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Les intervenants sociaux qui ont répondu à cette recherche mettent en avant dans leur choix de cette formation DEIS de vouloir intellectualiser une pratique :

« Après, le DEIS, ce qui me manquait, c’était vraiment l’intellectualisation de la pratique.

Justement au travers de toutes ces évaluations, de la mise en pratique, en action, je trouvais qu’il n’y avait pas assez de réflexion sur tout ce qu’on faisait, et ça me manquait beaucoup. Dès que j’ai pu mettre en place le DEIS et venir là, cela a été quand même une bouffée d’air : intellectualiser un peu plus, analyser ce qui se passe » (Fanny).

Adil éprouve le besoin de conceptualiser autour de ses apprentissages professionnels :

« Ce que je projetais avec le DEIS, c’est que tout ce que j’ai appris sur le terrain, j’allais l’avoir

en apport théorique. C’est le cas, actuellement. Cela me parle. L’épistémologie, je ne connaissais pas du tout. Je me suis régalé. Il y a des choses que je ne connaissais pas, d’autres que je connaissais, que j’avais pratiquées, mais que je n’avais pas conceptualisées ».

Le responsable du diplôme au niveau de l’université de Montpellier nous révèle qu’au niveau des travaux que ces salariés-là réalisent, il y a l’idée de renouveler leurs pratiques. C’est comprendre pour agir.

« Et cela donne des arguments pour contribuer à modifier la structure professionnelle. C’est-à-

dire que le travail qui est fait à l’université est légitimé par elle, cela donne un poids à l’intervention du professionnel. Ce n’est plus simplement un point de vue, c’en est un documenté. Cela produit aussi un effet sur la structure, sur les équipes. Il y a une insufflation de méthodologies. Cela a un tel effet que parfois le salarié est obligé de partir. Cela produit trop de tensions. Cela permet de faire évoluer les structures » (Immersion).

André Lacroix montre combien l’agir professionnel est assujetti à deux grandes tendances dans le rapport à la décision. D’un côté, il y a ceux qui sont empressés de répondre à la demande sociale, en se mettant en phase avec l’action, et les autres, restant en proie à la contemplation et au refus de l’action : « repliés sur leurs terres pour penser, analyser, classer et tenter de fonder une connaissance qui n’en finit plus de nous glisser sous les doigts »215. Cet auteur, nous dit Jean-

213 Christian BAUDELOT et Roger ESTABLET, Avoir trente ans en 1968 et 1998, Éditions du Seuil,

Paris, 2000.

214 Georges FELOUZIS, Un système à plusieurs vitesses, dans Éduquer et former, sous la direction de

Martine FOURNIER, 2011, op. cit., pages 363 et 364.

215 André LACROIX (sous la direction de), Éthique appliquée, éthique engagée. Réflexions sur une

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Christophe Barbant, propose de construire une posture éthique permettant d’agir, tout en affirmant la recherche de distance nécessaire pour construire une capacité critique sur la production du social216. C’est ce que souhaite la majeure partie des étudiants-salariés que nous

avons rencontrés. Ceci afin de faire progresser l’ensemble de leurs actions professionnelles et plus généralement l’intervention sociale.

Enfin nombreux sont ceux qui mettent en avant une ouverture vers une forme d’expertise des pratiques sociales mais aussi des processus d’évaluation.

3-7-5 – Une ouverture sur l’expertise, le conseil, l’évaluation

Les étudiants en DEIS veulent s’ouvrir sur l’expertise, le conseil, la coordination de missions, l’évaluation. Concernant la motivation des participants, ce que nous livre le responsable du Master AES couplé avec le DEIS c’est que face à une situation de plus en plus tendue sur les terrains, ceux-ci viennent chercher des cadres d’analyse leur permettant de mettre de la distance, de problématiser les questions sociales au sens large.

« Il y a aussi des stratégies de promotion, se sortir de la confrontation directe avec les usagers

pour accéder à des postes d’encadrement. En dehors du CAFDES, plutôt sur des postes de développement, d’innovation que sur les postes de gestion » (Immersion).

Lorsque j’ai rencontré Sylvia elle se débattait pour boucler le financement de sa formation et elle pensait déjà à ce qu’elle pouvait apporter à son organisation en termes de démarche d’évaluation qualitative :

« Mais moi ce que je croyais que la responsable de formation allait faire, elle me l’avait dit,

mais elle ne l’a pas fait, c’est qu’elle allait défendre le DEIS auprès du DRH (Directeur des

Ressources Humaines) de l’association. Parce que je peux avoir un profil qui peut être

intéressant pour la mise en place de l’évaluation ».

