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4-1 – DEUX PROFILS IDÉALTYPÉS

Deux catégories principales se dégagent de la recherche :

Une catégorie de personnes qui veulent plutôt diriger, mais diriger autrement, en privilégiant

la créativité et la construction d’une expertise collective (3 en créant leur structure, 4 en encadrant des équipes). Ce profil est plutôt à dominante masculine. Les hommes, s’ils veulent encadrer, c’est en ayant l’ambition de le faire autrement, pas obligatoirement en visant un poste de directeur, mais en impulsant dans leurs équipes des dynamiques réflexives et inventives.

Une catégorie de personnes qui veulent plutôt s’inscrire dans la transmission d’expertise (1

dans la formation, 4 en s’installant dans une position de consultant auprès des équipes de travail). À noter la présence ici des deux enquêtés les plus anciens (54 ans), ceux-là même qui ont connu un parcours "acquisitif". Ce profil est nettement à dominante féminine. Cette observation se renforce par notre analyse complémentaire ALCESTE d’où il ressort que les femmes se situent au cœur de l’éducation, que leur métier d’intervenante sociale apporte une reconnaissance et une valorisation mais qu’elles veulent en transmettre les "finesses" tout en portant des projets innovants.

Cependant, il faut relativiser ce type de conclusions -et ceci même si nous les retrouvons aussi en nous replongeant dans la phase exploratoire- par le fait que nous sommes ici en présence d’un échantillon d’une douzaine de narrateurs. Ce constat est valable pour notre échantillon mais n’autorise pas la généralisation. Nous en reparlerons dans les limites de notre étude, après avoir reconsidéré nos hypothèses.

Ce que ces personnes ont en commun c’est qu’elles veulent toutes un changement de leur situation professionnelle actuelle. Tous souhaitent voir dans cette évolution leurs responsabilités professionnelles s’accroître mais la majorité dans des postes qui privilégient la créativité (l’ensemble des éducatrices et des éducateurs insiste particulièrement sur ce point).

Il est à souligner une fois encore que seule une narratrice se démarque en voulant briguer concrètement un poste de direction (le fait qu’elle provienne du secteur libéral où elle n’avait pas d’équipe à encadrer et qu’elle se trouve être nettement la plus jeune du panel proposé -les autres ayant eu pour la plupart dans leur long parcours ce type de responsabilité- ne joue-t-il pas dans la "préhension" de son propre parcours ?)

Même si actuellement le diplôme du DEIS ne procure que peu de débouchés dans des postes d’ingénierie qui seraient à défendre et inventer dans les organisations, cela n’empêche pas que la majorité des futurs impétrants veuille s’inscrire avant tout dans de l’innovation sociale.

Afin de poursuivre notre travail, nous proposons à présent de croiser notre analyse avec nos hypothèses. Ce n’est qu’à cette condition que nos hypothèses pourront devenir heuristiques. L’analyse de contenu permet d’appréhender, de stabiliser, de vérifier et de confirmer éventuellement les hypothèses232.

232 François SICOT, Analyse de contenus, Intervention DEIS, mercredi 7 décembre 2011, s’appuyant sur

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4-2 – LA VERIFICATION DES HYPOTHÈSES

Cette étape de notre analyse doit nous conduire à vérifier la pertinence de nos hypothèses centrale et opérationnelle que nous rappellerons dans ce chapitre.

Ce qui ressort très clairement de commun de notre analyse centrale des parcours de vie (majorée de celle des bassins sémantiques) nous engage ici à valider notre hypothèse générale dans la mesure où elle fait ressortir que :

Les intervenants sociaux s’engagent dans une reprise d’études dans un double diplôme (Diplôme d’État d’Ingénierie Sociale et Master) afin d’inscrire leur parcours dans un changement de position sociale et dans une évolution de l’ensemble de leurs champs d’action et d’investissement.

