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Henri-François d’Aguesseau, un chancelier animé d’une profonde volonté de réformer la justice

Chapitre 1 : Genèse et origines d’une enquête sur la justice au XVIIIe siècle

I. Le XVIII e siècle : une ère pré-statistique et une volonté de réformer les institutions monarchiques

1. Henri-François d’Aguesseau, un chancelier animé d’une profonde volonté de réformer la justice

a. Un magistrat reconnu, mais un chancelier en difficulté

Henri-François d’Aguesseau, né le 27 novembre 1668 à Limoges, est le fils aîné de l’intendant Henri d’Aguesseau2. Ce père attentif à l’éducation de ses enfants rédigea un Plan d’étude3. Le jeune Henri-François bénéficie ainsi d’un enseignement qui, basé sur l’instruction religieuse, comprenait l’apprentissage des humanités (le grec, le latin, le français – mais dans une moindre mesure par rapport aux deux langues précitées – et l’histoire), mais aussi du dessin, de l’art des estampes, de la physique, de l’histoire naturelle, des mathématiques, de la philosophie et de la rhétorique4. Vers quinze ans, il étudie le droit pour lequel au premier abord, il n’a que peu d’attrait mais « son père […] su[t] l’y ramener doucement »5. Il est licencié aux alentours de seize ou dix-sept ans et entreprend à dix-neuf ans l’étude de la jurisprudence6. A ces études, il peut ajouter la solide expérience acquise lors des déplacements de son père dans l'intendance du Languedoc7. Outre le latin et le grec, il maîtrise également l’anglais,

1 Nous développerons cette notion de « monarchie administrative » dans notre troisième partie.

2 Successivement intendant du Limousin de 1765 à 1768 puis de Bordeaux jusqu'en 1773 avant d'obtenir l'intendance du Languedoc jusqu'en 1785. STOREZ-BRANCOURT, Isabelle, Le chancelier Henri François d’Aguesseau (1668-1751) :

monarchiste et libéral, Paris, Publisud, 1996, 634 p. (ici p. 67).

3 Idem (ici pp. 76-77).

4 Idem (ici pp. 83-87).

5 Idem (ici pp. 87-88).

6 Ibidem.

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l’italien, l’espagnol, le portugais et a même des notions en hébreux. Voltaire écrit ainsi de lui qu’il est « le plus savant magistrat que jamais la France ait eu [...] »1.

Issu d’une famille de la noblesse de robe ayant fourni de nombreux officiers2 et armé d’une solide connaissance du droit, il est nommé le 27 avril 1690 avocat du roi au Châtelet de Paris avant d’être, le 12 janvier 1691, reçu comme avocat général au Parlement de Paris. Enfin, le 24 septembre 1700, à la mort de Jean Arnaud de La Briffe, marquis de Ferrière, le roi lui attribue la charge de procureur général au Parlement de Paris3. Dans le cadre de ses différents offices, il rédige de nombreux travaux qui lui valent une réputation d’éminent jurisconsulte même s’il n’a jamais écrit le moindre ouvrage de droit4. Ce sont principalement trois événements qui le révèlent aux yeux de la Cour et de tout Paris : sa prévoyance dans les conséquences du « grand hyver » de 1708-1709 et son action pour en limiter les conséquences5, son opposition à la bulle Unigenitus6, l’enregistrement et surtout la modification du

testament de Louis XIV. Le 2 février 1717, lors de la polysynodie7, il est désigné – à sa grande surprise – chancelier de France8.

A sa nomination au premier office de la Couronne, l’ « aigle du Parlement »9 comme l’appelle Saint-Simon est donc un magistrat confirmé à l’intelligence et à l’éloquence reconnues et saluées par ses contemporains10. En tant que procureur général du Parlement, d’Aguesseau était en effet apprécié pour son indépendance, car bien qu’étant l’homme du roi, il n’hésita pas à s’opposer à celui-ci11. Les compliments sont nombreux tant chez ses admirateurs et soutiens que chez les personnalités les plus réticentes comme la marquise de Sévigné ou Barbier, tant il paraissait supérieur au milieu de magistrats considérés alors comme plutôt médiocres12.

