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Chapitre 1 : Genèse et origines d’une enquête sur la justice au XVIIIe siècle

I. Les consignes de la circulaire

2. Une enquête semestrielle

Dans la lignée des exigences de l’Ordonnance de 1670, les états des crimes doivent être dressés tous les six mois. S’il se présente des cas particuliers, leur connaissance doit être immédiatement portée à la chancellerie3. L’utilisation de la semestrialité n’est pas propre à cette enquête. Au crépuscule du règne de Louis XIV, elle est déjà de rigueur pour les états que doivent dresser les inspecteurs des manufactures4.

Malgré les consignes de la chancellerie, tous les états des crimes ne respectent pas la semestrialité préconisée. Ils sont parfois plus courts. Dans le Hainaut, celui de la subdélégation de Mariembourg est dressé pour les quatre premiers mois de l’année 17605. Celui de la seigneurie de Grussenheim6 en Alsace ne couvre quant à lui les crimes que de juin à août 17687. La sénéchaussée de Draguignan dans

1 Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 1C.1267, Lettre : accusé de réception de l'état des crimes de la généralité de Perpignan pour les 6 premiers mois de 1738 - 19.09.1738 ; Idem - 21.04.1739.

Les intendants rappellent plusieurs fois cet impératif à leurs subdélégués. Arch. dép. Nord, C.9573, Circulaire de l'intendant à ses subdélégués - 6.07.1742 ; Arch. dép. Bouches-du-Rhône, C.3524, Circulaire de l’intendant de Provence à ses subdélégués – 20.01.1779.

2 Nous reviendrons sur la nécessité de fournir un certificat en l’absence de crime dans le chapitre 4 de la partie 2.

3 « Quoi que je ne vous demande cet état que tous les six mois, s’il y a néanmoins des cas particuliers qui vous paroissent mériter que j’en sois instruit, sans attendre ce terme, vous prendrez, […] la peine de m’en informer ». Arch. dép. Côte-d’Or, C.396, Circulaire du chancelier d’Aguesseau - 9.10.1733.

4 C’est le contrôleur général des finances, Nicolas Desmarets, qui débute cette enquête avec une circulaire du 18 janvier 1714. Elle a été observée avec plus ou moins de soin de 1715 jusqu’aux années 1770. Ce sont essentiellement des états de la seconde moitié du siècle qui ont été conservés. GILLE, Bertrand, Op. cit., (ici pp. 92-93).

5 Arch. dép. Nord, C.11135, Etat des crimes de la subdélégation de Mariembourg pour les 4 premiers mois de 1760 – 16.04.1760.

6 Grussenheim, Haut-Rhin, c. Colmar-2, arr. Colmar-Ribeauvillé.

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l’intendance de Provence utilise des états trimestriels à partir de 17841. Le greffier de la juridiction de La-Garde-Freinet2 dresse aussi ses états des crimes tous les trois mois, mais ils ne sont envoyés que tous les six mois conformément à la demande du chancelier3. Les états de crimes pour la Corse sont systématiquement établis par trimestre à partir de 17724.

Des états des crimes couvrent également des périodes plus longues que celle voulue par le chancelier. Dans l'intendance du Languedoc, l’état des crimes transmis par la juridiction d’Aigues-Mortes5 le 2 juillet 1739 compte le dernier semestre de 1738 et le premier de 17396. Dans le Hainaut, il est question « de mémoires des crimes qui ont été commis dans l’étendue de […] [la] généralité depuis le mois d’octobre 1733 jusqu’au dernier septembre 1737 et pendant les cinq premiers mois de cette année »7. L’état envoyé le 10 janvier 1754 regroupe quant à lui les crimes de toute l’année passée8. Il en est de même dans l’intendance d’Alençon pour l'état des six derniers mois de 1766 et des six premiers mois de 17679. En Bretagne, l’état des crimes de la juridiction de Quimerch10 envoyé le 16 janvier 1758 regroupe les délits commis depuis octobre 175311.

