• Aucun résultat trouvé

3-8-3 – Une deuxième analyse plus approfondie

Le logiciel ALCESTE offre aussi la possibilité de plusieurs analyses pour affiner les résultats sur un même corpus. Si nous parvenons à saisir, dans le périmètre de chacune des trois classes, de quoi elle semble constituée, nous nous interrogeons avec Christian ROY sur « le sens qui se jouait entre ces mots et tous les autres avant qu’ils ne soient disjoints par le découpage, et que perdons-nous, ou que se cache-t-il, dans le hiatus de ces intervalles qui séparent maintenant nos classes ? »229. C’est donc avec ces questions que nous nous sommes tourné vers ce qui restait commun à ces classes et nous avons demandé à l’analyse de se poursuivre jusqu’à l’obtention du plus grand nombre de classes possible. Nous obtenons une nouvelle distribution de douze classes. « C’est après l’observation du dendrogramme230 générateur de cette première classification qu’on décidera du chemin à suivre ultérieurement. En effet, les découpages successifs par lesquels on passe de l’unité d’un monde (le corpus total) à la diversité de ses "provinces de signification" (Schütz) - ici les 12 classes – ces découpages marquant les étapes de la généalogie sont peut-être porteurs, à leurs niveaux, d’aspects de cette réalité qui seront masqués ou auront disparu au niveau le plus détaillé »231 (voir les 12 classes en Annexe 15).

229 Christian ROY, Université de Toulouse-Mirail, CIRUS/CNRS, Des classifications sémiotiques pour

une navigation sémantique ?, Université d’été IMAGE, Carcassonne, Août 2009, page 2.

230 Le dendrogramme est l’arbre qui résume les genèses des classes ensuite dégagées.

109

→ La classe 1 de la première analyse centrée sur la famille et la scolarisation (qui représente toujours dans cette nouvelle configuration 30% des discours) se subdivise alors en 3 classes (nous les avons appelé sous-classe afin de faciliter la lecture de notre analyse) :

- Une première sous-classe 1-1 : c’est la sous-classe la plus stable et la plus forte (14% des

UCE). Se dégage ici l’importance de la famille (fréq : « 39, khi2 : 17), du père (fréq : 61, khi2 : 29) d’abord, mais l’avis de la mère (fréq : 41, khi2 : 19) est très important. Les parents poussent à réussir (fréq : 27, khi2 : 18) :

- que ces parents soient eux-mêmes (ou issus de) dans des professions reconnues socialement (ingénieur, sciences politiques, artistes ou d’autres) ;

- que ces parents soient (ou issus de) commerçants, cheminots, paysans ou que les événements de la vie aient compliqué les choses (décès, guerre notamment).

L’école, pour eux, c’est important. A contrario ou pour mieux confirmer cette importance, la non réussite scolaire entraîne le fait « qu’on ne peut même pas devenir éboueur ! ». Cette réussite, quand elle est au rendez-vous, entraîne un sentiment de fierté (fréq : 10, khi2 : 15). Nous observons qu’il n’y a pas de définition précise de la "réussite", autre que l’accès à un métier socialement reconnu et valorisé. Nous retenons également que c’est un discours plutôt féminin.

- Une deuxième sous-classe 1-2 concerne la scolarité (fréq : 19, khi2 : 18) et représente 7% des

UCE. Celle-ci est celle qui est au plus près des trajectoires de scolarité. Refaire les trajectoires du primaire, collège, lycée, Baccalauréat. Le Bac (fréq : 43, khi2 : 26) reste l’objectif à atteindre. L’ensemble de ce chemin peut se faire tranquillement, sans à-coups, "sans souci" mais on comprend qu’il faut du courage, que les redoublements (redoubler : fréq : 6, khi2 : 14 et

redouble fréq : 11, khi2 : 20) sont fréquents et Fanny, Maximin (lui, à cause de la crise

économique qui a sévi dans son pays et qui a provoqué une réorientation de ses études techniques initiales) semblent avoir souffert de ces échecs (fréq : 9, khi2 : 17).

- Une troisième sous-classe 1-3 représente 9% des UCE. La "fac" (fréq : 29, khi2 : 18) fait

partie d’une trajectoire de scolarité et là c’est plus original, plus varié comme vie et comme ambiance : l’écriture (fréq : 13, khi2 : 19) et les ateliers d’écriture, les groupes de copains et de travail, les cours qu’on garde et qu’on regarde, les bibliothèques, le "restau U" et tout cela est très beau (fréq : 7, khi2 : 14). Ce discours est porté principalement par Sylvia qui est la seule à avoir poursuivi des études à l’université en suivant le Baccalauréat. Mais il est présent dans la majeure partie des discours lorsqu’est abordé le thème de la reprise d’études en formation continue à l’université.

