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Plus généralement, le fait de faire ou de refaire des études apparaît comme essentiel pour nombre d’entre eux. Mais cela passe par des moments et des états qui remémorent le vécu des scolarités et des formations précédentes.

3-6-3-1 – (Re)vivre des moments agréables ou réflexifs

Pour Mylène être dans une formation supérieure c’est : « Une sensation de bonheur. D’autres engagements ».

Sylvia reprend un parcours universitaire qui avait été long et riche :

« Il y a un truc assez primaire où il y a des sensations. Notamment là au printemps. Pourtant je

n’ai jamais fait d’études à la fac du Mirail mais de voir les étudiants pique-niquer …En même temps il y a un vague à l’âme, et en même temps il y a de l’enthousiasme, de la créativité. Il y a

199 L’association ROOSEVELT propose entre autres pour tenter de modifier l’économie mondiale 15

91 plein de choses qui circulent, qui m’arrivent, et qui me replongent un peu des années en arrière. Et je me surprends à regarder des jeunes filles, comme si c’était moi, il y a quelques années. Ou alors comme si c’était mes filles, j’espère, dans quelques années, peut-être. Il y a d’abord des odeurs, des images, des lumières. Des choses qui font plaisir. Il y a le plaisir intellectuel…».

Yves souligne l’intérêt d’entreprendre ce cheminement en étant expérimenté :

« Cela secoue un peu quand même parce qu’il faut se remettre dedans, c’est tout un

cheminement, ce n’est pas rien, c’est assez dur de s’y replonger. Ça permet cela. Je le dis souvent, je le souhaite à beaucoup de gens, en fait. De faire ce cheminement-là. Surtout en étant adulte, en travaillant, en ayant un peu d’expériences, cette approche réflexive est vraiment très intéressante ».

Mais entreprendre des études peut raviver des périodes difficiles d’une scolarité initiale.

3-6-3-2 – (Re)vivre des moments douloureux

Pour certains d’entre eux ce sont aussi des moments douloureux, des moments de doute, de fatigue, de remise en question, de souffrance :

« Je veux me remettre en question, je n’ai pas peur, alors c’est vrai cela peut engendrer l’état

dans lequel je suis en ce moment, c’est-à-dire, je suis un peu perdue, j’ai dix ans de pratiques, mais en même temps, là, je réfléchis tellement une accumulation dans ma tête, de ce que j’entends, de livres que je lis, qu’en fait je ne sais plus ce que je veux dire. Qu’est-ce que j’en fais ? Mais finalement c’est peut-être nul ce que tu veux dire…Et puis tu n’arriveras jamais à être chercheure. Je ne suis pas dans le rapport de l’échec, mais dans le rapport d’en faire quelque chose. Cela me met en ébullition permanente, c’est fatigant parfois. Donc j’écris beaucoup, parce que l’ébullition quand tu l’écris elle est un peu moins intérieure » (Fanny).

Le DEIS ouvre la réflexion et l’université pour Henri. Mais l’exercice écrit, dès qu’il est plus scolaire, le fait souffrir et le renvoie à des échecs antérieurs. « Pour réussir, les élèves éloignés doivent réaliser un véritable processus de déculturation. Tout se passe comme si les membres de la classe dominée devaient apprendre une langue étrangère »200. La reprise d’études viendrait pour Henri terminer quelque chose de l’ordre d’un parcours formatif avorté :

« Il y a un intérêt plus important dans le DEIS et qui me renvoie à ce que je n’ai jamais eu accès,

c’est-à-dire à la fac. Le CAFDES c’était encore l’école des cadres, mais l’IRTS... Il y a là quelque chose que je découvre. Avoir accès à quelque chose qu’on ne m’a jamais autorisé. Sauf qu’on voit bien que je prends un risque à faire cela parce que quand je suis sur cette table-là, c’est une souffrance énorme. Il faut que je produise. Trois heures à écrire quelque chose, je suis paralysé. C’est un vrai combat. Véritablement (…) Je ne peux pas. Je me trouve confronté à un exercice scolaire qui me renvoie à tous mes échecs. Systématiquement. Donc quand je suis dans un exercice universitaire qui m’annonce comme la dernière fois, trois heures, une heure pour chaque épreuve. J’arrive ici je suis blanc, je vais transpirer. La dernière fois j’ai failli quitter l’épreuve. D’ailleurs j’ai terminé un quart d’heure avant ».

