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3-4-4 – L’importance des rencontres dans le parcours professionnel et dans la démarche de reprise d’études

Isabel Taboada-Léonetti nous aide à comprendre que « tout au long de la vie, au sein des réseaux d’interaction, familiaux et sociaux, qui situent l’individu dans le monde, se construit et reconstruit l’ensemble des traits qui définissent un individu et par lesquels il se définit face aux autres »177. L’individu se "façonne" ainsi dans les situations d’interaction, dans les rencontres et agit en tant qu’acteur social.

Nous observons l’importance des rencontres dans le parcours des gens et dans la démarche de venir préparer le DEIS et un Master simultanément. Nous le vérifions aussi à travers ce que relatent les narrateurs des rencontres ayant influé sur leur parcours professionnel ou de formation, mais également sur leur place et leur positionnement social qu’ils disent sentir se modifier. Ceci s’est traduit non seulement par une reprise effective d’études supérieures, par de nouvelles rencontres mais plus fortement par des modifications profondes d’habitus, par des ouvertures, par des "dispositions durables".

Plus généralement nous pouvons constater que le processus d’interaction généré par ce retour en formation favorise des changements de statuts, de rôles pour les principaux intéressés. Ce peut être en interne dans leurs organisations professionnelles, ce peut être en externe lors d’un changement d’emploi ou bien par des prises de responsabilités dans des "investissements sociaux" (associatifs, politiques ou autres).

176 Claude DUBAR, La socialisation, Éditions Armand Colin, Paris, 4ème édition, 2010, page 222.

177 Isabelle TABOADA-LÉONETTI, Stratégies identitaires et minorités : le point de vue du sociologue

79 3-4-4-1 – Les incidences des rencontres sur le parcours

Adil exprime que ce sont les rencontres qui ont guidé ces choix professionnels :

« Je n’ai pas de plan de carrière, je suis très mauvais pour cela (rires). Ce sont vraiment les

rencontres, la vie. La Guyane, quand on a fini, au bout de trois ans, là j’ai un poste de directeur, il me proposait un poste à la DRJS (Direction Régionale de la Jeunesse et des Sports), représentant européen, dans les échanges européens. J’avais plein d’opportunités, je gagnais bien ma vie. Je suis parti au fin fond de la forêt pour toucher 1200 euros. J’ai toujours fonctionné comme ça. Cela m’a posé des problèmes à certains moments parce que tu vas pointer au chômage, tu vas galérer un peu. Il faut toujours recommencer à zéro. Mais en même temps, je me dis, je fais confiance à la vie ».

Maryvonne souligne l’importance des réseaux constitués sur la base de différentes rencontres, afin de pouvoir changer d’emploi :

« Dès que j’ai eu le poste au tribunal je suis partie. (…) Et à l’époque, il suffisait de se tourner,

il y avait des réseaux. On avait des réseaux, on était connu, je n’ai jamais eu aucun souci à enchaîner les postes qui m’intéressaient ; sur Nancy, il y avait du travail ».

Les rencontres favorisent ici des interactions permettant de trouver du travail et d’acquérir des statuts et des références dans le "monde de l’intervention sociale". Elles sont aussi quelquefois à l’origine de la décision de (re)venir en formation supérieure.

3-4-4-2 – Les incidences des rencontres sur le retour en formation

C’est un ami sociologue qui a sans doute contribué pour Yves à ce choix de formation en l’amenant à travailler sur ses propres conceptions. Il précise qu’ :

« Il y a eu des rencontres déterminantes. Des rencontres amicales, peut-être aussi dans le cadre

professionnel, déterminantes sur la façon dont on peut voir les choses, sur la vision globale qu’on peut avoir de ce qu’on fait nous en tant qu’intervenants sociaux. Un ami notamment, sociologue, qui a fait ses études au Mirail, qui travaille toujours dans le milieu associatif. Avec qui j’ai travaillé à un moment donné de ma carrière et qui a participé c’est sûr, de près et de loin, aussi sur ma conception des choses, qui m’a amené à voir aussi les choses différemment, avec des apports que je comprends beaucoup mieux aujourd’hui forcément. Et qui a contribué, peut-être à me donner ce goût-là à aller chercher plus loin, à repartir aussi dans un processus de formation ».

