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Chapitre 1 : Genèse et origines d’une enquête sur la justice au XVIIIe siècle

II. Une enquête indispensable ?

3. La crise de la justice : situation réelle ou fantasmée ?

La crise de l'exercice de la justice n’est pas un sujet nouveau et propre à l’enquête du chancelier d’Aguesseau. Les insuffisances du système judiciaire : coût élevé, longueur des procédures etc. font que la justice n’est jamais jugée satisfaisante et donc toujours promise à une réforme7.Au XVIIIe siècle, on

1 Idem, 1C 1267, Ordonnance de l’intendant de Perpignan - 25.04.1738.

2 MEYZIE, Vincent, « « Réduction à l’obéissance » ou régulation de la désobéissance ? Le pouvoir monarchique et les magistrats présidiaux du Limousin et du Périgord à la fin du XVIIe siècle » in CASSAN, Michel, L’obéissance, Limoges, PULIM, 2005, pp. 71-92 (ici p. 75).

3 MEYZIE, Vincent, Op. cit. (ici pp. 160-175).

4 Idem (ici pp. 148 et 157-175).

5 Arch. dép. Côte-d’Or, C.396, Circulaire du chancelier d’Aguesseau - 9.10.1733.

6 Arch. dép. Nord, C.9537, Lettre : l'intendant au subdélégué de Cambrai - 8.07.1773.

7 FOLLAIN, Antoine, « Justice seigneuriale, justice royale et régulation sociale du XVe au XVIIIe siècle : rapport de synthèse » et « De l’ignorance à l’intégration. Déclarations, édits et ordonnances touchant la justice seigneuriale aux XVIe et XVIIe

siècles », les deux in BRIZAY, François, FOLLAIN, Antoine, SARRAZIN, Véronique (dir.), Les Justices de village. Administration

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insiste notamment sur la mauvaise réputation des juges1 qui entraîne une dépréciation et le déclin du prestige des offices2. Au Parlement de Paris, le montant de la charge de conseiller diminue de moitié entre 1700-1720 et 1750, passant de 100 000 livres à moins de 50 000. Au Parlement de Bretagne, la baisse est encore plus spectaculaire, puisque la même charge qui se monnayait près de 90 000 livres au début du XVIIIe siècle a perdu les deux tiers de sa valeur à la veille de la Révolution3. Cette chute du prix des offices n’est pas propre à toutes les cours. En effet, si le présidial de Carcassonne au début du XVIIIe siècle doit faire face à un endettement chronique de sa compagnie, à une chute du nombre d’officiers, à de nombreux offices vacants ainsi qu'à une immense difficulté à attirer des acquéreurs potentiels, d’autres sièges comme le présidial de Riom ou de Toulouse se portent à merveille et ne souffrent pas de tels maux4.

Tous ces éléments font que l’Etat et les chanceliers se sont beaucoup préoccupés au XVIIIe siècle de l’état des justices. En témoignent les différents questionnaires qui ont été réalisés. En 1723, le contrôleur général Dodun demande aux intendants de lui fournir un état de toutes les juridictions royales afin de connaître les effets du rétablissement de la paulette en 17095. Le 27 juillet 1724, le garde des sceaux d’Armonville envoie une circulaire aux intendants pour qu’ils dressent des états dénombrant les justices et les offices vacants. Les intendants dans cette entreprise ont aussi pour mission de proposer des moyens pour « maintenir l’honneur et la considération qui doivent être attachés à des tribunaux établis pour exercer la justice en son nom [le roi] et mettre les offices qui les composent en état d’être recherchés par les plus honnêtes gens et les plus capables de faire honneur à leur ministère »6. Le chancelier d’Aguesseau s’est lui aussi attaqué au problème et c’est toujours aux intendants qu’il demande en 1728 un état des lieux des justices et des offices vacants, non pour trouver de potentiels acquéreurs mais afin de supprimer les prévôtés dans les lieux où se trouve déjà un bailliage ou une sénéchaussée7. En effet, l’enchevêtrement et la trop grande profusion des juridictions entraînent des frais

