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3-3-3 – Des intervenants sociaux qui s’inscrivent dans des projets innovants

Un élément récurrent est l’inscription des intervenants sociaux préparant le DEIS dans des projets innovants, que ce soit des créations de services ou de structures ou du développement de projets. Que ce soit déjà réalisé ou qu’ils aient pour intention de le faire dans l’avenir.

Avec Jean-Christophe Barbant, nous sommes amené à penser que "l’expert" du champ de l’intervention sociale a besoin de modèles de référence pour engager son action. « Sans ceux-ci, il cherche à produire des micros cohérences dans des situations complexes sans pouvoir toucher aux macrostructures qui gouvernent les politiques sociales. Il ne s’agit pas d’innover pour changer la société mais au contraire de pouvoir participer à la réhabilitation du "pouvoir d’agir" des populations (l’empowerment"). De la même manière que l’innovation technologique doit être maitrisée, l’innovation sociale doit servir à accompagner les populations pour qu’elles élaborent une nouvelle image de la réalité de la société. Sans cette image, les pratiques de développement et d’innovation semblent être condamnées à ne devenir qu’une somme de

160 Anthony GIDDENS, Les conséquences de la modernité, Éditions Fayard, Paris, 2007, page 34.

161 Jean-Christophe BARBANT, Ingénierie dans le champ social, quels modèles d’expertise ?, op. cit.,

64

pratiques visant à adapter les conduites sociales de populations fragilisées afin d’obtenir une forme pacifiée de dialogue social »162. Ces professionnels innovent en créant par exemple de

nouveaux services répondant à un besoin identifié dans les champs d’action dans lesquels ils interviennent.

3-3-3-1 – Des créations de services

Adil témoigne de son expérience de montage de services en Guyane après avoir commencé là-bas comme moniteur éducateur dans un foyer :

« J’ai rencontré un éducateur technique PJJ (Protection Judiciaire de la Jeunesse) qui avait

monté une association et qui voulait développer la prévention spécialisée, il cherchait un éducateur. Les financements n’étaient pas trop sûrs, je me suis lancé avec lui sur Kourou. Et pendant trois ans j’ai été éducateur de rue en démarrant tout seul. Puis j’ai pris un emploi jeune avec moi. On a fini à 25 employés. Au bout de trois ans. Il y a un club de prévention qui s’est monté avec 10 éducateurs de rue. Il y a le logement d’urgence qui s’est monté avec 5 appartements. J’avais mis en place aussi des chantiers éducatifs avec un éducateur technique et un aide éducateur technique à l’année. Et puis une association intermédiaire. Et ce qu’on appelait l’ASI (Appui Social Individualisé) ».

Il n’hésite pas à repartir en Guyane remonter la prévention spécialisée des années plus tard : « J’ai une collègue en Guyane, je travaillais avec un Centre de Soins Spécifiques pour

Toxicomanes (CSST), une éducatrice qui était directrice. On avait ouvert une villa comme local au club de prévention et on faisait douche et petit déjeuner pour les "crackés", parce qu’on les retrouvait dans la rue au quartier. J’avais bossé avec le CSST pour qu’il mette un éducateur de rue rien que pour eux. Et là elle m’appelle et me dit : « écoute, je ne sais pas ce que tu fais, ce que tu es devenu, il y a le conseil général qui a de l’argent et qui voudrait remettre en place la prévention spécialisée sur Kourou. Est-ce que cela t’intéresse ? » C’était un peu mon petit bébé entre guillemets, je me suis dit allez. Entretemps depuis 2005 jusqu’il y a deux ans, 2011, il n’y avait pas eu de prévention et rien pour les jeunes. On est reparti en Guyane, pour terminer, asseoir la prévention spécialisée ».

Plus tard, Adil souhaite travailler à nouveau sur un projet de création. Sabine développe plusieurs projets au cours de son parcours :

« J’ai développé un projet pour les adolescents pour qui il fallait vraiment trouver une structure.

Je l’ai soumis à la directrice qui l’a validé. Et j’ai monté celle-ci à Rambouillet dans une maison qu’on avait trouvée en location. Et cela a très bien tourné ». Plus tard : « On est parti en Haute- Savoie, et j’ai été recrutée par la Sauvegarde de l’Enfance et de l’Adolescence de Chambéry qui avait un projet de monter une structure en Haute-Savoie. Un CPI, les Centres de Placement Immédiat étaient notamment aussi les alternatives à l’incarcération, on disait la dernière chance. Ce CPI, on l’a monté avec un collègue tous les deux, en 2000, à travailler dans les cafés, parce qu’on n’avait pas de bureau, on avait rien. Petit à petit on a recruté ensemble le personnel, j’ai beaucoup appris sur ces jeunes dont les institutions spécialisées disent qu’ils relèvent de la psychiatrie et celle-ci qui dit que cela relève de l’éducatif, ces jeunes qui sont à la frange. On a monté un dispositif où on vraiment fait du « tricotage sur les œufs », c’est-à-dire en fonction de la problématique du jeune, on partait de là où il en était. Si c’était dans la rue, on suivait à partir de la rue. Vraiment des choses très osées, on se faisait peur quelquefois. Mais c’était entendu avec les magistrats, avec la PJJ. J’y suis restée 6 ans. Ça tournait du feu de dieu, on était tellement victimes de notre succès qu’on arrivait même plus à prendre les demandes qui