Que cette (re)prise d’études soit vécue comme une rupture qui favorise ensuite un changement ou qu’elle soit inscrite en tant que transition, dans une continuité qui met en avant la progressivité générale d’un parcours singulier. Celle-ci autorise une formation continuée qui ouvre sur un élargissement vers l’ingénierie sociale.

Cette dernière valorise un champ de connaissance théorique qui s’appuie sur les sciences humaines. Elle valorise aussi l’expérience, donc les connaissances liées à la pratique. L’ingénierie sociale mobilise un ensemble de connaissances empiriques et fondamentales, d’approches, et valorise des démarches interdisciplinaires.

L’activité d’ingénierie sociale ne peut se réduire à des tâches d’exécution, à des techniques, à des préoccupations de rentabilité et de rationalisation des coûts. Les nouvelles orientations des politiques publiques visent certes une normalisation, une régulation et un contrôle des populations mais attend aussi de la créativité dans les modes d’action233.

Les personnes engagées dans cette reprise d’études témoignent d’un engagement social et politique doublé de cette volonté de créativité, bien au-delà d’une volonté d’acquisitions techniques. Leur démarche de formation continuée vient renforcer cela et contribuer à leur transformation. Et surtout la formation DEIS leur « donne des clés pour tenir les deux bouts du changement : la prospective nécessaire à la réponse aux commandes institutionnelles et la protection de l’éthique de l’intervention sociale »234.

Ceci permet à ces professionnels de se positionner également parmi les évaluateurs, parmi les acteurs d’une co-construction des outils de l’évaluation. Ils ne sont plus uniquement "sujet" ou "objet" des évaluations et plus généralement des changements opérés dans les organisations. Nous sommes aussi amené à entériner les hypothèses qui découlent de l’hypothèse centrale.

233 Laetitia NAUD, Le Diplôme d’Etat d’Ingénierie Sociale : La construction d’un rôle professionnel à

l’épreuve de la réalité, Mémoire DEIS, Université Paris Ouest Nanterre La Défense, 2013, pages 119 et

120.

234 Corinne SARRAZIN dans Les ingénieurs sociaux en décalage avec les impératifs gestionnaires,

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Nous validons notre première hypothèse opérationnelle : l’inscription à une reprise

d’études des intervenants sociaux dans un double cursus Diplôme d’État d’Ingénierie Sociale et Master s’origine dans un rapport au savoir construit dans un parcours singulier ;

elle se confirme donc.

Notre recherche montre que les personnes s’inscrivent dans des rapports aux savoirs construits dans une singularité de parcours qui est une marge, une échappatoire ou un affranchissement. Par rapport à une histoire sociale et familiale, une situation professionnelle et/ou des contextes institutionnels. L’analyse ALCESTE fait ressortir une émancipation de la famille (tout en restant très lié avec elle, tout en la reconnaissant), la personne est "en capacité" de construire et de se tourner vers l’avenir.

La formation continue permet de réfléchir, de se questionner, de s’inscrire dans un processus de découvertes cognitives mais aussi de s’installer dans des perspectives de compréhension politique. Le parcours de formation, et plus précisément la préparation du Diplôme d’État d’Ingénierie Sociale, est à la fois une rupture, un cheminement et une transition. Cette rupture permet de continuer de s’inscrire dans la création (de nouvelles structures, de nouveaux projets), dans l’innovation.

Ce cheminement permet de changer d’orientation, d’obtenir une promotion, de changer plus globalement de position sociale. Il donne l’occasion de vivre l’université et de confirmer l’appétence au savoir déjà présente, de concrétiser une forte envie d’études universitaires ou d’y revenir encore. Chaque acteur inscrit son cheminement singulièrement. L’analyse sémantique ALCESTE met en avant une suite de passages professionnels mettant à profit des "contextes d’opportunité". Mais les personnes "bâtissent" un parcours.

Nous retrouvons le tronc commun de ces parcours singuliers dans cette analyse sémantique adjacente. Éduquer – Former – Cheminer – Réussir – Permettre – Prévenir – Être fier-e – Être Reconnu-e – Faire plaisir en sont les éléments significatifs.