Même si ces premiers pas sont considérés comme une véritable renaissance dans la fonction de chancelier, sa nomination ne fait néanmoins pas l’unanimité. En effet, rapidement il fait les frais de son opposition à certaines réformes emblématiques de la Régence. Son hostilité au système de Law lui coûte ainsi d’être exilé dès le 29 janvier 1718 avant d’être rappelé en 1720. Ce retour est de courte durée, car l’avènement du cardinal Dubois au Conseil de Régence en février 1722 lui vaut d’être renvoyé une seconde fois sur ses terres à Fresnes. Si son premier retour en grâce avait suscité des scènes de joie, très

1 Idem (ici p. 92).

2 Son père était intendant et conseiller du roi, son oncle maître des requêtes, son grand-père président du Parlement de Bordeaux.

3 STOREZ-BRANCOURT, Op. cit. (ici p. 205).

4 Comme le note Isabelle Storez-Brancourt, ce titre de « jurisconsulte » qui lui a été donné de son vivant n’est pas à mettre en lien avec la publication d’ouvrages de droit puisqu’il n’y en eut aucune, mais avec l’influence qu’il a pu exercer sur le monde de la justice. Idem (ici p. 210).

5 Idem (ici pp. 221-225).

6 Idem (ici pp. 225-227).

7 Il a d’ailleurs pleinement participé à la mise en place de ce modèle de gouvernement et a même obtenu un siège au Conseil des Affaires ecclésiastiques.

8 MONNIER, Francis, Le chancelier d’Aguesseau : sa conduite et ses idées politiques et son influence sur le mouvement des

esprits pendant la première moitié duXVIIIe siècle avec des documents nouveaux et plusieurs ouvrages inédits du chancelier,

Paris, Chez Didier et Cie, 1859, 499 p. (ici p. 167).

9 STOREZ-BRANCOURT, Isabelle, Op. cit. (ici p. 199).

10 Idem (ici pp. 230-235).

11 Idem (ici pp. 209-210).

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vite, le chancelier doit faire face aux critiques et notamment à celles des parlementaires, concernant sa gestion de l’affaire Law et de la bulle Unigenitus1. En 1722, lorsqu’il est exilé une seconde fois, le premier officier de la Couronne est ainsi décrié aussi bien par la Cour que par le peuple. Pierre Narbonne écrit à son sujet : « Ce fut alors que le premier magistrat du royaume perdit en un moment l’estime de tout le peuple »2. En effet, bien qu’on lui reconnaisse des compétences et des capacités supérieures à celles des autres magistrats, sa carrière en tant que ministre est sévèrement jugée par ses contemporains3. Ce second exil est plus long que le premier puisqu’il ne retrouve la chancellerie qu’en août 1727 et les sceaux ne lui sont remis qu’après la disgrâce de Chauvelin en 17374. Durant ces années chaotiques, le chancelier est loin d'être inactif puisqu’il profite de ces mises à l’écart pour écrire et mettre sur pied tout un programme de réformes.

b. Un programme de réforme ambitieux

Les périodes d’exils du chancelier d’Aguesseau sont des moments d’intense rédaction. Lors de son premier éloignement, il écrit, ainsi une biographie de son père5, des ouvrages d’économie politique, une série d’ouvrages philosophiques6 et des ébauches de traités juridico-politiques7. Mais c'est surtout lors de son second exil, qu’il rédige ses projets de réforme. En 1725, après la lecture du Projet pour diminuer

le nombre des procès de l’abbé Saint-Pierre, il compose un court traité dans lequel il forme le dessein

de réformer en profondeur l’institution judiciaire8. Suit en 1727 un Mémoire sur les Vues générales que

l’on peut avoir pour la Réformation de la Justice9 dans lequel il expose son projet de réforme. Celui-ci doit porter sur trois points principaux : la jurisprudence, la forme des jugements et la conduite des

