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3-4-3-1 – Le regard des enfants

Les filles de Sylvia montrent leur solidarité avec leur mère depuis qu’elle effectue les travaux de la formation en soirée :

« Mes filles cela les amuse et cela les valorise beaucoup. Je vois ma "petite" qui a 15 ans et

demi. Quand il fallait que j’écrive ma RDL (Revue De Littérature) elle était super solidaire (rires). Elle faisait la vaisselle alors que généralement on ne la voit pas trop : « maman tu y es encore ? Tu as bien dormi, cette nuit ? ». Des petits trucs comme cela. Ce sont des gamines qui ont confiance en moi et qui m’ont toujours vu prendre du plaisir malgré des choses très compliquées qu’on a pu traverser. Cela les rassure ».

Une forme de complicité s’est instaurée entre Mylène et sa fille depuis qu’elle a repris des études :

« J’ai dit à ma fille Karina, « on va faire nos devoirs ». Elle, au bout d’une heure elle a fini, et

moi, au bout de trois heures je viens de commencer (rires). « Oh maman, tu n’es pas douée, moi j’ai terminé ».

76 3-4-3-2 – Le regard de la famille

Adil témoigne à la fois de la fierté de sa fratrie vis-à-vis de ses études mais aussi de la rivalité que cela installe entre eux.

« Par contre, les frères et sœurs, ils sont très fiers que j’ai pu valider des diplômes, que je puisse

vivre de ce que j’aime. À des moments, bien sûr, il y a, pas une jalousie, mais des rivalités ; il y a cette question de l’intelligence qui revient. Pourquoi toi tu fais des études, et pourquoi moi je…On en a un peu discuté avec certains. Moi j’ai trouvé ce que j’aimais. Du coup, pour moi c’est facile, je le fais naturellement. Mais finalement, sur les sept, il y en a quand même trois qui sont à leur compte, qui vivent bien, il y en a une qui a ouvert un bar, un autre qui a créé son entreprise dans le bâtiment, une autre qui a ouvert un restaurant, une autre qui a un bar avec son mari et qui a une galerie d’objet d’art, qui vend des tableaux. Il y en a une qui est un peu entre les deux, qui se débrouille, qui bosse à gauche et à droite. Même sans l’école, ils ont réussi à faire des choses, sans diplômes. Sachant qu’il y en a trois qui sont venus en 1976, c’est-à-dire qu’ils ont attaqué l’école à 10, 12 et 14 ans. Et après ils ont arrêté à 16 ans, c’est très peu de temps. Mais ils sont contents pour moi, hyper fiers ».

Le père de Séverine, même s’il s’est montré peu présent lors de sa scolarité initiale, est fier de sa démarche actuelle :

« Et mon père, que je ne vois pas mais que j’ai au téléphone à peu près une ou deux fois par an

est très fier que sa fille réussisse, cadre dirigeante d’une grosse association, et passe un diplôme de niveau 1, quand même ! ».

Concernant Sylvia, ses parents jugent que cela ne peut être que bénéfique de reprendre des études :

« Pour mes parents, c’est dans la droite ligne : « cela rend "capable" intellectuellement… » ». L’entourage familial de Mylène valorise sa démarche et en est fier :

« Chez mes parents il y a de la fierté, chez mon mari aussi. Parce qu’il aime dire volontiers :

« Mylène, elle part à Toulouse » (…) Mon frère ma sœur sont fiers de moi, la belle-famille, ce sont tous des ingénieurs des très hautes écoles, ils trouvent super intéressant que je fasse cela. En formation continue ».

3-4-3-3 – Le regard des amis

La démarche de reprise d’études en DEIS est qualifiée de courageuse par l’entourage immédiat des personnes interviewées, que ce soit les amis, les collègues de travail ou la famille élargie :

« Les amis pensent comme la famille. En fait. Que c’est bien de le faire, parce que forcément

c’est enrichissant personnellement. J’ai des amis qui l’ont fait avant, de repartir en formation. J’ai des amis qui le font maintenant. Aujourd’hui, beaucoup de gens se forment de toute façon. Peu importe les secteurs. Ce n’est pas forcément à l’université, ce sont souvent des formations proposées dans des grosses boîtes, en interne. Ils pensent que c’est courageux parce qu’effectivement, quand on a une vie de famille (rire), avec les contraintes que cela amène…C’est souvent le mot qui ressort, les gens sont assez surpris finalement ; ils me disent : « mais comment fais-tu pour assumer de front une formation avec ton boulot, avec ta vie à côté, enfin ? Comment fais-tu pour t’organiser, pour y arriver ? » Surtout quand je leur dis que la formation dure trois ans. Ce n’est pas un an…» (Yves).

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Pour Séverine aussi.

« La vision qu’en ont mes amis, surtout, c’est que je suis complètement timbrée (rires). Avec le

boulot déjà que j’ai, seulement mon travail sans un truc pareil, je suis bien courageuse et un peu givrée (rires). C’est plutôt cela qui ressort. C’est bien mais c’est sur trois ans et demi. Parce qu’il y en a qui croient que c’est sur un an. Ils me disent aussi : « vivement que tu aies fini ». Eh bien non je n’ai pas fini ».