Pour Adil, la démarche de reprises d’études ravive de vieux souvenirs difficiles :

« C’est toujours pareil pour moi, la relation à l’école ou aux études, c’est quelque chose de loin

et de négatif, quoi que je fasse (…) J’ai validé des diplômes, mais inconsciemment ou consciemment j’ai un petit stress qui se met en place. C’est-à-dire le jugement. Mais sur les acquis basiques, les fautes d’orthographe, de compréhension, il y a toujours au départ de reprises d’études, et là, à la fac surtout, le fait de me dire : « ai-je le niveau ? », cette remise en question directe. Les profs, ils ne comprennent pas, mon atout c’est que je sais de quoi je parle au niveau du terrain, eux, c’est la théorie. (…) Les premières semaines, c’est autour de cela. Et

92 après, finalement, avec l’échange, l’angoisse entre guillemets s’enlève au fur et à mesure. Et puis il y a les petits réflexes... Tout le groupe DEIS est devant, moi je ne supporte pas de me mettre à la première rangée. Moi, ma place, c’était au fond de la classe. Là, par contre, c’est au milieu. Je peux intervenir, j’entends, parce qu’au fond de la classe, on entend rien. Devant, hors de question. Il y a toujours un peu ce malaise au départ. Après, ça va ».

Mais selon l’un des responsables du diplôme de Montpellier ce sont des formations qui sont longues, très implicantes, donc il faut quand même avoir des motivations très accrochées pour quand même tenir la distance.

« C’est lourd, ils viennent une semaine toutes les trois semaines en cours, mais cela veut dire

que pendant trois semaines ils font le boulot de quatre souvent, il n’y a pas forcément des remplacements. Il y a beaucoup d’écrits, il y a quand même deux mémoires, une deuxième production pour le diplôme final, donc il y a énormément de boulot. En dernière année, c’est là où il y a de plus en plus d’abandon. Certains d’entre eux ont plus de responsabilités qui leur incombent durant la formation et il faut bien les assumer. Il y a aussi la pression de collègues qui disent : « voilà, tu es quand même parti pendant trois ans… » » (Immersion). « Plusieurs étudiants nous signifient aussi que même si elle est seulement associée au DEIS et plus porteuse du projet, c’est l’université qui porte véritablement cette formation. L’IRTS est en tension sur cette dernière. Deux étudiants nous montrent les notes affichées au fond de la classe pour chaque personne et me parlent des épreuves qu’ils ont à passer au même titre que les étudiants inscrits en filière classique. Ils nous expriment que cela rajoute une pression à leur cursus. Les épreuves sont passées anonymement. Il y a aussi des oraux à effectuer. L’étudiant en formation continue se retrouve donc en situation d’étudiant classique avec force évaluations à passer. Ce qui est vécu comme loin d’être confortable » (Autre extrait de notre immersion).

Plus généralement, la démarche de faire des études plus âgé « bousculent les normes d’âge, pouvant être définies comme des attentes sociales quant aux comportements, rôles et attitudes des individus à adopter selon leur âge chronologique. Bernice Neugarten (1965), une chercheuse nord-américaine, fait l’hypothèse que ces normes fonctionnent comme de véritables horloges sociales. En regard de leur parcours, les hommes et les femmes ont conscience qu’ils sont "à l’heure", ou au contraire "en retard" ou "en avance", par rapport aux attentes sociales »201.

Mais comme le constate Boltanski à propos des cadres fréquentant assidûment les cours, les stages, les formations de toute nature « l’intention de s’instruire au-delà de l’âge socialement imparti aux études et de se maintenir, le plus longtemps possible, en situation d’élève ou d’étudiant -c’est-à-dire dans une situation de relative incertitude par rapport à l’avenir- tend, sous la pression des contraintes objectives de la carrière, à s’imposer de manière collective à des générations et catégories entières de salariés »202. Nous avons pu le voir quand nous nous sommes intéressés au poids des contraintes liées aux politiques organisationnelles.

Mais nous discernons aussi dans le discours de ces étudiants un fort attrait pour un "(re)tour en faculté" et la démarche intellectuelle qui l’accompagne.

201 Marlène SAPIN, Dario SPINI et Éric WIDMER, op. cit., page 115.

202 Luc BOLTANSKI, Les cadres : la formation d’un groupe social, Éditions de Minuit, Paris, 1982, page

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