1 Idem (ici pp. 255-262).

2 Après son revirement dans l’affaire concernant la bulle Unigenitus, le public avait marqué sur la porte de son hôtel parisien « Homo factus est » et une chanson satirique contre lui disait que le Régent aurait mieux fait d’envoyer le Parlement de Paris à Fresnes – terre de d’Aguesseau – au lieu de Pontoise, étant donné que le chancelier était passé d’opposant à partisan de la bulle lors de son exil. Idem (ici p. 262) et MONNIER, Francis, Op. cit. (ici pp. 220-221).

Sur la translation du Parlement de Paris à Pontoise en 1720 voir STOREZ-BRANCOURT, Isabelle Chapitre 3 « De la routine… : Pontoise en 1720, « ville parlementaire » » in DAUBRESSE, Sylvie, MORGAT-BONNET, STOREZ-BRANCOURT, Isabelle, Le

parlement en exil ou Histoire politique et judiciaire des translations du Parlement de Paris (XVe-XVIIIe siècle), Paris, Honoré

Champion éditeur, 2007, 841 p. (ici pp. 646-731).

3 Il est en effet considéré comme un politique malhabile par son incapacité à s’adapter aux intrigues de la Cour, sa versatilité – notamment avec l’affaire de la bulle Unigenitus, ou, lors de son retour d’exil, avec le système de Law – et sa lenteur d'exécution dans ses travaux. STOREZ-BRANCOURT, Isabelle, Op. cit. (ici pp. 277-283).

4 Idem (ici pp. 247-276).

5 Discours sur la vie et la mort de M. d’Aguesseau. MONNIER, Francis, Op. cit. (ici p. 255).

6 Le plus important est Méditations métaphysiques sur les vraies et fausses idées de la justice, 1722-1727. Ibidem.

7 Il a notamment rédigé les « Fragments sur l’origine et l’usage du droit de remontrance » in Œuvres complètes du chancelier

d’Aguesseau, Paris, Pardessus, 1819, vol. 10 ; et RIGAUD, Louis (éd.), Essai d’une institution au droit public par

Henri-François d’Aguesseau…, Paris, Sirey, 1955, 134 p ; ou encore « Instructions sur les études propres à former un magistrat » in Œuvres complètes du chancelier d’Aguesseau, Pardessus, Paris, 1819, vol. 15.

8 MONNIER, Francis, Op. cit. (ici p.322).

9 AGUESSEAU, Henri-François (d’), Mémoires sur les Vues générales que l’on peut ‘avoir pour la Réformation de la Justice in Œuvres complètes du chancelier d’Aguesseau. Nouvelle édition, augmentée de pièces échappées aux premiers éditeurs, et d’un discours préliminaire par M. Pardessus, Fantin et Compagnie, Paris, De Pelafol, H. Ncole, 1819, t. 13, (ici pp. 200 à 229) ; STOREZ-BRANCOURT, Isabelle, Op. cit. (ici p.294) ; Voir aussi COMBE, Paule, Mémoire inédit du chancelier d'Aguesseau sur la

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officiers de justice. Le but est d’aboutir à un code unifiant le droit1, ce qui complètement novateur à une époque où le droit se caractérise par son extrême diversité et son hétérogénéité.

