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1-2-2 – Du travail social à l’intervention sociale

Depuis les années 1980, plusieurs facteurs ont contribué à la transformation du paysage institutionnel : la montée de l’exclusion, l’impact de la décentralisation donnant une place prépondérante aux collectivités territoriales dans la définition des politiques sociales, le développement de politiques transversales (politique de la ville, prévention de la délinquance, insertion par l’économique…), le développement d’initiatives bénévoles en direction de publics en difficulté. L’effet conjugué de ces facteurs entraîne plusieurs mouvements concernant les emplois dans le secteur social :

- Une émergence de nouveaux postes de travail qualifiés (chargés de mission, chefs de projet, agents de développement, formateurs d’insertion…) liés à l’apparition de nouveaux dispositifs institutionnels ;

- Un développement d’emplois peu qualifiés, le plus souvent occupés par des jeunes en difficulté d’insertion, afin de développer des actions de médiation auprès de publics diversifiés ;

- Une augmentation de postes d’encadrement, notamment dans les services sociaux départementaux, après la décentralisation, désormais plus occupés par des diplômés de management (venant du droit, des sciences économiques) que par des professionnels provenant des métiers traditionnels du travail social. Une opposition se dessine entre un « social d’intervention » et un « social de gestion ».

1-2-2-1 – Les mutations du travail social

À la fin des années 1990, les chercheurs, afin de caractériser les mutations du travail social, emploient l’expression "intervenants sociaux", plus générale que celle de "travailleurs sociaux" qui désignaient jusqu’à présent les métiers traditionnels du social. Apparaît alors la

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notion de compétence, qui caractérise les premiers, alors que les seconds sont recrutés en fonction de leurs qualifications30.

La logique de compétence est davantage d’ordre individuel dans la mesure où le recrutement, le salaire et la position dans l’organisation dépendent de l’expérience, du parcours et des acquis professionnels de la personne. La logique de qualification, elle, repose sur un statut défini par des conventions collectives et sur l’obtention d’un diplôme d’état.

Le débat compétence/qualification a relancé le débat sur la formation des intervenants/travailleurs sociaux, compte tenu à la fois de nouveaux besoins sociaux et d’une pyramide des âges vieillissante.

Jean-Noël Chopart précise que les lois de décentralisation ont impliqué à la fois un changement des circuits de financement, des modèles d’organisation et des statuts des personnels sociaux. Les conseils généraux se sont vus attribuer la majorité des compétences dans le domaine social, les services ont été réorganisés et de nouvelles règles sont apparues :

- Les délégations de service à des caisses de sécurité sociale et à des œuvres privées ; - Des nouvelles formes de contrat avec les associations du secteur social et médico-social31. Une réorganisation des services et des pratiques professionnelles est engendrée par cette nouvelle conception de l’action sociale. Celle-ci encourage l’apparition incessante de nouveaux dispositifs dans lesquels les travailleurs sociaux s’inscrivent ou gèrent32. « Les dispositifs sociaux n’ont plus pour seul objectif de protéger ou d’indemniser mais veulent, avant toute chose, rendre leurs usagers acteurs de leur propre vie. Les institutions sociales, réorganisées autour de la personne se sont considérablement transformées »33.

Ce "grand chambardement" dépasse les seules institutions sociales et concerne l’ensemble du fait institutionnel, prenant des formes différentes selon le secteur de l’action publique concernée34. Roger Bertaux, Yvon Schleret et Sylvain Bernardi indiquent que nous assistons ici plus à une valorisation de la place et de la fonction occupées au sein des dispositifs (mais aussi des réseaux) plutôt qu’à une compétence spécifique. « La compétence de l’individu est plus appréciée dans sa capacité personnelle à bien s’intégrer à la logique de l’entreprise que dans ses qualifications, ce que Claude Dubar nomme la "logique gestionnaire de la compétence" »35. Ces trois auteurs soulignent cette nouvelle logique : des directions générales conçoivent les dispositifs d’action sociale et l’organisation de l’activité des "intervenants sociaux de terrain". Tout comme dans les

30 Jean-Noël CHOPART (Sous la direction de), Les mutations du travail social. Dynamiques d’un champ

professionnel, Éditions Dunod, Paris, 2000 (voir conclusion Du travail social à l’Intervention sociale,

page 77.