→ La classe 2 de la première analyse dont le bassin sémantique concernait la formation représente autant d’UCE dans cette nouvelle distribution : (40%), elle est composée de 5 sous- classes. C’est presque la moitié des discours qui alimente ces sous-classes sur le thème de la formation.

- Une première sous-classe 2-1 concerne 11% des UCE. Le changement de métier (fréq : 21,

khi2 : 12) demande du courage (fréq : 10, khi2 : 13), de la patience, de la persévérance, des connaissances, de la réflexion, de la négociation (négocier : fréq : 7, khi2 : 14). Il y a de la remise en question (plutôt que de l’indécision). Réfléchir pour changer d’orientation. C’est une façon de réaliser (fréq : 9, khi2 : 10) son rêve (fréq : 5, khi2 : 8), mais aussi le rêve qu’une autre personne (la mère ?) fait pour vous. Il y a de la contrainte dans cette réalisation : on rend réel ce qui était de l’ordre du rêve. Et l’entourage (famille, amis, collègues de travail) a parfois du mal à

110

comprendre. Il y a à la fois rupture et cheminement (cheminer fréq : 6, khi2 : 10) (qui se prépare plus ou moins consciemment pendant un certain temps). On comprend qu’il y a rupture et remise en question pour entrer en formation, mais on ne sait pas de quel ordre est la rupture, ce qui y amène. Il n’y a pas de stéréotype, ou de liste de critères pour prédire cette reprise d’étude chez quelqu’un.

- Une deuxième sous-classe 2-2 constitue 10% des UCE. Ce serait plutôt la sous-classe de la

définition de la formation (fréq : 75, khi2 : 13). Tout d’abord cela implique une démarche (fréq : 17, khi2 : 16). Si nous nous intéressons à l’étymologie du mot, celui-ci vient de l’ancien français : le sens premier de dé-marche, c’est "fouler aux pieds". Mais c’est la pensée qui fait le marcheur. Cela implique donc d’abord un cheminement de la pensée, une attitude qui aboutit à une manière d’agir. Cette réflexion (fréq : 15, khi2 : 9) doit amener à prendre de la hauteur, à

intéresser (fréq : 23, khi2 : 10). Rechercher (recherche : fréq : 19, khi2 : 10), questionner

(question : fréq : 17, khi2 : 16), proposer (fréq : 17, khi2 : 9), voilà des axes de réflexion pour une démarche efficace vers l’avenir. Et on discerne là une émancipation de la famille. Là c’est la personne qui est en capacité, qui peut.

- Une troisième sous-classe 2-3 englobe seulement 4% des UCE mais elle est fortement

concentrée autour d’une certaine vision (fréq : 10, khi2 : 23) de la formation qui inclut un

processus (fréq : 5, khi2 : 15), une approche sociologique (sociologie : fréq : 8, khi2 : 15), une

réflexion sur la sociologie des organisations (organisation : fréq : 8, khi2 : 13).

- Une quatrième sous-classe 2-4 compte 9% des UCE. L’expression de cette sous-classe est à

l’imparfait ("j’ai fait", "était") : on y décrit la façon dont la profession qu’on a quitté est un point de départ critique, que l’analyse a permis de dépasser, pour se poser la question de la formation. Ce qu’on a compris et ce dont on ne veut plus c’est la dépendance, la relation dominant/dominé, où on est dans la position du ou de la dominé(e) ou même dans la marge (fréq : 8, khi2 : 14). Mais l’expression de cette sous-classe est aussi au futur ("j’aurai", "je déléguerai", "j’irai") : on examine ce que la formation fera changer (modifier : fréq : 5, khi2 : 14, améliorer : fréq : 6, khi2 : 12) dans la profession actuelle. C’est une sous-classe d’une "temporalité de l’entre-deux". Il y a rupture et désir de rupture entre un avant et un après, un peu plus tard. C’est une sous- classe sémantique de la mise en œuvre, de la construction, de la restructuration, on modifie, on améliore, on s’installe, on crée, on entre dans une autre dimension. On ne passe pas "impunément" d’une profession et de l’expérience qu’on en a, à un "désir d’avenir". Tout cela se construit.

- Enfin la cinquième sous-classe 2-5 correspond à 6% des discours, mais qui semble

importante. La construction dont nous venons de parler précédemment s’appuie ici sur un exemple concret de cours et de séminaires mis en place à Montpellier afin de faire cette transition entre profession et formation DEIS et Master. Cette sous-classe est une illustration – par immersion- de cet espace-temps de l’entre deux entre métier et réalisation de la formation : c’est aussi une promotion (fréq : 9, khi2 : 14).

