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Chapitre 1 : Genèse et origines d’une enquête sur la justice au XVIIIe siècle

I. Les consignes de la circulaire

2. L'envoi de modèles conçus par la chancellerie et les intendants

a. Des modèles transmis régulièrement par les intendants

Il est à plusieurs reprises fait mention de l’envoi de modèles d’état des crimes par les intendants. Lorsque l'intendant du Languedoc demande au procureur du roi de Nîmes de refaire son état des crimes pour le second semestre de 1739, il lui recommande de se référer au modèle qu'il lui a envoyé, le 11 juin précédent3. Il s’agit d’un un tableau à six colonnes dont trois sont exclusivement consacrées qu'à l'identité de l'accusé (nom, qualité et lieu de naissance), les trois autres permettent de renseigner la date d'écrou, le crime ainsi que l'état de la procédure, rendant possible le contrôle de la durée des procès voulu par la chancellerie4.

En 1751, dans l’intendant de Champagne transmet à ses subdélégués des états imprimés5 à six colonnes : Nom du bailliage où le crime a été commis, le crime et sa date, le nom du ou des accusés, les parties, les procédures et leurs dates et enfin une colonne pour les observations6. Les subdélégués comme l'intendant continuent à utiliser cet état même après la mise en place du modèle du chancelier de Lamoignon7.

En juillet 1754, l'intendant de Perpignan demande aux subdélégués et viguiers de sa circonscription de presser les officiers et gens du roi de leur département pour qu'ils fournissent leurs états des crimes des six derniers mois de l'année passée. Et c'est pour « faciliter [la] [...] besogne » de ces officiers qu'il leur adresse « un modelle [d'un] état en colonnes » auquel ils devront se conformer pour leurs prochains envois8.

1 Idem, 1C.1552, Etat des crimes du bailliage et présidial de Vic-en-Carladès pour les 6 derniers mois de 1759 – 29.12.1759.

2 Idem, 1C.1552, Etat des crimes du bailliage et présidial de Vic-en-Carladès pour les 6 derniers mois de 1759.

3 Idem, C.1571, Lettre : l'intendant au procureur du roi de Nîmes - 20.02.1740.

4 Idem, C.1571, Etat des crimes de la sénéchaussée de Nîmes pour les 6 derniers mois de 1739. L'état des crimes du semestre suivant étant en tout point semblable. Cela nous conforte dans l'idée que l'état des crimes conservé pour les six derniers mois de 1739 est bien le second état dressé par cette sénéchaussée suite aux remontrances de l'intendance. Idem, C.1572, Etat des crimes de la sénéchaussée de Nîmes pour les 6 premiers mois de 1740.

5 Arch. dép. Marne, C.1786, Circulaire de l’intendant à ses subdélégués - 17.12.1751.

6 Exemple : Idem, C. 1786, Etat des crimes de la généralité de Châlons pour l'année 1751.

7 Exemples : Idem, C.1787, Etat des crimes de la généralité de Châlons pour les 6 premiers mois de 1764 ; Etat des crimes de la subdélégation d’Epernay pour les 6 premiers mois de 1765.

L'intendant continue d’envoyer son modèle durant les années 1760 et non celui du chancelier. Idem, C.1787, Lettre : aucun crime dans la subdélégation de Joinville pour les 6 derniers mois de 1764 - 13.01.1765.

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En 1759, l'intendant de Rennes rappelle au subdélégué de Paimpol d'utiliser un des imprimés qui lui a envoyés1. En Alsace aussi, le 19 novembre 1768, le subdélégué de Strasbourg, lorsque l’intendant M. de Blair lui reproche de n’avoir pas envoyé certains états des crimes, affirme : « Je leur ay fait passer ainsy qu’aux autres baillis de ma subdélégation, déjà en 1763, le modèle cy joint pour s’y conformer à l’expiration de chaque semestre »2. Dans la généralité de Rouen, il y a aussi plusieurs mentions d’états pré-imprimés qui sont envoyés aux officiers des différentes juridictions3. L'intendant de Provence transmet également régulièrement des imprimés à ses subdélégués : en 17574, en 17795, en 17806, en 17817, en 17828, en 17839, en 178410 et en 178711. Cette dernière année, le subdélégué de Toulon critique d’ailleurs les états des crimes qui lui ont été envoyés : « Le greffier de la sénéchaussée a trouvé encore un des anciens imprimés que je lui avois remis. Les derniers qui ont été envoyés ne sont que des feuilles sans intitulations & on ne pourra pas conséquemment en faire usage »12.