162 Jean-Christophe BARBANT, Sociologie de l’expertise de l’intervention sociale. Modèles et éthiques

65 nous étaient faites. On a déployé, on a commencé à 20, on a fini à 65 accueillants. Et après on a fait de l’accompagnement un peu particulier, on a été jusqu’à 130 jeunes accueillis ».

Chacun de ces projets répond à des besoins repérés et importants, très souvent non pris en compte par les institutions, à des demandes émanant d’instances publiques. Certains autres "déisien-ne-s" souhaiteraient engager des projets ou contribuer à créer de nouveaux postes pour les mêmes raisons.

3-3-3-2 – Des créations de postes ou de structures innovantes

Certains d’entre eux ont dans l’idée de créer leurs propres postes de conseillers ou d’experts. Maryvonne veut essayer de créer un poste d’intermédiaire, avant tout pour faire progresser des situations difficiles qu’elle "expertise" sur le terrain :

« Je n’ai pas d’objectif professionnel bien déterminé. Mais vraiment ce qui me ferait plaisir,

c’est être un intermédiaire, à un moment donné pour faire passer des messages entre peut-être les élus, les politiques et puis, donc, tout ce qui est dans la marge. Mais sur la problématique du logement. Moi je me vois bien, faire mettre en œuvre, ou avoir une action, pouvoir expliquer et faire modifier des lois. Cela me plairait. Et j’essayerai ».

D’autres veulent créer leurs structures en réponse à un besoin repéré sur le terrain. Fanny souhaite ouvrir un établissement alternatif pour adolescents :

« J’ai dans l’idée de monter un projet. On a un terrain, de trois hectares et demi…Ce serait une

base pour remobiliser des jeunes, un lieu pour retrouver du sens à leur vie, qu’ils aient envie à travers le travail à la terre, le travail de ce que j’aime. Après, je me suis dit, on va peut-être l’intituler « école sociale et solidaire ». Avec un milieu alternatif, justement, alors oui, peut-être que cela a un impact, ce que j’ai vécu, eh bien que peut-être en apportant ce lieu alternatif, pour moi, c’est aussi prendre en compte ces jeunes qui ne se retrouvent pas dans le système d’évaluation de l’école, et leur permettre de venir dans un autre moyen d’évaluation. Parce qu’on en rencontre beaucoup de ces jeunes quand même par le biais de mon travail d’éducatrice de rue. Donc je me dis, peut-être ouvrir cet espace-là, cela permettra à certains de s’y retrouver ».

Les intervenants sociaux reprenant des études en DEIS cherchent à expérimenter et à trouver des réponses à ce qu’ils considèrent comme des manques constatés dans leur secteur d’intervention. Alain PENVEN nous précise que l’expérimentation sociale apparaît ainsi comme une nouvelle voie pour tester les politiques sociales163. Marjorie JOUEN ajoute que « dans le domaine social, l’expérimentation se situe clairement dans le champ de l’innovation produite par des acteurs de terrain en vue de renouveler la politique sociale, alors que cet enjeu redevient pertinent face aux tendances aggravées d’exclusion sociale et à l’apparition de nouveaux besoins non susceptibles d’être satisfaits par le marché. Elle apparaît comme une démarche de rationalisation des décisions publiques »164. Le but de l’acteur comme l’énonce Serge Moscovici n’est pas de rétablir un quelconque équilibre, c’est bien l’innovation qui doit être tenue pour le phénomène fondamental165.

163 Alain PENVEN, L’ingénierie sociale, expertise collective et transformation sociale, Éditions Érès,

Ramonville-Saint Agne, 2013, page 36.

164 Marjorie JOUEN, Les expérimentations sociales en Europe, Vers une palette plus complète et efficace

de l’action communautaire en faveur de l’innovation sociale, Paris, Notre Europe : www.notre-europe.eu.

165 Serge MOSCOVICI, Réflexions et recherches sur le changement social, Psychologie et Éducation,

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Les intervenants sociaux de retour en formation s’inscrivent majoritairement dans cette optique d’innovation, celle-ci en lien étroit avec des préoccupations éthiques.

3-3-4 – Des personnes qui ont construit une éthique profonde de leur

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