Ce n’est qu’une fois de retour en grâce qu’il peut entreprendre concrètement les mesures qu'il a imaginées. La présence de Chauvelin comme garde des sceaux, lui permet d’être déchargé du contrôle de la Librairie et donc se consacrer pleinement à son projet. Le système judiciaire est alors en pleine crise : les juges souffrent d’une mauvaise réputation et la valeur et le prestige des offices ne cessent de décliner2 si bien qu’un grand nombre, faute d’acquéreurs, demeurent vacants. Enfin l’enchevêtrement et la trop grande profusion des juridictions entraînent des frais élevés, des lenteurs et parfois même la paralysie de l’exercice judiciaire3. Pour lutter contre les maux qui affaiblissent la justice et pour mettre à exécution ses projets, le chancelier est épaulé par Guillaume-François Joly de Fleury qui lui a succédé à la charge de procureur général du Parlement de Paris,

Le programme de réforme du chancelier est ambitieux. Il prévoit de réviser les grandes ordonnances de Louis XIV (l’ordonnance civile ou Code Louis de 1667, la Grande ordonnance criminelle de 1670, celle des Eaux et Forêts de 1669, celle du commerce de 1673 et de la marine de 16814), de rédiger une ordonnance générale de police et d’uniformiser le droit5. Il projette également de rationaliser la hiérarchie judiciaire, de diminuer le nombre d’officiers et de réformer les tribunaux. Cet esprit prolifique ne se limite pas au domaine de la justice, puisqu'il a aussi l’intention de réglementer les registres paroissiaux, s'intéresse à la conservation des archives ou encore aux mesures à prendre dans la construction des habitations pour limiter les risques d’incendies6. Le chancelier veut être de tous les fronts mais veut avant tout réformer en profondeur la justice. Malgré une profusion d’idées et une volonté affirmée de changement, il est retenu par la crainte de trop grands bouleversements et procède lentement – au grand regret d’ailleurs de Joly de Fleury.

Prenant conscience de l’ampleur de la tâche qu’il s’est donné, il écrit à propos de son projet d’un droit unique pour l’ensemble du royaume que c’est un « dessein trop vaste et qu’on ne peut exécuter du moins que par partie »7. Ainsi seuls certains aspects du projet initial sont finalement mis en œuvre et aboutissent à des mesures effectives.

1 MONNIER, Francis, Op. cit. (ici p.286).

2 Par exemple pour la Bretagne, voir DEBORDES-LISSILOUR, Séverine, Les sénéchaussée royales de Bretagne. La monarchie

d'Ancien Régime et ses juridictions ordinaires (1532-1790), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006, 467 p. (ici

pp. 209-223).

3 STOREZ-BRANCOURT, Isabelle, Op. cit. (ici pp. 308-314).

4 ANTOINE, Michel, Louis, XV, Paris, Fayard, 1989, 1049 p. (ici p. 337).

5 STOREZ-BRANCOURT, Isabelle, Op. cit. (ici pp. 308-314).

6 Idem (ici p. 316).

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c. Les réalisations effectives de son programme

Ce foisonnement d’idées et de projets de réforme se traduit concrètement par la mise en place de quelques textes ciblés. Comme le démontre avec justesse Marie-Laure Duclos-Grécourt, d’Aguesseau n’a pas cherché à unifier le droit en une seule fois, mais a, au contraire, procédé par ordonnances, restant fidèle en cela à l’esprit du temps1. Les ordonnances souhaitées par le chancelier se répartissent en deux groupes : celles pour lesquelles il n’y a pas assez de lois et celles pour lesquelles, au contraire, il y en a trop. Ce sont sur ces dernières qu’il concentrera ses travaux2.