Il semble en effet que les intendants aient transmis des modèles d’états des crimes avec ou sans titre ainsi que l’atteste une liste du nombre d’imprimés envoyés à chaque subdélégué par l’intendant de Riom le 30 avril 1760. Une distinction est faite entre ceux avec un intitulé et ceux sans. Le subdélégué de Riom a ainsi reçu 55 états avec titres et 6 sans, celui de Saint-Flour 95 avec et 12 sans. Au total, l’intendant a envoyé 620 états imprimés avec titres et 80 sans13. En 1787, l'intendant du Languedoc dresse aussi une liste des subdélégués auxquels il a envoyé des « feuilles d'états des crimes »14.

Si le subdélégué de Toulon critique les modèles envoyés par l'intendance, le procureur du roi du Haut-Vivarais, insatisfait également par ceux transmis par les bureaux de l'intendant, prend la liberté de les améliorer afin d'y pouvoir inclure des informations chères au chancelier :

« Vous trouverés cy joint l’état des crimes commis dans le distric de ce baillage pendant les six premiers mois de cette année lequel j’avois déjà envoyé à M. l’intendant ayant remply les colonnes marquées dans la carte qui m’avoit esté envoyée et qui devoit me servir de modèle dans laquelle il n’estoit pas fait mention des dattes des captures ou écroues et j’ay suplée par la nouvelle carte que j’ay l’honeur de vous envoyer »15.

1 Arch. dép. Ille-et-Vilaine C.137, Lettre : l’intendant au subdélégué de Paimpol - 19.03.1759.

2 Arch. dép. Bas-Rhin, C.397, Lettre : le subdélégué de Strasbourg à l’intendant - 19.11.1768.

3 Exemples : Arch. dép. Seine-Maritime, C.950, Lettre : l’intendant au garde des sceaux - 29.10.1784; Lettre : l’intendant au subdélégué de ND - 17.01.1790.

4 Arch. dép. Bouches-du-Rhône, C.3521, Lettre : l’intendant à ses subdélégués - 22.12.1757.

5 Idem, C.3524, Circulaire de l’intendant à ses subdélégués – 20.01.1779.

6 Idem, C.3528, Lettre : envoi des certificats de la subdélégation de la Ciotat pour les 6 premiers mois de 1780 – 4.07.1780.

7 Idem, C.3529, Lettre : le subdélégué de Tarascon à l’intendance– 17.03.1781.

8 « J’ay l’honneur de vous les [certificats] remettre ici, Monseigneur, avec l’état que j’ay fait à la main à deffaut d’imprimés ».

Idem, Lettre : envoi de l’état des crimes de la subdélégation de Cannes pour les 6 derniers mois de 1781 - 23.01.1782.

9 Idem, C.3534, Lettre : envoi de l’état des crimes de la sénéchaussée d’Hyères pour les 6 premiers mois de 1783 - 4.09.1783.

10 Idem, C.3536, Lettre : envoi de l’état des crimes de la subdélégation de Digne pour les 6 premiers mois de 1784 – 11.08.1784.

11 Idem, C.3537, Lettre : le subdélégué de Brignoles à l’intendance – 5.01.1787.

12 Idem, C.3537, Lettre : envoi des déclarations pour les défrichements et du certificat des crimes de la subdélégation de Toulon pour les 6 derniers mois de 1786 - 18.01.1787.

13 Arch. dép. Puy-de-Dôme, 1C.1554, Liste du nombre d’imprimés envoyés aux subdélégués par l’intendant – 30.04.1760.

14 Arch. dép. Hérault, C.1590, Liste des subdélégués à qui ont été envoyés des modèles d'états des crimes en 1787.

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Le subdélégué de Carcassonne en envoyant l'état de son département pour le dernier semestre de 1763, expose les différentes négligences qu'il a pu constater dans la poursuite des crimes et suggère à l'intendant d'ajouter au modèle d'état des crimes1, une seconde colonne dédiée aux observations. La première serait consacrée aux notes du procureur du roi et la seconde au subdélégué qui pourrait ici exposer les lenteurs observées dans l'instruction de certaines procédures2.