Pour Mylène même si le présent de la formation est essentiel :

« Les devoirs, cela pèse. Mais ce sont des vrais bulles d’oxygène. Il y avait le chemin qui

m’intéressait beaucoup. Après, je veux faire de l’expertise, de l’évaluation, pas des gens, mais des politiques ».

Pour Yves, la reprise d’études,

« C’est un moyen de renforcer, de finir ma formation, parce que cela me passionne, parce que

cela m’intéresse réellement, c’est pour aller plus loin. C’est un moyen aussi d’avoir un niveau qui me permettra de postuler. De me positionner sur des postes autres que directeur de centre de loisir, directeur de centre social. De passer sur du développement, où de travailler dans d’autres secteurs (…) l’expertise, le conseil. Ce qui moi, m’intéressait vraiment dans mon secteur d’activité ».

Fanny est intéressée par l’aspect "développeur" que pourrait lui ouvrir le DEIS :

« Le diplôme correspond au fait de pouvoir, pourquoi pas prendre une direction de service, si

j’en ai envie. Mais aussi pourquoi pas devenir consultant et puis ce côté développeur, recherche, sociologie…C’est vraiment un truc qui m’a interpellé, et c’est vrai que depuis le début de la formation je me dis que j’ai vraiment fait le bon choix ».

Henri ne resterait directeur que par nécessité mais se verrait plutôt superviser des équipes d’intervenants sociaux :

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« Avec le DEIS je peux trouver un poste de chargé de mission dans une grosse association

comme la mienne où il y a mille salariés. Mais il n’y en a pas beaucoup. Alors pourquoi ne pas faire du consulting extérieur ou de la formation ? Aujourd’hui je ne suis arrêté sur rien. Si je dois, par nécessité, être dans une gestion de boîte, eh bien je le ferai, parce que je mettrai en avant des compétences que j’ai pu développer ailleurs. Mais ce qui m’intéresserait plus c’est intervenir auprès d’équipes dans une réflexion à mener, détaché de ces contingences matérielles nécessaires mais très secondaires pour moi ».

Lors de notre immersion nous avons rencontré une étudiante qui envisage de se diriger après le DEIS sur des fonctions de coordination :

« J’interroge, avant que le cours ne démarre, ma voisine qui me dit avoir fait un DEUG

d’histoire, une licence sciences de l’éducation, et après avoir tenté l’IUFM, obtenu le Master 2 AES. C’est donc elle dont m’avait parlé le responsable, qui ne vient que pour la partie DEIS, ce qui explique que je ne la vois que pour la première fois. Elle me glisse qu’après cela, elle ne sait pas trop ce qu’elle veut faire après, mais qu’un poste de coordination de missions la tenterait. Elle intervient pour une association sur une ligne de train où elle fait de la médiation envers les jeunes. Cette association fait de la prévention en partenariat avec la SNCF notamment, sinon elle œuvre essentiellement dans la prévention spécialisée. Ma voisine intervient dans ce cadre-là deux jours par semaine » (extrait du compte rendu de l’immersion).

Vincent de Gauléjac, Michel Bonetti et Jean Fraisse nous avaient confirmé dès la fin des années quatre-vingt que « ce sont les institutions en situation d’échec dans la gestion des problèmes sociaux qui commanditent l’intervention des "mercenaires du développement social", souvent avec le soutien de l’état. Il s’agit donc d’une position contradictoire et ambiguë qui exige une grande capacité stratégique et place ces intervenants en position de médiateurs sociaux. Ceci leur permet, en prenant appui sur le problème ou les événements qui légitiment leur présence, d’interpeller leur propre commanditaire en exploitant la situation critique dans laquelle ils se trouvent pour l’amener à négocier et à s’engager dans un processus de changement »217. Les aspirations des étudiants rencontrés en DEIS et Master sont du même ordre.