Pour ce faire, le chancelier s’entoure d’une commission de six membres (quatre conseillers d’Etat assistés d’un ou deux maîtres des requêtes) appelée Bureau de Législation3. Ce bureau transmet au procureur général du Parlement de Paris (Guillaume-François Joly de Fleury) les textes élaborés afin d'avoir ses observations et ses suggestions. Une fois les textes remaniés, ils sont soumis au premier président du Parlement de Paris qui les examine et y fait des remarques avec les présidents à mortier et les magistrats du Parquet avant de renvoyer le tout au chancelier. En faisant participer les Parlements, d’Aguesseau espère limiter au maximum les résistances à ses nouvelles lois. Pour avoir l’avis des différentes cours souveraines, il envoie des questionnaires qu’il prépare avec Joly de Fleury. Entre le 18 mars 1728 et le 2 mai 1730 cinq questionnaires sont expédiés : un sur l’édit de Maur, un sur les donations, un sur les testaments4, un sur les faux et un sur les substitutions fidéicommissaires. Un autre questionnaire est envoyé en 1738 sur les incapacités à donner et à recevoir. Enfin un daté du 5 août 1735 sur les matières bénéficiales n’aboutit à rien. Malgré la bonne volonté du chancelier à faire participer les magistrats, ceux-ci se lassent dès l’envoi du second questionnaire et lorsqu'il y a des réponses, elles n'arrivent que lentement5. Les mémoires réceptionnés sont dépouillés et analysés par les collaborateurs du chancelier et parfois par d’Aguesseau lui-même. Les réponses des cours sont également envoyées à Joly de Fleury pour avoir son avis. Une fois celui-ci pris, une nouvelle consultation est prise auprès du Parlement de Paris puis l’ordonnance est rédigée et présentée au roi6.

Ces diverses consultations se concrétisent dans le droit privé par la révocation le 6 août 1729 de l’édit de Saint-Maur de mai 1567, qui est une tentative d’introduction dans les pays de droit écrit du

1 « On ne parviendra jamais à donner une loi uniforme tout d’un coup, sur toute les matières. Cela est impossible par une infinité de raisons […] et une des premières règles de la politique, c’est de n’entreprendre que des choses possibles. Je ne sais même si cela serait fort utile. Car qu’importe qu’il y ait quelque variété conforme aux mœurs et aux privilèges de chaque province sur certains détails […] pourvu qu’il y ait des principes certains et de bonnes lois sur les choses les plus générales et sur ce qui est le plus essentiel pour l’ordre public. Je me réduirais donc avec l’abbé de Saint-Pierre à des ordonnances détachées ». AGUESSEAU, Henri-François d’, Premier mémoire, in Mémoires sur la réforme de la législation in MONNIER, Francis, Op. cit. (ici p. 457). Cité par DUCLOS-GRECOURT, Marie-Laure, L’idée de loi au XVIIIe siècle dans la pensée des juristes français (1715-1789), [Paris], LGDJ-Lextenso éd. ; [Poitiers], Presses universitaires juridiques Université de Poitiers, 2014, 779 p. (ici p. 297).

2 AGUESSEAU, Henri-François d’, Premier mémoire, in Mémoires sur la réforme de la législation in MONNIER, Francis, Op. cit. (ici p. 458). Cité par DUCLOS-GRECOURT, Marie-Laure, Op. cit. (ici p. 300).

3 Ce Bureau Législatif est présidé par Louis-Charles Machault d’Arnouville, conseiller d’Etat en 1718 et lieutenant général de police en 1720. Font partie de cette commission, les deux fils du chancelier (l’aîné est membre du Conseil d’Etat depuis le 7 septembre 1729, le second est maître des requêtes), Jean Baptiste le fils de Machault d’Arnouville (futur contrôleur général et garde des sceaux), Marc-Pierre de Voyer comte d’Argenson (conseiller d’Etat et futur ministre de la guerre). DUCLOS -GRECOURT, Marie-Laure, Op. cit. (ici pp. 302-303).

4 Par exemple, le juriste Jean-Baptiste Furgole est désigné par le Parlement de Toulouse pour répondre aux questionnaires sur les donations et les testaments. Idem (ici pp. 304-305).