Les amis de Sylvia expriment leur admiration envers elle, leurs inquiétudes aussi. Il y aurait peut-être une pointe d’envie dans leurs réactions :

« Ils sont fiers de toute façon. Toujours très positif. Beaucoup pensent que c’est très courageux

parce qu’ils savent que je suis éduc’, formatrice vacataire, seule avec mes gamines. Donc que j’en fais peut-être beaucoup. C’est vrai que j’ai beaucoup moins de contacts avec eux. Mais je n’ai pas de reproches. Enfin, si, ma copine anthropologue m’a fait un petit reproche. Mais c’est plutôt positif ».

Pour Coralie, les avis sont controversés, l’entourage fait preuve de scepticisme en se demandant comment elle peut laisser le métier qu’elle a :

« Dans l’entourage, les gens s’interrogent : « Je ne vois pas pourquoi on quitte le métier de

kiné ». Quand je dis que je n’aime plus mon métier, alors là, c’est des yeux ronds comme des billes. « Ah bon ! Comment peut- on ne plus aimer ce métier-là ? » Ce métier a une aura, autour. Les amis aussi sont perplexes, ils se demandent ce que je vais faire là-dedans. Ils pensent que cela ne me correspond pas, que je vais m’ennuyer… En fait la réorientation professionnelle, j’ai quand même l’impression que cela perturbe beaucoup de gens. Autant évoluer dans une même boîte, passer un poste au-dessus, c’est bien. Mais changer d’orientation et changer complètement de métier c’est plus difficile à accepter. Cela ne m’empêche pas du tout d’avancer mais c’est vrai que parfois face à cette incompréhension, j’ai du mal à leur expliquer. Et je me rends compte que par rapport au ras le bol que j’ai de mon métier ils ont du mal à percevoir l’importance que cela a dans ma démarche. Ils ne se rendent pas compte à quel point à l’intérieur, c’est douloureux pour moi de faire ce métier-là. Du coup ils ne peuvent pas comprendre ma réorientation ».

3-4-3-4 – Le regard des collègues de travail

Sylvia met en avant une pointe d’envie, voire de jalousie concernant ses collègues : « Ils sont hyper contents pour moi mais en même temps comme je suis la seule éduc’ à temps

plein sur le groupe, je pense qu’ils m’attendaient un petit peu au tournant, voir si j’allais pouvoir assumer le suivi des jeunes et la fac. Et je trouve que j’ai une image encore plus positive auprès d’eux. C’est-à-dire que quand ils délèguent…Ils peuvent charger la mule. En même temps il y a de la jalousie. L’autre fois, je ne sais plus pourquoi on parlait de l’insertion en réunion et puis du handicap, moi ça m’interroge beaucoup parce que je suis allée en Suède et puis au Québec et on n’a pas du tout le même regard sur le handicap. Cela m’aurait plu qu’on s’interroge tous ensemble parce que j’ai un chef de service qui rentre là-dedans. Mais au bout d’un moment les collègues me disent : « arrête de faire ta DEI machin là », en plaisantant, avec beaucoup de bienveillance. Mais en même temps c’est : « ah on ne te voie plus, hein ! Tu n’es plus jamais là ! ». Je pense que c’est plutôt positif. Mais …C’est chaud, au niveau professionnel. Parce que je mets un point d’honneur à faire mon taf. Même mieux qu’avant. Mais je suis fatiguée. Par le travail ».

Nous retenons de ce récit que la formation transforme à la fois le futur impétrant dans sa posture, dans ses positionnements et modifie le regard des autres projeté sur lui. Ainsi Sylvia suscite de l’envie, voire de la rivalité de la part des collègues de son équipe.

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Chez les collègues de Mylène, c’est plutôt de l’admiration :

« Un peu d’admiration chez les collègues, quand ils me disent : « je n’aurai pas le courage »

c’est quelque chose qui est plus gros que ce qu’ils peuvent concevoir pour eux. Donc ce n’est pas rien (…) Mes collègues me disent : « Tu vas devenir directrice ». Moi je ne l’ai jamais traduit en termes de courage. Est-ce qu’il faut être courageux pour faire cela ? Cela se pose d’abord dans l’envie ».

Plusieurs de ces salariés viennent chercher la reconnaissance de leurs pairs grâce à leurs titres, dans l’espace des positions scolaires souvent projeté dans la temporalité de leur formation continue. Mais ils viennent aussi se renouveler par rapport à une actualité professionnelle subie ou devenant sclérosante. Claude Dubar nous indique que « leur personnalité doit s’interpréter comme une identité sociale continuellement dédoublée parce que vécue comme perpétuellement en instance de transformation. Chaque séquence de formation réussie, chaque découverte culturelle intense, loin de stabiliser une identité professionnelle précise, engendre un désir de formation complémentaire qui réactive le dédoublement antérieur d’autant plus vivement qu’elle s’accompagne d’une activité de travail vécue comme contrainte et régulièrement dévalorisée »176.

Nous allons voir maintenant que pour un certain nombre d’entre eux, ce sont des rencontres qui ont déclenché ensuite la décision de préparer le double diplôme du DEIS et d’un Master.

3-4-4 – L’importance des rencontres dans le parcours professionnel et dans la

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