Nous avons vu que les raisons profondes d’avoir emprunté la voie du DEIS sont multiples mais elles se rejoignent toutes dans le fait qu’elles sont affirmées, réfléchies et mûries progressivement. C’est un choix repéré et qui se démarque du CAFDES et de ses fonctions gestionnaires. On est là parce que ce diplôme correspond à un parcours singulier, à un engagement profond, à une volonté d’intellectualiser sa pratique, de la concrétiser par un double diplôme, l’un représentant une ingénierie, l’autre axé sur la recherche universitaire. Enfin on veut se diriger vers une expertise qui est au carrefour d’une connaissance approfondie des pratiques sociales et de l’accompagnement des ressources humaines.

Nous allons à présent, à ce stade de notre travail, nous intéresser de plus près au langage tenu dans les entretiens afin de compléter notre analyse et de faciliter l’émergence de récurrences et de liens avec nos hypothèses de recherche. Nous allons inscrire cette approche sémantique en complément de notre analyse centrale.

217 Vincent DE GAULÉJAC, Michel BONETTI et Jean FRAISSE, L’ingénierie sociale, Éditions

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3-8 – UN COMPLÉMENT D’ANALYSE SÉMANTIQUE AVEC

ALCESTE

3-8-1 – Présentation

En retranscrivant les entretiens, nous nous sommes aperçu que des mots revenaient souvent dans les discours. Cette récurrence nous a interpellé et après plusieurs lectures, ce sont également les occurrences dégagées dans notre corpus en tant qu’unité linguistique qui ont attiré notre attention. Nos recherches théoriques nous ont ainsi amené vers une compréhension du sens de ces unités linguistiques et de leurs combinaisons. Didier Demazière et Claude Dubar, entre autres, nous ont conforté dans le fait que « restituer les entretiens retranscrits ne suffit pas pour reconstruire les "univers de croyances" qui s’expriment dans les entretiens en même temps qu’ils se "construisent" dans l’interaction avec le chercheur. Un détour sémantique est nécessaire pour analyser les structures de signification du discours. Comprendre le sens de ce qui est dit, ce n’est pas seulement être attentif, écouter et "faire siennes" les paroles entendues, c’est aussi analyser les mécanismes de production du sens, comparer des paroles différentes, mettre à nu les oppositions et corrélations les plus structurantes (c’est une posture "analytique" justifiée) »218. Nous nous sommes donc acheminé vers « une élaboration théorique du monde social (une sociologie) qui tienne compte de la dimension langagière des processus sociaux »219.

Nous avons voulu tenir compte de la construction langagière de la réalité des personnes avec lesquelles nous nous sommes entretenu. Un de nos objectifs était de croiser ensuite les analyses obtenues avec celles réalisées lors de nos découpages thématiques. Nous y reviendrons par la suite. Même si comme nous le dit Christian Roy, il n’est pas indispensable d’être sociologue pour se questionner sur ce qu’on entend par la "réalité" ; en effet bien des individus se posent la question de temps en temps, sans qu’il soit besoin de raisons professionnelles, mais « en restant dans une démarche sociologique, on peut espérer avoir quelques éléments de réponses de diverses manières : par des observations de ce que "les gens" font et/ou disent qu’ils font, par des entretiens, par des enquêtes suivies, … On s’aperçoit alors – si on ne savait pas déjà ce que notait William Isaac Thomas (en 1923)- que « quand les hommes considèrent certaines situations comme réelles, elles sont réelles dans leurs conséquences » »220.

Nous nous sommes donc aidé du logiciel ALCESTE pour entreprendre l’ensemble des opérations pouvant conduire à une compréhension la plus affinée possible d’une réalité aux multiples facettes à la fois des personnes entretenues mais également de notre immersion réalisée à Montpellier. ALCESTE est un logiciel de données et de statistique textuelle conçu à l'origine par Max Reinert du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) en France dans le laboratoire de Jean-Paul Benzécri, statisticien. Celui-ci formule ainsi son orientation de recherche : « Le texte à étudier ne doit pas être considéré comme un objet à décrire, mais comme un discours possible. Et si l’objet d’une analyse de discours se cherche d’abord à travers un

218Didier DEMAZIÈRE et Claude DUBAR, op. cit., page 7.

219 Pierre ACHARD, Fondements de sémantique discursive, Rapport Slade (Sociologie du Langage,

Analyse de Discours, Énonciation), présenté au CNRS pour la constitution d’un laboratoire, 1996.

220 Christian ROY, Université de Toulouse-Mirail, CIRUS/CNRS, La construction langagière de la

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questionnement, celui-là prend appui sur une lecture attentive des marques du discours qui peuvent éventuellement être répertoriées et présentées dans leur distributions différenciées sur des parties du texte analysé »221.