Antoine, « L’argent : une limite sérieuse à l’usage de la justice par les communautés d’habitants (XVIe-XVIIIe siècle) » in GARNOT, Benoît (dir.), Justice et argent. Le coût de la justice et l’argent des juges du XIVe au XIXe siècle, Dijon, EUD, 2005,

pp. 27-37

1 La critique des juges n’est pas un thème récent. Déjà dans l’Antiquité, les juges étaient la cible de satires. Cependant, c’est véritablement à l’époque moderne, qu’ils deviennent une figure majeure de ce genre littéraire. On critique aussi bien leur supposée cruauté que leur corruption et leur ignorance. Parmi les œuvres qui dressent ce tableau peu flatteur de la magistrature, on peut citer le Tiers Livre (1546) de Rabelais, Les Serées (1634) de Guillaume Bouchet, Les Plaideurs (1668) de Racine. Au XVIIIe siècle, dans sa correspondance, Voltaire est particulièrement virulent contre les juges et il s'implique dans plusieurs affaires comme le procès Calas. GARNOT, Benoît, Histoire des juges en France, Paris, Nouveau Monde éditions, 2014, 395 p. (ici pp. 25-32).

Au XVIe siècle, le Discours de l'abus des justices de village de Charles Loyseau, tout en critiquant vertement les officiers dénonce également le trop grand nombre de justices. LOYSEAU, Charles, Discours de l'abus des justices de village, tiré du traité

des offices de C.L.P. non encor imprimé, Paris, Chez Abel L'Angelier, 1603, 61 p. Voir sur ce discours, BRIZAY, François, SARRAZIN, Véronique « Le Discours de l'abus des justices de village : un texte circonstance dans une œuvre de référence » in BRIZAY, François, FOLLAIN, Antoine, SARRAZIN, Véronique (dir.), Op. cit., pp. 108-122.

2 Si le prix des offices de finances et de la chancellerie demeure stable, celui des offices de judicature ne cesse de baisser depuis la fin du XVIIe siècle. Le chancelier d'Aguesseau note qu'il y a un « dégoût presque général pour les charges de judicature ». La dépréciation des offices, fait que beaucoup demeurent vacants ce qui perturbe l'exercice de la justice des cours inférieures. ANTOINE, Michel, Op. cit., (ici p. 335).

3 IMBERT, Jean et alii, Histoire de la fonction publique en France, 2. Du XVIE au XVIIIE siècle, Paris, Nouvelle Librairie de

France, 1993, 544 p. (ici p. 356).

4 MEYZIE, Vincent, Op. cit. (ici pp. 292-293).

5 BLANQUIE, Christophe, Les présidiaux de d’Aguesseau, Paris, Publisud, 2004, 385 p. (ici p. 64).

6 Idem (ici p. 65).

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élevés, des lenteurs et parfois même la paralysie de l’exercice judiciaire1. Le chancelier juge donc nécessaire de limiter le nombre de juridictions pour rendre l’instruction de la justice plus efficace et moins dispendieuse. Sa politique de réunion est amplifiée encore par l’enquête de 17402 mais celle-ci contrairement à la précédente, fait également participer les magistrats et ne se limite plus seulement à l’avis des administrateurs3.

L’enquête que d’Aguesseau ordonne sur les crimes dignes de mort ou de peines afflictives s’inscrit également dans cet esprit de réformer l’appareil judiciaire. Cette fois-ci ce ne sont pas les ressorts judiciaires qui sont visés mais les officiers eux-mêmes car il s’agit de contrôler leur exactitude à poursuivre les crimes et leur promptitude à achever les procédures. A lire le chancelier, l’état de la justice est préoccupant puisqu’« un grand nombre de crimes, & de crimes très-graves demeurent sans poursuites […] & […] les plus grands excès se multiplient, par l’espérance de l’impunité »4. Si la négligence à poursuivre les crimes et la lenteur d’instruction des procédures sont soulignées par le chef de la justice, elles le sont également au niveau provincial.

Les subdélégués ne sont pas en reste pour formuler des critiques puisqu'en 1745 celui d’Avesnes informe l’intendant du Hainaut « que depuis un longtemps les prisonniers tant de l’office de M. Le duc d’Orléans que de ceux de la maréchaussée restent un temps infini dans les prisons sans jugement et contre l’ordonnance qui prescript que dans les 24 heures chaque prisonnier doibt être interrogé »5. De même, en 1759, le subdélégué de Rochefort envoie à l'intendant d'Auvergne un état regroupant cinq affaires en cours dont deux ont été commencées depuis 1748 et qui « [...] languissent par la négligence des procureurs d'office ou peut-être par complaisance pour les seigneurs »6. Le subdélégué de Bort dans la même intendance va quant à lui jusqu’à accuser les juges de ne pas poursuivre intentionnellement plusieurs cas de meurtres :

« Un estat des autres criminels rependus dans mon département coupables de meurtres […] ont esté sans poursuite et souvent celés. Ces derniers ne sont pas en petit nombre, mais les juges qui ne s’attachent pas à faire périr les coupables ou à les inquiéter ont souvent la pernicieuse maxime lorsque le crime n’est pas évidemment publiq de ne faire entendre que des témoins bien intentionnés ou gens qui ne scavent rien dire dont il s’agit et ne s’attachent pas à entendre ceux qu’ils scavent bien instruits »7.