31 Ibid., pages 1 et 2.

32 Jean-Yves DARTIGUENAVE et Jean-François GARNIER, Un savoir de référence pour le travail

social, Éditions Érès, Ramonville Saint-Agne, 2008, page 28.

33 Isabelle ASTIER, Sociologie du social et de l’intervention sociale, Éditions Armand Colin, Paris, 2010,

page 95.

34 Philippe BEZES, Michel LALLEMENT, Dominique LORRAIN, Les nouveaux formats de l’institution,

Sociologie du travail, n°47, 2005, pages 293 à 300.

35 Roger BERTAUX, Yvon SCHLERET et Sylvain BERNARDI, dans Jean-Noël CHOPART (sous la

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entreprises industrielles, un échelon intermédiaire de cadres et d’experts apparaît. Une approche globale considérée auparavant comme un des ressorts de la compétence et de l’autonomie professionnelle du travailleur social disparaît.

Une forme de désappropriation du travail social se produit « au profit de nouvelles compétences qui puisent leur légitimité dans la référence à l’ingénierie sociale et au management des organisations »36. Ceci ouvre la voie à la professionnalisation de nouveaux cadres de l’action sociale. « Les dirigeants du champ social réalisent progressivement une sorte de professionnalisation de leur propre métier de dirigeant, en acquérant des compétences et en revendiquant une légitimité nouvelle par l’appropriation des méthodes et discours à l’œuvre dans les entreprises ordinaires »37.

1-2-2-2 – Les bouleversements de la formation pour l’action sociale

Les professions sociales "historiques" se voient délégitimées parce qu’elles sont de plus en plus inadaptées au nouveau modèle d’action sociale. Elles sont bousculées dans leurs fondements originels. Ces professions sociales sont désormais définies par des référentiels de compétences. Mais « à vouloir identifier une profession par les tâches définies par les acteurs, on tend en effet à clore la profession elle-même »38. Les formations initiales ont en effet été transformées par une réforme touchant l’ensemble des diplômes et marquée par l’apparition des référentiels (de métier, de compétences, de formation) désormais indispensables pour les procédures de certification des acquis de l’expérience (VAE) et pour la formation pratique par la disparition des "formateurs terrain" (modèle du compagnonnage) et l’émergence de "sites qualifiants"39.

Les diplômes que l’on aurait pu penser les plus « assis », dont les formations se sont construites peu à peu, ceux préparant aux fonctions de niveau III qui forment le centre symbolique des métiers du social (AS, CESF, ES et pour partie DEFA) ont été transformés afin d’être adaptés aux contraintes crées par le principe de la Validation des Acquis de l’Expérience (VAE) inscrit dans la loi de modernisation sociale40. C’est certainement l’assimilation de l’action des professionnels du social à une "prestation de service" et l’introduction des référentiels professionnels, à partir desquels sont élaborés référentiels de certification et de formation qui ont contribué à une déstabilisation de la formation professionnelle. Celle-ci se trouve contrainte de mettre en place des procédures relevant davantage du registre managérial, loin de la culture professionnelle41.

Mais les formations initiales ne sont pas les seules concernées. Si l’on consulte les catalogues de formations permanentes pour travailleurs sociaux, on constate des tendances "méthodologistes" aussi.

36 Jean-Yves DARTIGUENAVE et Jean-François GARNIER, op. cit., page 30. 37 Jean-Noël CHOPART (sous la direction de), op. cit., page 218.

38 Jean-Yves DARTIGUENAVE et Jean-François GARNIER, op. cit., page 41. 39 Dominique FABLET, op.cit., page 76.

40 François CHOBEAUX, La formation des professionnels du social, Vie Sociale et Traitements, n°85,

2005/1, page 45.

41 Michel CHAUVIÈRE, Trop de gestion tue le social. Essai sur une discrète chalandisation, Éditions La

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Les années 2010 et 2011 s’inscrivent dans l’histoire de l’action sociale comme importantes. Des contraintes budgétaires beaucoup plus fortes, une coupure entre le social et le médico-social, à travers la création des Agences Régionales de Santé (ARS) - plus précisément, la création des ARS a modifié qualitativement la structuration sur le plan territorial et introduit de nouvelles logiques dans le pilotage des politiques d’action sociale -, la mise en place des appels à projet dépossédant les acteurs sociaux de leurs compétences en matière d’initiative sont les marqueurs les plus importants. Tout cela accroît les tensions auxquelles sont soumis les différents acteurs et conditionne la mise en œuvre du travail social42.