Nous confirmons donc également notre deuxième hypothèse opérationnelle formulée ainsi : le retour en formation des intervenants sociaux est également fortement influencé par

leur réseau social et a pour objectif, grâce au processus d’interaction que cette formation génère, de transformer leur statut social.

Nous la validons plus largement. Les influences sont de deux ordres : le réseau social individuel (la famille, le conjoint, les amis et les collègues de travail) et un nouveau réseau social constitué qui est un réseau social et universitaire. Ce dernier est constitué au cours de la formation. Nous pouvons ici citer en exemple une association créée au sein de la première promotion du DEIS de Toulouse235 par des anciens diplômés. Il s’agit donc de réseaux sociaux qui donnent l’occasion aux personnes, d’évoluer, de progresser socialement.

Concernant la famille, celle-ci a généralement poussé à réussir. Elle a entouré, soutenu, fait pression ou orienté vers le travail si les conditions ne permettaient pas de poursuivre les études.

235 L’association IDEIS a été créée en 2009 afin de permettre entre autres à un réseau d’acteurs de

l’intervention sociale partageant les mêmes valeurs, de s’adapter aux changements organisationnels et législatifs auxquels ils doivent faire face (voir Actualités Sociales Hebdomadaires, n°2835, 29 novembre 2013, op.cit., page 27).

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Certains, certaines sont arrivés au bout d’une scolarité conduisant au bac en souffrant, en connaissant des redoublements.

La démarche actuelle de faire des études supérieures tout en ayant un travail dans le domaine du social engendre une fierté de la part des parents (la "fac" est idéalisée comme le souligne l’analyse sémantique). Le conjoint aussi est fier de cette tentative. Ce dernier est souvent proche du profil du narrateur. Il soutient, encourage sa démarche. Il est souvent lui-même dans la même approche de faire des études tout en travaillant. Concernant les amis ou les collègues de travail, cette démarche suscite également de la fierté, de la reconnaissance et en même temps une certaine envie, une rivalité, voire une jalousie.

Nous ne validons que partiellement cette troisième hypothèse opérationnelle qui défend que l’engagement en formation a également un rapport étroit avec une injonction des

organisations dans un but d’une consolidation d’une position professionnelle, d’une adaptation à des changements, d’une réponse à une menace de perte d’emploi.

Pour certains, hommes et femmes, il s’agit grâce à cette reprise d’études en formation continue, de consolider leur position professionnelle, d’assurer une "sécurité…sociale". On se pose la question d’encadrer (pour ceux qui ne le font pas encore) mais ce n’est pas seulement le contexte qui incite à cela. Comme le fait aussi remonter l’analyse lexicale ALCESTE on veut solidifier, améliorer une position sociale et professionnelle. Dans un contexte organisationnel certes de plus en plus mouvant, de plus en plus aléatoire.

Mais pour d’autres, c’est beaucoup plus : un "dépassement", une (re)structuration, une (re)composition, une (re)connaissance, une (re)cherche, une (re)prise en mains, en idées et en connaissances. Ce sont les termes forts qui proviennent de cette analyse adjacente. Les parcours professionnels se sont construits autour de suites d’opportunités ou même par hasard. On travaille dans le "social", on veut créer, innover, porter des projets. On est au cœur de l’Éducation et de la Formation (surtout les femmes de l’échantillon choisi). Mais on veut aussi Expertiser et Diriger (pour ce dernier vocable plutôt les hommes de l’échantillon choisi).

Pour autant les intervenants sociaux se définissent en praticiens réflexifs, ne souhaitent pas uniquement consolider leur situation professionnelle mais veulent contribuer fortement à faire évoluer les organisations sociales de l’intérieur.

Nous constatons une homogénéité de parcours et des motivations des enquêté-e-s. Les hypothèses sont validées dans la mesure où l’échantillon est homogène et relativement réduit. Nous allons à présent relativiser nos résultats en présentant ce que nous considérons comme les limites de notre recherche.

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