. Dans ce but, les procédures doivent être rapportées dans les états jusqu’à ce qu’elles aient obtenu un jugement définitif5. Les causes des retards éventuels dans l’instruction doivent aussi être précisées6. En l’absence de crime, un certificat doit obligatoirement être fourni7.

Dans le but de vérifier si les crimes sont correctement poursuivis et les procédures menées rapidement, le besoin de connaître la date du délit s’est vite fait ressentir. De même pour déterminer si

pour les 6 derniers mois de 1760 - 26.12.1759. Nous pouvons aussi noter dans cette lettre que le lieutenant général met en avant son zèle à punir sévèrement les mauvais sujets contrairement à ses confrères.

1 Arch. dép. Hérault, C.1571, Lettre : l'intendant au procureur du roi de Nîmes - 20.02.1740.

2 Arch. dép. Nord, C.9573, Lettre : l'intendant à ses subdélégués – 4.01.1744.

3, Idem, C.20003, Lettre : l'intendant au subdélégué de Cateau-Cambrésis – 26.02.1757.

4 Arch. dép. Nord, C.6949, Copie de l’accusé de réception de l’état des crimes de l’intendance du Hainaut pour les 6 derniers mois de 1775 - 7.02.1776.

5 Exemples : Idem, C.9537, Lettre : l'intendant à ses subdélégués - 3.01.1775 ; Idem - 4.01.1780 ; Idem - 4.07.1780 ; C.9668,

Idem - 4.07.1777 ; Idem - 31.12.1777 ; C.11135, Idem - 4.07.1778 ; Idem - 1.07.1779 ; C.10285, Idem - 8.07.1785 ; Idem -

19.01.1786 ; Idem - 15.07.1786 ; Idem - 19.01.1787 ; Lettre : Idem - 14.07.1787 ; Idem - 30.01.1788 ; Idem - 30.01.1788 ; Idem - 6.07.1789 Idem - 14.02.1790 ; C.10339, Idem - 23.01.1785.

6 L’intendant de Valenciennes a en effet exigé plusieurs fois cela de ses subdélégués. Idem, C.9573, Lettre : l'intendant à ses subdélégués – 4.01.1744 ; C.20003, Lettre : Idem – 7.01.1757.

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les juges sont négligents, la chancellerie exige rapidement d’obtenir un maximum d’informations sur les crimes qui n’ont pas donné lieu à un procès1.

Si à l’origine, la circulaire de 1733 est plutôt succincte sur ce qu’elle désire voir figurer dans les états des crimes, au fil des années, les demandes se sont affinées et précisées. Afin de mesure si les crimes sont correctement poursuivis ou non, doivent être indiquées des informations relatives aux délits, mais aussi à la peine, ainsi que les dates des écrous et du dernier acte de la procédure. La qualité des juges (seigneuriaux ou royaux) doit aussi être précisée afin de pouvoir déterminer en cas de négligence à qui en revient la faute. Tout retard doit être mentionnés et les procédures doivent être rapportées dans les états jusqu’à ce qu’elles aient été parfaites et aient obtenu un jugement définitif. En l’absence de crime et de procédure, un certificat négatif doit obligatoirement en rendre compte2. Si la chancellerie a, au cours de la pratique de l’enquête, précisé les informations qu’elle souhaite voir apparaître dans les états des crimes, elle a été dès sa circulaire intransigeante sur la durée qu'ils doivent couvrir.