1STOREZ-BRANCOURT, Isabelle, Op. cit. (ici pp. 308-314).

2 Parmi les documents de l’enquête de 1733, nous avons une lettre relative à cette entreprise qui a été conservée et qui décrit le siège de la sénéchaussée de Sisteron en 1740. Arch. dép. Bouches-du-Rhône, C.2331, Lettre : envoi de l’état des offices de la sénéchaussée de Sisteron – 15.01.1741.

3 BLANQUIE, Christophe, Op. cit., (ici pp. 78-102).

4 Arch. dép. Côte-d’Or, C.396, Circulaire du chancelier d’Aguesseau - 9.10.1733.

5 Arch. dép. Nord, C.9573, Lettre : envoi de l’état des prisonniers de la subdélégation d’Avesnes pour les 6 premiers mois de 1745 – 10.07.1745.

Il s'agit de l'article 12 du Titre II de l'Ordonnance criminelle de 1670.

6 Arch. dép. Puy-de-Dôme, 1C.1551, Lettre : aucun crime dans la subdélégation de Rochefort pour les 6 derniers mois de 1758 - 30.03.1759.

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Le subdélégué de Moustiers déplore également au sein de l'état des crimes qu'il transmet à l'intendant de Provence pour les six derniers mois de 1779 que le coupable connu d'un vol sur le grand chemin n'est pas inquiété par les officiers :

« Ce crime a été commis depuis environ un mois. Tout le voisinage en est instruit, cependant les officier de justice de S[ain]t Juers1 ne font aucune poursuite. Il seroit à désirer que le coupable qui est natif de S[ain]t Juers ne restat pas impuni, il est soubçonné d'avoir arrêté depuis cet an plusieurs personnes sur les grands chemins »2.

Ce manque d’attention des officiers à pourchasser les criminels était déjà visible le siècle précédent. Ainsi, en Limousin, l’intendant, d’Aguesseau père constatait par ses chevauchées entre 1666 et 1667 le manque de zèle des magistrats3. En 1687, les officiers de Moulins sont ainsi considérés comme responsables de l’évasion de plusieurs accusés condamnés aux galères – l’état des prisons est hors de cause puisqu’elles avaient été réparées au frais du roi en 16864.

Les critiques n’émanent pas que de l’administration mais également des officiers eux-mêmes qui n’hésitent pas à souligner les travers de leurs collègues. En janvier 1744, le procureur du roi de la sénéchaussée de Toulouse impute ainsi directement la non poursuite de crimes graves aux juges seigneuriaux :

« […] il y a bien de connivance dans les campagnes de la part des jeuges des seigneurs sur les mattieres criminelles et à raison des crimes attrosses qui s’y commettent dont le plus grand nombre m’a esté toujours caché n’estant que trop ordinaire pour espargner aux seigneurs justiciers les frais des poursuites […] »5.

Quelques mois plus tard, il fait au nouvel intendant, Jean Le Nain – nommé en août de l'année précédente6 – un long développement sur les manquements des seigneurs hauts-justiciers et de leurs juges à poursuivre les crimes. Il n’hésite pas à affirmer que depuis le début de sa carrière, il n’a jamais vu une seule une seule procédure instruite par une justice seigneuriale menée à son terme et accuse les officiers seigneuriaux de laisser les prisonniers s'évader :

« […] l’objet des ordonnances royaus et les intantions de M[onsei]g[neu]r le chancellier n’estant sur ces mattieres [les crimes dignes de mort ou de peines afflictives] que de parvenir à la punition des crimes et à détruire le nombre des malfaiteurs. J’auray l’honneur de vous observer que j’ay

1 Aujourd’hui Saint-Jurs, Alpes-de-Haute-Provence, c. Riez, arr. Digne-les-Bains.

2 Arch. dép. Bouches-du-Rhône, C.3527, Etat des crimes de la subdélégation de Moustiers pour les 6 derniers mois de 1779.