Dans la généralité de Perpignan, plusieurs états sont établis pour une année entière. En 1741, c’est le cas de ceux des vigueries de Conflent et Capcir12, du Conseil souverain13 et de l’état général de la province14 Il semble néanmoins que cela réponde à une demande du chancelier qui, n’ayant pas reçu l’état des crimes pour les six premiers mois de 1741, a souhaité le recevoir avec le suivant15. En 1788, les crimes de l’année sont à nouveau regroupés en un seul état, mais l’intendant le justifie l'intendant par le fait que : « [...] celui des six premiers mois n'ayant pu être formé dans le temps par la circonstance

1 Exemples : Arch. dép. Bouches-du-Rhône, C.3536, Etat des crimes de la sénéchaussée de Draguignan pour le trimestre de janvier 1784 ; Idem pour le trimestre d’avril 1784 ; Idem pour le trimestre d’avril 1788.

2 La-Garde-Freinet, Var, c. Le Luc, arr. Draguignan.

3Les états se présentent sous la forme de deux paragraphes distincts. Arch. dép. Bouches-du-Rhône, C.3529, Lettre et état des crimes de la juridiction La-Garde-Freinet pour les 6 derniers mois de 1780.

Les deux autres documents conservés sont l’état des crimes du second semestre de 1779 et le certificat pour les 6 premiers mois de 1780. Idem, C.3527, Lettre et état des crimes de la juridiction de La-Garde-Freinet pour les 6 derniers mois de 1779 ; C.3528, Certificat de la juridiction de La-Garde-Freinet pour les 6 premiers mois de 1780.

4 Arch. Préfecture de Police, AB. 415, Etat des crimes de l’île de Corse – juin 1769 - mai 1789, 340 feuillets.

5 Aigues-Mortes, Gard, ch.-l. c., arr. Nîmes.

6 Arch. dép. Hérault, C 1571, Etat des crimes de la justice d'Aigues-Mortes pour les 6 premiers mois de 1739 et les 6 derniers mois de 1738.

7 Arch. dép. Nord, C.19622, Lettre : accusé de réception des états des crimes de l'intendance du Hainaut de 1733 aux 5 premiers mois de 1738 – 8.07.1738.

8 Idem, C.20003, Etat des crimes de la subdélégation de Valenciennes pour l’année 1753.

9 Arch. dép. Orne, C.762, Lettre : accusé de réception de l’état des crimes de la généralité d’Alençon pour les 6 derniers mois de 1766 et les 6 premiers mois de 1767 – 17.08.1767.

10 Aujourd’hui Pont-de-Buis-lès-Quimerch, Finistère, ch.-l. c. arr. Châteaulin.

11 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C.137, Etat des crimes de la juridiction de Quimerch depuis le mois d’octobre 1753. Aujourd’hui Pont-de-Buis-lès-Quimerch : Finistère, c. Le Faou, arr. Châteaulin.

12 Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 1C .267, Etat des crimes de la viguerie de Conflent et Capcir pour les 6 derniers mois de 1741.

13 Idem, 1C.1267, Etat des crimes du Conseil Souverain du Roussillon pour l’année de 1741.

14 Idem, 1C.1267 Etat des crimes de l’intendance du Roussillon et du Pays de Foix pour l’année 1741.

15 « Comme il vous a echapé de m’envoyer l’état des crimes dignes de mort ou de peines afflictives qui ont été commis dans la généralité de Perpignan pendant les six premiers mois de cette année, je compte que vous me l’envoyerés avec celuy des crimes qui auront été commis pendant les six derniers mois de l’année 1741 ». Idem, 1C.1267, Lettre : le chancelier à l’intendant - 12.11.1741.

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de la fermeture des greffes, il a falu pour le rédiger attendre que la justice eu repris son cour ordinaire [...] »1.

Certains états des crimes recouvrent même plusieurs années. Dans la généralité de Riom, un état de la subdélégation de Besse regroupe tous les crimes commis entre 1742 et 17622. De même, dans l'intendance de Rouen, le bailliage de Cany3 rapporte tous les crimes commis entre 1780 et 17854. Les états généraux dressés par les intendants eux aussi ne respectent pas toujours la semestrialité voulue par le chancelier. Ainsi un état de l’intendance d'Alsace répertorie tous les crimes commis dans la province de 1753 au six derniers mois de l’année 17555, tandis que celui de la généralité d’Amiens recense les délits des années 1756 et 17576.