Ce sont des collègues formateurs puis d’autres rencontres qui contribuent progressivement à déterminer Sylvia dans sa démarche. Elle raconte :

« En fait le DEIS, c’est un collègue formateur permanent qui m’en a parlé. Il m’a fait

rapidement intervenir dans le centre de formation où il travaille. J’avais trois ans de diplôme d’éduc’. Il me disait : « il faudrait que tu fasses une formation, que tu ailles un peu plus loin » je lui disais : « tu sais, moi j’ai envie de faire une fac de philo ou de reprendre des études de lettres, le social, je ne vois pas trop ce que je peux y faire » Un autre formateur dans le bureau me parle alors du DEIS. Ça ne me parle pas trop. En même temps, ou avant, une relation à moi faisait le DEIS à Marseille. Il m’en parlait beaucoup. Mais je ne comprenais pas de quoi il me parlait, moi j’étais jeune éduc’, je ne connaissais même pas le CAFERUIS, je ne m’étais pas du tout intéressée aux formations. Tout ce que je voulais en étant éduc’ c’était travailler et nourrir mes filles. Et une responsable de formation d’une autre école vient, à l’IME où je travaille faire une intervention, m’en parle, et cela a fait tilt. Elle me donne des coordonnées de personnes qui étaient en fin de formation, je ne sais même plus si je les ai contactés, mais j’ai tapé « DEIS », et ce qui m’a plu, c’est que c’était à la fac, c’était que le nom sonne bien. Diplôme d’État

80 d’Ingénierie Sociale, pour moi ça ne veut pas dire grand-chose et en même temps ça veut dire trop de choses. J’y suis allée parce que cela m’intriguait ».

Ce sont des rencontres professionnelles qui ont favorisé la démarche de reprise d’études de Maryvonne et qui lui donne l’occasion d’ouvrir ses champs de perception :

« Les rencontres croisées, extérieures, professionnelles. Une responsable de formation de l’une

des écoles de Toulouse. Je lui ai dit : « écoute, là je crois que je suis une "peau de chagrin", il faut faire quelque chose, qu’est-ce que tu en penses ? », le DEIS s’est mis en place, en 2006, elle a été une personne ressource et puis je m’en suis éloignée, parce que je savais qu’elle intervenait, je ne voulais pas de méli-mélo. Après j’en ai parlé avec la directrice adjointe, qui devait être également en fin de formation. Et cela a fait son chemin. Sérieusement. Et puis je trouve qu’au niveau universitaire, le centre de formation où j’interviens, c’est pauvre. Et j’étais dans une « peau de chagrin », j’étais dans quelque chose qui se réduisait, on était sur des acquis, on n’était pas sur quelque chose qui était sur l’ouverture ».

Nous avons vu à travers ces récits que la démarche de formation continuée est largement incitée, encouragée, cultivée par l’entourage immédiat d’une majorité des personnes interviewées (même si ceci est à relativiser concernant les conjoints). Cette démarche est aussi jalousée, enviée, ce qui lui donne de l’importance. Le regard des "autruis immédiats" contribue à renforcer cette voie empruntée alors que celle-ci s’avère difficile pour les principaux intéressés. Nous avons pu repérer également que les rencontres ont souvent favorisé ou déclenché cette tentative. Cette dernière est présentée ensuite souvent comme une potentialité de transformation d’une identité sociale, d’un statut social. Plus généralement les rencontres, dans le discours des narrateurs, leur sont essentielles à leur "installation" dans le "monde de l’intervention sociale".

Nous allons, lors de la suite de notre travail, vérifier si les contraintes actuelles vécues par ces acteurs professionnels au sein de leur organisation pèsent sur leur décision de reprendre des études ou bien si d’autres facteurs interviennent.

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3-5 – LES CONTRAINTES POLITIQUES ET SOCIALES

Selon Ute Karl, la logique institutionnelle limite le rôle d’acteur178. Lors du même colloque, Eberhard Raithelhuber a rappelé, lui, que les institutions jouent un rôle dans les transitions des personnes. Même si elles sont fixes elles ont d’autant plus de poids sur les individus que ce qui est créé est surtout ancré à un niveau systémique local et ont un impact sur leurs cheminements179. Nous allons justement tenter de mesurer cet impact sur la démarche des narrateurs. Tout d’abord ces derniers ont la volonté de bien appréhender les enjeux actuels de l’intervention sociale.

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