Si certains subdélégués considèrent que les modèles transmis par la l'intendance peuvent être améliorés, d'autres au contraire se félicitent d'avoir des imprimés qui leur permettent d'être plus précis et de répondre mieux aux demandes de l'intendant et de la chancellerie. C'est le cas notamment de celui d'Avesnes à qui l'intendant du Hainaut adresse un modèle3 en 1772 :

« J'ay l'honneur de vous envoyer cy joint un état tel que vous me paressier le désirer des crimes et délits commis dans l'étendue de cette subdélégation pendant les six premiers mois de la présente année. Le modèle d'états que vous m'avés fait la grâce de m'adresser ma servy utilement et j'ay rectiffié par ce qu'il m'a procuré des lumières que je n'avois pas pour avoir des extraits »4. Même s’il apparaît que les intendants ont été laissés maître dans le choix de la forme des états des crimes les premières décennies de l'enquête, transmettant même des modèles à leurs subdélégués, la chancellerie a, elle aussi, envoyé des états des crimes préétablis et imprimés, mais uniquement à partir du début de l'année 1758.

b. Le modèle établi par le chancelier de Lamoignon en 1758

Dans une lettre adressée à l’intendant de Perpignan, le chancelier de Lamoignon annonce son intention : « […] d’établir une uniformité dans la confection de ces sortes d’états. J’en joins icy un model pareil à celuy que j’ay déjà adressé à plusieurs de M[essieu]rs les intendants et auquel je vous prie de vous conformer à l’avenir »5.

1 Il s'agit du modèle à sept colonnes élaboré par le chancelier de Lamoignon.

2 Arch. dép. Hérault, C.1585, Lettre : envoi de l'état des crimes de la subdélégation de Carcassonne pour les 6 derniers mois de 1763 - 1.02.1764.

3 « Vous m'avez marqué, M., par votre lettre du 5 de ce mois qu'il ne s'etoit commis aucuns crimes ni délits dans l'étendue de votre subdélégation pendant les 6 premiers mois de cette année sinon un coup de couteau donné par le no[mm]é Le Hanier au no[mm]é Quentin le 28 du mois d[erni]er mais en rendant compte de cet évènement vous n'observez point si la blessure a été dangereuse et si l'on a fait ou non quelques poursuites à cet égard. S'il est tenu quelques informations, il seroit nécessaire de savoir quel est le nom de la jurisdiction où ce crime se poursuit, le nom de la partie civile ou publique et enfin de designer ce crime conformément aux textes des colonnes du modèle d'état que vous envoie, lequel pourra vous servir pour d'autres états de cette nature que vous aurés à former pour la suite ». Arch. dép. Nord, C.9537, Lettre : l’intendant au subdélégué d'Avesnes - 16.07.1772.

4 Idem, C.9537, Lettre : envoi de l'état des crimes de la subdélégation d'Avesnes pour les 6 premiers mois de 1772 - 18.07.1772.

5 Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 1C.1269, Lettre : accusé de l’état des crimes de l’intendance du Roussillon pour les 6 derniers mois de 1757 – 15.04.1758.

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Un modèle est transmis à l’intendant d’Aix le 7 décembre 17571, un autre à l’intendant du Hainaut2

et à l’intendant d’Alençon3 le 3 mars 1758. L'intendant du Roussillon en envoie immédiatement plusieurs exemplaires à ses viguiers et subdélégués afin qu'ils les diffusent auprès des juridictions4. Ce sont là les seules mentions de la communication d’un modèle d’état des crimes par la chancellerie.

Dans l’intendance de Perpignan, le premier état des crimes suivant cette disposition a été conservé5

et a été qualifié par le chancelier de « très bien dressé »6, ce qui nous permet de connaître la forme du modèle transmis. Il s’agit d’un tableau à sept colonnes consacrées à la nature du délit, au nom des accusés, à la date des écrous, au nom des juridictions où se poursuivent les crimes, au nom des parties publiques ou civiles, à la date du dernier acte de la procédure et aux observations sur les crimes qui n’ont pas été poursuivis. Les intitulés des colonnes sont cohérents avec les informations demandées par la chancellerie depuis le début de l’enquête. Lors de l’envoi de ce modèle, de Lamoignon rappelle d’ailleurs à l’intendant d’Alençon qu’ « il est nécessaire que [s]’y trouve les dattes des écrous, des procédures et des jugements »7. Tout comme l’intendant de Perpignan, celui d’Alençon s’est parfaitement plié aux ordres du chancelier et son état des crimes pour les six premiers mois de 1758 « est fait avec un arrangement et une précision qui ne laissent rien à désirer8. En revanche, l’intendant du Languedoc constate que l'état des crimes de la subdélégation de Castelnaudary pour les six premiers mois de 1760 n’est pas « dans la forme que M. le chancelier […] désire »9 puisqu'il est présenté sous la forme d'un rapport10. Il envoie alors à son subdélégué un modèle auquel il devra se conformer à l’avenir11.