5 Idem (ici pp.317-321) ; ANTOINE, Michel, Op. cit., (ici p. 338-340).

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droit coutumier pour la succession des mères au patrimoine d’un enfant mort. Cette abrogation met en lumière l’impossibilité à combler le fossé entre le droit écrit et le droit coutumier et donc de mettre en place un droit privé unique1. Le chancelier tente alors d’unifier le droit coutumier2 grâce à quatre lois : l’Ordonnance sur les donations de février 1731 (complétée le 17 février par une déclaration)3, celle sur les testaments d’août 17354, celle sur les substitutions en août 17475, et un édit sur les établissements et acquisitions des gens de mainmorte6. La principale difficulté du chancelier est d'arriver à concilier le droit coutumier et le droit écrit. En effet, si pour l’ordonnance sur les donations, les dispositions entre les deux droits sont assez proches, il n’en est pas de même pour celle concernant les testaments où les différences sont flagrantes et finalement le chancelier choisit de garder une législation propre à chaque espace7. En cherchant à harmoniser le droit, d’Aguesseau n'a pas l'intention de détruire les coutumes. Au contraire, il cherche à les perfectionner en les liant au droit romain et à les actualiser grâce aux progrès réalisés en matière de justice et de jurisprudence8. Outre les difficultés liées aux spécificités du droit privé, Henri-François d’Aguesseau doit également faire face à l’hostilité des Parlements qui voient d’un mauvais œil la perte des particularismes propres à chaque pays9.

Dans le programme de d’Aguesseau est aussi prévue une révision de la grande ordonnance criminelle de 1670. Celle-ci est ainsi complétée en 1731 avec une déclaration sur les cas prévôtaux et les cas présidiaux pour faciliter la répression des délits commis sur les grands chemins, en 1737 avec une ordonnance sur les faux et enfin en 1743 avec un texte réglant l’instruction des affaires criminelles dans le cadre des élections10. En matière de police, le chancelier fait adopter la déclaration de 1731 sur le rapt des mineurs, l’édit de 1732 sur les tutelles, le règlement de la dîme, des lettres patentes concernant les coutumes d’Artois et la déclaration du 9 avril 1736 sur la manière de tenir les registres paroissiaux11. Enfin, il s’attaque à la mise en ordre du Conseil du Roi par un règlement du 28 juin 173812 et aux

1 STOREZ-BRANCOURT, Isabelle, Op. cit., (ici pp. 321-324).

2 Sous le règne de Louis XIV, Guillaume de Lamoignon, premier président du Parlement de Paris avait déjà tenté pareille aventure pour les coutumes du ressort du Parlement de Paris, mais ces Arrêtés n’eurent pas force de loi et le droit coutumier conserva sa diversité. DUCLOS-GRECOURT, Marie-Laure, Op. cit. (ici p. 294).

3 Idem (ici pp. 324-326).

Pour plus de détails sur cette ordonnance, voir REGNAULT, Henri, Les ordonnances civiles du chancelier d’Aguesseau. Les

donations et l’ordonnance de 1731, Paris, Recueil Sirey, 1929, 666 p.

4 Malgré, la volonté du chancelier de réduire les différences en matière juridique, dans le cas de l’ordonnance sur le testament, les usages sont si variés, notamment entre le pays de droit écrit et celui de droit coutumier, qu’il est obligé de mettre en place des solutions propres à chacun de ces deux ensembles juridiques. LEUWERS Hervé, La justice dans la France moderne. Du roi

de justice à la justice de la nation (1498-1792), Paris, Ellipses, 2010, 254 p. (ici p. 43).

Pour plus de détails sur cette ordonnance voir REGNAULT, Henri, Les ordonnances civiles du chancelier d’Aguesseau. Les

testaments et l’ordonnance de 1735, Paris, Recueil Sirey, 1938, 372 p.

5 STOREZ-BRANCOURT, Isabelle, Op. cit. (ici pp. 328-330).

6 Idem (ici pp. 330-331).

7 Idem (ici pp. 325-328).

Pour plus d’informations sur le travail de préparation des ordonnances et leur réalisation voir : DUCLOS-GRECOURT, Marie-Laure, Op. cit., (ici pp. 300-318).

8 MONNIER, Francis, Op. cit. (ici p. 408).

9 STOREZ-BRANCOURT (ici pp. 332-334).