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3-4-1 – L’impact de la conjugalité sur les choix de carrière et de formation

Selon François de Singly, le cadre institutionnel de la famille s’est "craquelé". L’élément prioritaire est devenu "la construction de soi" et l’intersubjectivité. Il écrit que « les couples cherchent à se dépouiller des rôles institutionnels pour être regardés pour eux-mêmes…On a besoin du regard d’un proche tout en se dégageant de la logique institutionnelle pour ne pas s’enfermer dans un rôle »171.

Dans l’échantillon proposé 6 personnes sont mariées, 6 vivent maritalement. 6 vivent leur première union, 5 leur deuxième union ou plus, 1 est célibataire (après avoir vécu une union durable) (voir Annexe 14). La majorité des couples auxquels appartiennent les narrateurs sont à tendance homogames. Les sociologues parlent en effet, à propos de personnes qui se ressemblent "d’homogamie". « La mise en couple obéit à une logique d’ "équilibrage" relationnel à l’intérieur de groupes sociaux plus larges (…) Dans une majorité de cas, les deux futurs conjoints s’inscrivent dans un même réseau social. Les amis ou connaissances jouent un rôle, parfois discrètement, parfois plus directement, d’intermédiaires dans la construction de liens intimes »172.

En s’intéressant aux trajectoires de ces couples, nous nous apercevons qu’ « une homogamie de trajectoire définit le parcours familial : on tend à se mettre en couple avec celui ou celle qui a eu

168 Georges Herbert MEAD, op. cit., page 115.

169 Edmond Marc LIPIANSKY, Identité subjective et interaction, dans Stratégies identitaires, sous la

direction de Carmel CAMILLERI, op. cit., page 175.

170 Claude DUBAR, La formation Professionnelle Continue, op. cit., page 93.

171 François DE SINGLY, Le Soi, le couple et la famille, Éditions Nathan, Paris, 1996, cité par Vincent

DE GAULÉJAC, L’histoire en héritage, Roman familial et trajectoire sociale, op.cit., page 103.

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le même parcours que soi-même ou un parcours approchant. Les flèches de Cupidon suivent des trajectoires convergentes »173.

Mais Marlène Sapin, Dario Spini et Éric Widmer précisent aussi que « les effets cumulatifs s’inscrivent dans une logique interindividuelle. Les trajectoires d’insertion professionnelle des femmes sont le reflet des trajectoires professionnelles des hommes et vice-versa. La trajectoire de chacun des partenaires participe très directement à la trajectoire de l’autre : un individu faisant carrière engendre en partie le déclassement professionnel de son conjoint »174.

Nous avons pu vérifier lors de cette enquête, que le parcours des narrateurs s’était le plus souvent co-construit avec le conjoint ou la conjointe.

3-4-1-1 – Une co-construction de parcours

Les choix de changer de travail, de région, généralement se réfléchissent et se font à deux. Pour Adil, l’un trouve, l’autre s’adapte, suit et se débrouille ensuite :

« Et puis on s’est dit, on a envie de bouger, on a envie de faire des choses…On est parti en

Guyane, il n’y avait pas de prévention spécialisée là-bas. Alors du coup, pour avoir toutes mes chances, deux mois avant de partir, j’ai démissionné de mon poste d’éducateur de rue et j’ai été bossé en foyer d’urgence en Haute-Savoie, où je me suis fait une petite expérience ».

Adil n'hésite pas à faire du bénévolat pour pouvoir suivre son épouse qui trouve un emploi : « Et après je suis parti en pleine forêt Amazonienne avec mon épouse qui était professeur des

écoles, et pendant deux ans, j’ai fait du bénévolat, dans l’école primaire comme prof de sport, j’avais un BE, je l’ai mis à disposition ».

Quand elle va à Aix-en-Provence pour suivre une formation, lui fait des remplacements pour l’accompagner :

« À cette période, il y avait Dominique qui était en changement professionnel. Elle a demandé

une année de disponibilité et elle est allée à Aix-en-Provence dans son école de naturopathe. Du coup je me suis retrouvé à Aix et j’ai fait des remplacements ».

Plus tard, comme nous l’avons déjà abordé, il retourne en Guyane pour remettre en place la prévention spécialisée. Elle se met en disponibilité pour le suivre dans ce projet.

Sabine et son mari ont fait plusieurs fois le choix de changer de région à deux. C’est par exemple lui qui trouve en premier lorsqu’ils décident de s’installer en Haute-Savoie puis dans le Gard : « On a décidé de partir, de quitter l’Ardèche parce que le choc culturel est violent entre Paris et

l’Ardèche… On a dessiné un cercle sur la carte de France en disant : « le premier qui trouve suit l’autre, banco. Mon mari, un homme, Moniteur Éducateur (ME), a trouvé tout de suite, moi cela a été un petit peu compliqué. Donc j’ai donné ma démission. On est parti en Haute-Savoie, et j’ai été recrutée par la Sauvegarde de l’Enfance et de l’Adolescence de Chambéry qui avait un projet de monter une structure en Haute-Savoie (…) Mon mari, entre-temps, avait fait sa formation d’éducateur spécialisé à Grenoble. Il avait été reçu. Fonctionnaire, il travaillait auprès de mères victimes de violences conjugales, avec enfant, il était rattaché à la Fonction Publique Hospitalière. Demande de mutation. Il a été pris dans le Gard, au Foyer Départemental de l’Enfance. Et moi, j’ai redonné ma démission ».