3 MEYZIE, Vincent, Op. cit. (ici pp. 158-159).

4 SMEDLEY-WEILL, Anette, Les intendants de Louis XIV, Paris, Fayard, 1995, 369 p. (ici pp. 228-229).

5 Arch. dép., Hérault, C.1574, Lettre : le procureur du roi de la sénéchaussée de Toulouse à l’intendant - 19.01.1744.

6 SAINT-ALLAIS, Nicolas Viton de, La France législative, ministérielle, judiciaire et administratives sous les quatre dynasties, Paris, Imprimerie P. Didot L'Aîné, 1813, 2 vol., 334 et 352 p. (ici vol. 2, p. 169).

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donné pressedamant nombre des mémoires1 qui concourent à cet object en citant une multitude d’abus qui y forment le principal obstacle. J’ay principallement observé que l’impunitté des crimes venoit de l’éloignement où sont generallement tous les seigneurs hauts justiciers à faire punir les délinquants dans les districts de leurs justisces soit qu’ils soient leurs vasseaus ou gens de passage dont l’objet est uniquement l’espargne des frais des procedures ausquels ils sont teneus et effectivement, Monseigneur, je suis encore à voir un example depuis près de trente années que je suis honnoré du ministaire public ou un seigneur haut justicier ait fait suivre une affaire de cette espesse jusques à jeugemant deffinitif pour parvenir à la punition. Leur object n’est que de s’en debarasser dans l’origine de l’instruction de la procédure dont le remède est presque toujours l’évasion des prisons des preveneus soit peut être concertées mais toujours satisfaisantes ou désirées, ce qui est facilittés d’autant le moien qu’il n’est point des prisons seigneurialles devers nostre district qui soint dans les règles pour la seuretté des prisonniers. […] [Je ne peux] vous exprimer combien est grande et sansible la connivance des seigneurs haut justiciers et celle de leurs jeuges pour l’impunitté des crimes, aussi les campagnes sont-elles inondées de malfaiteurs »2.

L'indifférence des seigneurs hauts-justiciers tient selon lui essentiellement au fait que les coupables sont soit des gens qui ne sont pas originaires du lieu et donc sans famille à proximité pour soutenir les frais d'une procédure, soit des personnes sous leur protection. Ce procureur du roi préconise également d'avoir recours à des tournées qui, même s'il le reconnaît seront coûteuses, seraient le seul moyen selon lui de limiter les abus et d'assurer la tranquillité publique3. Ce n'est d'ailleurs pas le seul à produire des mémoires pour soumettre des solutions à l'intendant afin de rétablir l'exercice de la justice dans certaines zones. Le procureur du roi du pays de Gévaudan écrit ainsi à l'intendant du Languedoc : « L'on n'entend dire tous les jours et parler que des cries énormes quy se commettent dans ce pays [Gévaudan] à cause de l'impunité que les coupables sont assurés d'y trouver faute de justice et de mainforte pour en exécuter les décrets. J'ay dressé un mémoire que je fairay tenir à vostre grandeur si elle me l'ordonne où elle connoitra l'état où a esté le Gévaudan depuis deux cents ans, l'état actuel où il est et l'état où il pourroit estre pour y faire triompher la justice et respecter l'authorité royalle »4. L'intendant demandera à la réception de cette lettre, le mémoire en question5.

En 1749, Fourel, procureur du roi du bailliage du Haut-Vivarais dresse le même constat à propos des officiers seigneuriaux :

1 Guillaume Cortade de Betou, comme nous le verrons à plusieurs reprises, intervient régulièrement auprès de l’intendant pour dénoncer les négligences dans la poursuite des crimes dans les justices seigneuriales. Il propose plusieurs solutions pour y remédier comme la mise en place de tournées pour vérifier les registres criminels et la punition des juges indignes.

2 Arch. dép. Hérault, C.1575, Lettre : aucun crime dans la sénéchaussée de Toulouse pour les 6 premiers mois de 1744 – 16.07.1744.

3 Ibidem.

4 Idem, C.1572, Lettre : état des crimes du Pays de Gévaudan pour les 6 premiers mois de 1740 - 31.07.1740.

5 Idem, C.1572, Lettre : accusé de réception du premier état des crimes du pays de Gévaudan pour les 6 premiers mois de 1740 - 5.08.1740.

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« [...] que la plûpart des juges des seigneurs pour éviter les fraix laissent les crimes sans poursuites ou s'ils y sont obligez par la clameur publique, ils les font si lentement qu'il en résulte toujours les dépérissements des preuves ou l'évasion des prisonniers. Ces abus occasionnent des plaintes qui ont souvent été portées à M. le chancelier [...] »1.