Ce non-respect de la semestrialité fait l’objet de plusieurs remontrances de la part de la chancellerie. Le garde des sceaux Hue de Miromesnil s’en plaint auprès de l’intendant de Provence :

« L’état que vous m’avés envoyé des crimes commis en Provence pendant les six premiers mois de l’année 1778 m’est absolument inutile à présent. Ces états ne peuvent me mettre à portée de remplir l’objet pour lequel ils sont destinés qu’autant qu’ils me parviennent à l’espiration des premiers et seconds semestres c'est-à-dire dans le courant des mois de juillet et janvier de chaque année »7.

Les états des crimes ne peuvent être utiles à la chancellerie que si celle-ci les reçoit à la fin de chaque semestre. Il est en effet essentiel, en cas de retard ou de négligence dans l’instruction des procédures, qu’elle puisse donner rapidement les directives qui s’imposent aux procureurs généraux et aux intendants8. En 1767, le vice-chancelier de Maupeou rappelle d’ailleurs à l’intendant d’Alençon que l’établissement des états des crimes tous les six mois est un « usage établi dans cette partie d’administration »9. De même, Hue Miromesnil précise à l'intendant de Perpignan de bien respecter la

1 Idem, 1C.1269, Lettre : envoi de l'état des crimes de l’intendance du Roussillon pour l'année 1788 - 26.02.1789.

2 Arch. dép. Puy-de-Dôme, 1C.1568, Etat des crimes de la subdélégation de Besse de 1742 à 1762.

3 Aujourd’hui Cany-Barville, Seine-Maritime, c. Saint-Valéry-en-Caux, arr. Dieppe.

4 Arch. dép. Seine-Maritime, C.950, Etat des crimes du bailliage de Cany de 1780 à 1785. Cany : commune de Cany-Barville, ch.-l. c., arr. Dieppe.

5 Arch. dép. Bas-Rhin, C.396, Etat des crimes de l’intendance d’Alsace de 1753 aux 6 derniers mois de 1755.

6 Arch. dép. Somme, 1C.1568, Etat des crimes de la généralité de Picardie pour les années 1756 et 1757.

7 Arch. dép. Bouches-du-Rhône, C.3524, Lettre : accusé de réception de l’état des crimes de l'intendance de Provence pour les 6 premiers mois de 1778.

8 C’est le cas par exemple dans l’accusé de réception de l’état des crimes de l'intendance de Provence pour le premier semestre de 1777.

« J’ai remarqué dans l’état que vous m’avés envoyé des crimes commis en Provence pendant les six premiers mois de cette année quelques affaires criminelles dont les poursuites paroissent être négligées. J’en ai fait faire une note que j’envoye à M. le procureur général du Parlement d’Aix afin qu’il donne aux officiers qui en sont chargés, les ordres nécessaires pour les faire terminer le plutôt possible ». Arch. dép. Bouches-du-Rhône, C.3522, Lettre : accusé de réception de l’état général des crimes de l'intendance de Provence pour les 6 premiers mois de 1777 - 15.10.1777.

L’envoi de consignes de la part de la chancellerie pour accélérer l'instruction des procédures sera détaillé dans le chapitre 4 de la partie 2.

9 Arch. dép. Orne, C.762, Lettre : accusé de réception de l’état des crimes de la généralité d’Alençon pour les 6 derniers mois de 1766 et les 6 premiers mois de 1767 – 17.08.1767.

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semestrialité « comme cela s'est toujours pratiqué »1. En 1779, l’intendant de Provence insiste également auprès de ses subdélégués sur les effets que leur retard a dans l’envoi de l’état général qui « empêche [le garde des sceaux] de suivre comme il le désire cette partie importante de l’administration de la justice dans les jurisdictions inférieures »2. En effet, comme la chancellerie, les intendants rappellent régulièrement l’importance d’envoyer les états des crimes à l’expiration de chaque semestre3.

Si quelques états des crimes ne respectent pas la semestrialité préconisée, la majeure partie le fait Elle est sans doute aidée par les rappels fréquents à l’ordre de la chancellerie et les nombreuses circulaires des intendants. L’importance de ce courrier nous interroge sur la manière dont les consignes relatives à cette enquête ont circulé.