173 Ibid., page 76. 174 Ibid., page 124.

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Enfin nous notons que le parcours formatif, la reprise d’études, là aussi se construisent bien souvent à deux, simultanément :

« J’ai fait la formation de chef de service (…) mon mari parallèlement, lui, avait été éducateur

sportif et avait fait Moniteur Éducateur » (Sabine) ;

« Mon épouse passe actuellement un Master 2 avec le CEGEC, « gestion des établissements

sanitaires et sociaux », en un an. Et elle le termine en juin de cette année » (Henri) ;

« La reprise des études, c’est qu’en fait on a toujours été sur ce registre-là. Pas en compétition,

mais en amusement je dirai. Quand j’ai fait le DSES175 à Nancy, mon mari médecin l’a fait aussi

(rires), j’étais en deuxième année, il a dit : « je vais le faire, je vais voir ce que c’est ce diplôme. (…) Cela l’a beaucoup amusé, il était bien meilleur que moi parce qu’il a d’autres facilités, au niveau des résultats » (Maryvonne).

Ou bien la reprise d’études se construit en alternance :

« Mon épouse va peut-être retenter une formation » (Armand).

Le conjoint représente un étayage capital dans la démarche d’entreprendre des études.

3-4-1-2 – Une conjugalité en termes de soutien

Pour Fanny aussi les reprises d’études se sont construites alternativement et le couple est soudé dans un effort commun :

« Mon compagnon, il m'a soutenue, portée et parfois même guidée lorsque j'étais en formation

d'éducatrice et jusqu'à l'obtention de mon diplôme. Ensuite il est rentré en thèse et c'est moi qui ait joué ce rôle pour lui. Je dis souvent qu'ensemble nous formons une équipe gagnante. J'aime son travail et je crois qu'il aime le mien ; de ce fait, nous avons un regard sincère sur nos métiers respectifs ».

Coralie et son compagnon s’encouragent et se soutiennent dans leurs démarches respectives de formation :

« Et par rapport à ma formation, je pense qu’il est très fier, il est content parce que j’en ai parlé

avec lui avant, parce que je savais que cela allait être des contraintes du quotidien qu’il fallait qu’il accepte lui aussi. Parce que c’est un diplôme de niveau 1, alors c’est le prestige entre guillemets quoi. Et comme il fait sa VAE en même temps, cela nous galvanise un peu tous les deux d’être dans la recherche, d’aller un petit peu au-dessus. Lui, il me pousse beaucoup et c’est pas mal grâce à lui si je le fais parce que j’avais des difficultés à avoir confiance en moi…Depuis toujours, je pense. Et c’est à son contact que j’ai pris un peu plus d’assurance, un peu plus confiance. Je pense que si je ne l’avais pas connu, j’aurai regardé le diplôme et je n’aurai jamais tenté ma chance ».

Mais la démarche commune peut se révéler être source de conflits et de rivalités.

3-4-1-3 – Une conjugalité en termes de conflictualité

Une forme de jalousie, de rivalité, de compétition peut s’installer entre les deux conjoints et rendre les démarches difficiles :

« Mes filles, quand elles ont su que j’avais réussi la sélection du DEIS, elles ont dit : « ouh là là

Papa, lui il a demandé une formation, il ne l’a pas eu…Et il va être jaloux ». C’est la parole de mes filles, moi je n’en sais rien. On n’en a pas parlé » (Sylvia).

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Le conjoint de Séverine est aussi dans la même situation qu’elle et cela génère de la tension : « Il est déjà, lui aussi, en situation de formation. En Master 2. Et donc du coup, il voit cela

plutôt d’un bon œil, après on est tous les deux en formation donc c’est assez, cela a un bon côté dans le sens où bien, les week-ends où on bosse, on bosse à deux, après on est tous les deux sous pression, donc quand cela gueule, cela gueule beaucoup (rires). Voilà, c’est un peu compliqué pour cela ».

La reprise d’études conduit à des bouleversements, à des réajustements, pouvant aller jusqu’à amener les gens à des séparations conjugales. Sylvia se rappelle :

« Quand je suis rentrée en formation d’éduc’, c’est là où on s’est séparé, finalement, quand

j’avais 30 ans (…) Et alors qu’on était en train de se séparer, mais il était content pour moi, j’embrayais sur une nouvelle vie, je partais à Toulouse, c’était plutôt positif ».

Plusieurs fois quand Séverine a repris une formation continue, elle s’est séparée ou a rencontré une nouvelle personne. Elle l’a constaté chez d’autres et l’analyse en disant que la formation remobilise, repositionne, par rapport à soi-même :

« Ce que j’ai souvent vu dans les formations pour adultes en général, pas forcément

universitaire, ce sont des fractures dans la vie privée, mais monumental quoi. (…) Il y avait toujours un divorce (rires) ou une rencontre, ou une séparation, ou un enfant. Je pense que cela amène à un tel repositionnement de soi-même dans ce qu’on est, dans la manière dont on regarde les choses, que forcément, eh bien cela chamboule ce qu’on est dans sa vie privée, et cela peut, je pense, faire éclater des couples, des fonctionnements de vie, des changements de boulots radicaux. Je l’ai vu plusieurs fois. C’est flagrant. C’est un coup de balai quoi ».

Les enfants font éminemment partie intégrante du réseau social des adultes en formation continuée. Nous allons aborder à présent les liens entre la propre scolarité des narrateurs et la façon dont ils envisagent celles de leurs propres enfants afin de tenter de voir quelles traces a laissé cette scolarité dans leurs trajectoires biographiques. Cela nous permet aussi d’obtenir des indications sur ce qu’ils expriment de leurs propres démarches de reprises tardives dans des études supérieures, de comment ils la perçoivent. Nous nous intéresserons ensuite aux regards de ces enfants sur la démarche de leurs propres parents.

3-4-2 – L’impact du vécu scolaire des narrateurs sur les choix de scolarité

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