En sciences humaines, Monique Sassier précise qu’ « à l’origine d’une constitution de corpus, il y a un désir d’analyse. Un corpus ne préexiste pas à sa constitution et est sous la dépendance d’un point de vue d’analyse (ce qui ne signifie pas sous la dépendance d’hypothèses de recherche prédéfinies). Le désir nécessite une élaboration pour être transformé en démarche scientifique. Cette élaboration passe par un questionnement sur l’objet (voire l’objectif) de la recherche »222. Didier Demazière et Claude Dubar explicitent ce qui se produit lors de l’entretien de recherche : dans celui-ci, « ce sont les événements sociocognitifs (scolaires, professionnels, familiaux,…) qui, sollicités par le chercheur, servent de matière première à un autre travail qui est supporté par le désir du chercheur de « comprendre » et la collaboration d’un sujet élaborant ainsi un autre savoir sur lui-même (sa face objectivée, celle du Moi) »223. Ce désir permet de transformer peu à peu le texte étudié en son propre discours.

Il s’agit au moyen du logiciel ALCESTE224 non pas de décrire un objet représenté par le texte du discours, mais d’analyser les traces de l’activité discursive qui le fonde en tant qu’elles se stabilisent. Le choix retenu pour cette méthode réside dans l’étude statistique des cooccurrences des mots pleins dans un texte. Par cooccurrence, Max REINERT entend celle-là même qui est la marque d’un contenu immédiat : une affirmation des usages, des habitus, des habitudes de penser plus individuelles, des styles notamment225. On tente de dégager des points de vue et on peut faire l’hypothèse que « certains de ces espaces de points de vue sont certes en théorie et en pratique infiniment variables, sont sociologiquement relativement stables, c’est-à-dire qu’il y a un certain nombre de locuteurs qui s’investissent de manière identique dans ces lieux de points de vue »226.

L’usage d’ALCESTE a été diffusé dans le domaine des sciences humaines et sociales notamment à partir des travaux de psychologie sociale dès les années 1990 au sein du Laboratoire de psychologie sociale de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), en sciences de gestion, en marketing, en sciences politiques.

Ce logiciel partitionne un corpus en UCE227 d’une longueur définie et par classification hiérarchique descendante détermine des ensembles d’énoncés, et les mots pleins spécifiques de ces ensembles. ALCESTE, à partir d’un corpus, effectue une première analyse détaillée de son

221 Max REINERT, Postures énonciatives et mondes lexicaux stabilisés en analyse statistique du

discours, Langage et société, n°121-122, 2007/3, page 190.

222 Monique SASSIER, Lettre du printemps, n°9, juin 2002, cité par Max Reinert, op. cit., même page. 223 Didier DEMAZIÈRE et Claude DUBAR, op. cit., page 37.

224 ALCESTE est maintenant la propriété de la société Image qui continue de le développer et de le

commercialiser au niveau international. Il s’est perfectionné au fil des ans et des observations issues des applications multiples réalisées depuis 1986, date de la création de la société Image. Celle-ci a été créé en 1986 à l'initiative d'une équipe de chercheurs, elle est dirigée actuellement par le Dr Choeb ZAFAR, l'un des fondateurs.

225 Max REINERT, op. cit., page 192.

226 François LEIMDORFER, La contribution de la lexicométrie (Alceste) à une sociologie des points de

vue, Bulletin de méthodologie sociologique (BMS), n°104, 2009, page 1.

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vocabulaire, et constitue le dictionnaire des mots ainsi que de leur racine, avec leur fréquence. Ensuite, par fractionnements successifs, il découpe le texte en segments homogènes contenant un nombre suffisant de mots, et procède alors à une classification de ces segments en repérant les oppositions les plus fortes. Cette méthode permet d’extraire des classes de sens, constituées par les mots et les phrases les plus significatifs, les classes obtenues représentent les idées et les thèmes dominants du corpus. L’ensemble des résultats triés selon leur pertinence, accompagnés de nombreuses représentations graphiques et de différents rapports d’analyse, permet à l’utilisateur une interprétation. Il traite tout type de texte, dans différentes langues, et trouve des applications dans de multiples domaines.

Décrire, classer, synthétiser automatiquement un texte, tel est l’objectif principal du logiciel ALCESTE. La classification utilisée est une classification descendante hiérarchique originale, qui est une des spécificités du logiciel.

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