Ne sommes-nous pas entrés dans une logique de rationalisation ? Le principe de non- remplacement d’un fonctionnaire sur deux, quel que soit le secteur concerné, les procédures budgétaires qui s’appuient sur des moyennes ou des formules mathématiques ou des standards, la volonté d’instrumentaliser les acteurs, de les transformer en simples opérateurs de politiques publiques n’en sont-ils pas les faits les plus signifiants43 ?

Michel Chauvière nous indique également que « la contradiction principale, rapportée par de nombreux professionnels de terrain et par des cadres, est finalement la suivante : les pouvoirs publics, notamment territoriaux, fixent toujours plus d’objectifs, techniques, de qualité, développement en même temps que d’obligations et de résultats tangibles qui cumulés, alourdissent considérablement la charge des gens de terrain, à tous les niveaux de responsabilité »44.

Comme nous l’avons questionné plus haut, les professionnels de l’action sociale ne vont-ils pas chercher à consolider une place fragilisée ou modifiée par des logiques de dispositifs ? Quelles marges de manœuvre ont, quant à eux, les cadres de l’action sociale, pour, au-delà d’une contribution à un « management du social », faire preuve d’initiative et de créativité ?

L’une des raisons de la reprise d’étude des intervenants sociaux ne réside-t-elle pas dans une volonté de s’adapter à ce « grand chambardement » de l’action sociale et plus généralement de l’action publique45 ? Le choix de formation du Diplôme d’État d’Ingénierie Sociale n’est-il pas en lien étroit avec une référence de plus en plus marquée à l’ingénierie sociale, à une expertise organisationnelle, à une connaissance approfondie des dispositifs46 ? Plus généralement nous pourrions penser que les enjeux liés à l’évolution de l’intervention sociale influencent les parcours des professionnels de l’action sociale, guident leur choix vers une formation axée sur une ingénierie.

Nous avons vu précédemment que les formations initiales ne sont pas les seules concernées par les nouveaux référentiels basés sur les compétences des individus. La Formation Professionnelle Continue (FPC), cadre de la reprise d’études des professionnels en général donc des intervenants sociaux, l’est également. Il semble que la pluralité des conditions d’exercice de ces derniers renforce leurs intentions de perfectionnement, de remises à jour, d’où un développement de

42 Pierre SAVIGNAT, L’action sociale a-t-elle encore un avenir ?, Éditions Dunod, Paris, 2012, pages

128 et 129.

43 Ibid., page 142.

44 Michel CHAUVIÈRE, L’intelligence sociale en danger, Éditions La Découverte, Paris, 2011, page

149.

45 Isabelle ASTIER, op.cit., page 96.

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celle-ci. Nous avons aussi souligné auparavant que La FPC a rendu les formations diplômantes accessibles à un plus grand nombre de personnes.

Le dispositif national de formation dans l’action sociale est constitué par 313 établissements et 676 sections de formation. Mais l’heure est au regroupement de ces centres. C’est le projet de création des Hautes Écoles Professionnelles en Action Sociale et de Santé (HEPASS). Ces établissements d’enseignement supérieur professionnel ont vocation à former du niveau 5 au niveau 1, de manière reconnue et certifiée, en formation initiale et continue, et à couvrir l’ensemble des départements de formations sociales, encore absentes dans le quart d’entre eux. La première HEPASS devrait voir le jour en 2014 en Bretagne. D’ici là, l’Union Nationale des Associations de Formation et de Recherche en Intervention Sociale (UNAFORIS) va s’atteler à définir le cadre juridique de ces écoles, avec les ministères concernés.

Un autre chantier important consiste en la simplification de l’architecture des formations sociales et à la mise en cohérence de ces formations avec le processus européen de Bologne. De fait, l’UNAFORIS porte une vision transversale des formations sociales, qui suppose le développement de "troncs communs" aux différents cursus et l’abandon de l’approche traditionnelle par métier47.

En attendant de nombreux dispositifs (schéma national puis schémas régionaux des formations du social, augmentation des quotas d’admission en centres de formation, développement de nouvelles formules de formation, de certification et d’accès à l’emploi (apprentissage, VAE…)) sont censés lutter contre le déficit prévisible de professionnels, à défaut de promouvoir leur professionnalité48.

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