→La classe 3 de la première analyse qui définit la profession représente identiquement dans cette nouvelle analyse 28% du corpus, elle est redistribuée en 4 sous-classes assez équilibrées.

- La sous-classe 3-1 nous fait entrer dans la description du métier actuel d’éducateur (de quartier (fréq : 34, khi2 : 21), de rue (fréq : 21, khi2 : 17) où on fait de la prévention

111

(préventif : fréq : 24, khi2 : 20). Cette sous-classe recouvre 10% du corpus ce qui est loin d’être négligeable. On bosse (fréq : 18, khi2 : 19), on « ouvre une villa », on « est en en foyer

d’urgence » (fréq : 9, khi2 : 10) : on est sur le versant social, mais il y a aucune précision,

anecdote, analyse du travail qu’on réalise. Nous nous sommes demandé si c’est parce que l’on se parle entre initiés (nous nous sommes présenté à Montpellier comme éducateur spécialisé de formation initiale mais sans donner de précisions). Ou est-ce que c’est tellement routinier qu’on n’a pas besoin d’en parler dans les détails ? Ce qui est étonnant également c’est l’absence de sentiment, de ressenti, d’émotion : est-ce passionnant, pénible ? On ne sait pas. C’est social ! Comme si ce qualificatif se suffisait en lui-même. Cette sous-classe est portée par Adil, Fanny et à un degré moindre par Maryvonne. (On note malgré tout une forte valorisation, qui s’accompagne du plaisir, de ce travail qu’on souhaite quitter).

- La sous-classe 3-2 est une petite classe (6%) comme les deux dernières. Mais sémantiquement

elle est très forte sur le thème association (fréq : 28, khi2 : 15). Cela implique un réseau de relations et une compréhension fine des organisations départementales (fréq : 7, khi2 : 16),

intercommunales (fréq : 8, khi2 : 17) de la commune (fréq : 16, khi2 : 24), des systèmes de

financement, du milieu politique, entre autres. Et là, cela vibre émotionnellement. On s’investit, on passe un diplôme, on fait des contrats, on aide (fréq : 12, khi2 : 16) des mères isolées et alcooliques, des jeunes (fréq : 32, khi2 : 14), on suscite une maison de l’enfance. Il apparaît que cette sous-classe est une « histoire » féminine (Séverine, Sabine). On est au cœur de l’éducation, au sens premier -si l’on s’intéresse à l’étymologie du mot- de « conduire hors de » : tirer de l’isolement, tirer de l’alcoolisme, faire sortir d’une situation difficile…Et s’en réjouir. On est aussi créatif (créer : fréq : 14, khi2 : 15), porteur de projets.

- Cette sous-classe 3-3 concerne aussi 6% des UCE. Non seulement on tire les autres comme on

l’a vu dans la sous-classe 3-2, mais on s’en tire soi-même et cela fait l’objet d’une sous-classe forte autour de la fonction (est-ce une profession ?) de directeur (fréq : 27, khi2 : 22). On comprend aussi que l’accès à un poste de direction présente des aléas de recrutement (recruter : fréq : 13, khi2 : 20) pendant lesquels on se sent un peu seul(e). Cette sous-classe est portée par Henri, Sabine qui sont en poste de direction et à un degré moindre par Coralie, qui souhaite l’être, mais dans le domaine de la formation.

- La dernière sous-classe 3-4 comporte encore une fois 6% des UCE ce qui en fait une petite sous-classe aussi, portée par un autre exemple personnel significatif : Maximin et son pays d’origine, le Gabon. On comprend ici que la formation peut être entreprise sous l’autorité du

Ministère (fréq : 13, khi2 : 21) où l’on occupe actuellement la position de chef de service. Chef de service (fréq : 42, khi2 : 34) est une fonction et pas un métier. La formation pourrait alors être

un moyen de solidifier et améliorer une position sociale plutôt que de rêver et explorer une autre activité grâce à l’obtention d’un diplôme. (Ou comment la formation serait une thérapie "d’ego dominé"…) Nous nous étonnons de ne rien lire au sujet d’un questionnement plus personnel et intime qui probablement effraie, sous le nom de psychothérapie ou psychanalyse, mais qui fait accéder tout autant à la mise en forme d’un traitement individuel de ses problèmes (ou d’une partie) quand on entre en formation.

Ce qui ressort très clairement de cette analyse complémentaire des bassins sémantiques c’est qu’elle révèle de nombreuses récurrences avec l’analyse centrale des récits de vie. Nous allons nous en servir dans une ultime partie de notre travail afin de discerner deux profils "idéaltypés" avant de confirmer nos hypothèses de recherche.

QUATRIÈME

Outline

Documents relatifs