Le bailli d’Altkirch quant à lui dans son état des crimes pour l’année 1759 écrit : « Les poursuites des crimes se fait en ce département avec les dernières négligences et je pense qu’on devrait pour bien des raisons s’en prendre aux procureurs fiscaux […] ». Suit cette déclaration, le cas de trois affaires n’ayant pas connu de suites2.

Le personnel militaire n'est pas plus tendre envers les officiers de justice. Ainsi en 1738, lors de l'envoi de l'état des prévenus détenus à Privas, le maréchal des camps et armées du Roi commandant en Vivarais et Velay dans l'intendance du Languedoc, M. de la Devèze, informe le secrétaire d'Etat à la Guerre, d'Angervilliers qu'une chambre de justice avait été mise en place. En effet, il trouvait les juges et les prévôts trop complaisants envers des criminels bien identifiés. Néanmoins, cette chambre, contrairement à d'autres qui ont été précédemment mises en place3, n'a pas permis de résoudre complètement le problème :

« J’ay l’honneur de vous adresser l’état que vous me demandés des prévenus qui ont resté dans les prisons de Privas après la séparation de la chambre de justice. Vous y verrés par les crimes dont ils sont accusés que quelqu’uns sont des vagabonds voleurs de grand chemin ou assassins qui auroient péri en détail sans la négligence des prévôts et des juges ordinaires puisque la plupart de leurs crimes ne sont pas nouveaux. Cette négligence qui ne m’etoit que trop connue m’avoit engagé à demander cette chambre quoyqu’elle n’ait pas produit tout le bien que j’en attendois. Elle a toujours servi à réveiller l’attention des juges qui laissoient les crimes impunis »4.

Si les officiers de justice sont la proie de critiques, l’état déplorable des bâtiments judiciaires est aussi considéré comme un facteur important dans l’impunité croissante des criminels. En effet, le très mauvais état des prisons revient régulièrement dans les courriers envoyés aux intendants. A Sisteron5

en Provence, on déplore en janvier 1741 que les « […] prisons sont dans un très mauvais état soit par ce qu’il ne put y être gardé aucun prisonnier avec sûreté, soit par rapport à une muraille qui menace ruine

1 Idem, C.1581, Lettre : envoi de l'état des crimes du bailliage du Haut-Vivarais pour les 6 premiers mois de 1749 - 29.06.1749.

2 Arch. dép. Bas-Rhin, C.396, Etat des crimes de la juridiction d’Altkirch pour l’année 1759.

3 Nous pouvons notamment citer celle instaurée en 1716 contre les gens d'affaire. VILLAIN, Jean, « Naissance de la Chambre de justice de 1716 » in Revue d'histoire moderne et contemporaine, t. 35, 1988, p. 544-576 ; SEE Henri, « La Chambre de Justice de 1716 en Bretagne » in Annales de Bretagne, t.39, n° 2, 1930, pp. 223-241 ; RAVEL, Pierre, La Chambre de justice de

1716, Paris, E. de Boccard, 1928, 160 p.

4 Idem, C.1570, Copie de la lettre envoyée par M. de la Deveze à M. d’Angervilliers le 24.12.1738.

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évidente […] »1. Le procureur du roi de la sénéchaussée et de la maréchaussée de Toulouse alerte l’intendant du Languedoc sur le grand nombre d’évasions et l’impuissance des officiers de justice :

« […] je prens la liberté de vous prier de reffléchir principallemant sur les bris et enfoncemants des prisons qui ont causé nombre d’évasion ce qui risquera d’estre souremant de mesme si M[essieu]rs les capitouls ne font doubler ces prisons par des planches d’une epesseur proportionée, les murailles en estant très corrompeues. Touttes nos prisons de Toulouse parlemant, hostel de ville, gabelles ont eu le mesme fort d’évasion cette année et nous ne savons comment nous y prendre »2.

Le procureur du roi d’Annonay en Haut-Vivarais écrit quant à lui en 1743 :

« Nos prisons sont vuides à présente par raport à l’évasion des derniers prisonniers quy estoint détenus. Le concierge et sa femme les ont abandonnées et m’ont fait remettre les clefs ne pouvant trouver un nouveau concierge. Il est inutile que M[onsieu]r Foulosier [lieutenant de la maréchaussée du Vivarais] envoye des prisonniers dans les dites prisons pour moy, je n’en seray arrester aucun quelles ne soint réparées et rendues sûres qu’il n’y aye un nouveau concierge et que le roy ne fasse fournir des fers pour les pieds et des menotes pour les prisonniers que s’il y en avoit eu depuis près de trois ans que je les