• Aucun résultat trouvé

3-2-1 – Un choix vocationnel ou par engagement

Ce choix de s’engager dans la voie professionnelle de l’action sociale est d’ordre vocationnel (dans le sens d’acquérir les compétences et/ou la reconnaissance symbolique nécessaire à la préservation ou la transformation, l’évolution de son emploi)147 pour la moitié des narrateurs. Nous retrouvons dans cette catégorie des personnes celles et ceux qui ont la volonté d’aider les autres, de travailler avec de l’humain, dans l’interrelation. L’héritage familial et social a une prépondérance certaine pour nombre d’entre eux.

3-2-1-1 – L’héritage familial et l’entrée dans le social

Nous pensons qu’Adil a fait ce choix notamment à cause de la proximité qui existerait entre son milieu social d’origine et celui de ceux qu’il est amené à accompagner, comme s’il persistait une forte détermination sociale obligeant à intérioriser un destin social en lien avec le milieu d’origine des travailleurs sociaux d’origine étrangère148. Ainsi Adil raconte :

« J’ai tout de suite envie de plutôt faire pour ceux qui me ressemblaient, les jeunes des quartiers.

Par contre je ne voulais pas m’enfermer dans ce qu’on a appelé « les grands frères » parce qu’effectivement j’ai commencé sur mon quartier. C’est pour cela que j’ai demandé de l’information tout de suite. J’avais des compétences, peut-être, avec les jeunes, le contact, certaines choses, que j’ai pu apprendre dans ma vie. Je ne voulais pas en rester là du coup je suis allé me former et après j’avais besoin, c’est pour cela que j’étais parti sur Grenoble, de couper avec mon quartier, pour voir finalement : est-ce que c’était l’animateur-éducateur dans son quartier qui me permettait de travailler dans ces conditions, faire des choses, où est-ce que j’avais vraiment développé des compétences, un savoir-faire, une identité, une envie de travailler dans le social ? (…) Finalement, j’étais fait pour le social, l’animation sociale, le travail social. Je ne pourrais pas dire, je suis totalement travailleur social ou animateur social, mais vraiment entre les deux ».

Les parents d’Adil, eux, n’ont pas compris à quoi sert la profession dans lequel il s’est engagé : « Mes deux parents sont décédés depuis deux ans. Ils étaient là sur une grosse partie de mon

parcours professionnel. Ils ne croyaient ni à l’animation, ni au social. Parce que pour eux, c’est abstrait. Le travail c’est la production. Parler avec des enfants, des jeunes, qu’est-ce que cela veut dire ? Ils ne comprenaient pas. Éducateur, animateur ils ne voyaient pas ».

146 Corinne SAINT-MARTIN faisant référence au chapitre L’approche interactionniste de l’ouvrage de

Claude DUBAR et Pierre TRIPIER, La sociologie des professions, Éditions Armand Colin, 1996 dans son intervention DEIS, La professionnalisation, Jeudi 11 avril 2013.

147 Philippe CARRÉ, L’Apprenance, op.cit., page 135.

148 Emmanuel JOVELIN, Devenir travailleur social aujourd’hui. Vocation ou repli ?, L'exemple des

éducateurs, animateurs et assistants sociaux d'origine étrangère, Éditions L’Harmattan, Paris, 1999, page

57

La profession d’éducateur est une profession « dont on a du mal à rendre compte chez soi, c’est aussi inséparablement une profession sur laquelle on n’a pas de compte à rendre aux siens »149.

Du récit d’Adil nous pouvons retenir qu’il a construit son parcours professionnel seul et qu’il lui a fallu du temps pour trouver la voie professionnelle qui lui correspondait, qu’il a dû pour cela s’extirper d’un contexte social et familial fort et influençant, ayant un impact biographique loin d’être négligeable mais pas surdéterminant.

Fanny indique, elle, clairement que ce sont des valeurs héritées (de ses parents) qui l’ont conduite vers le social :

« Vraiment c’est le côté de l’altérité, l’altruisme, l’humanisme. Parce que mes parents ont

toujours fait couler cela à la maison. C’est ce qui transpirait dans l’accueil de l’autre. Ma mère disait toujours : « on est la maison du bon dieu nous, on accueille tout », cela voulait dire on accueille tout le monde, c’est ouvert. Elle râlait un peu, mais il y avait tous les copains, les copines, elle sortait les goûters. J’ai toujours vécu dans cette ouverture, cet altruisme-là et je crois que j’avais envie de continuer cela dans mon travail ».

Mylène exprime les raisons profondes de son choix de travailler dans le domaine du social et fait le lien avec son père :

« C’est cela qui m’a attiré vers le métier d’assistante sociale. L’ouverture. Le regard large… On

fait de la dentelle relationnelle. C’est ça mon métier. Tout en étant dans des fondements de l’accès aux droits. Ce qui rejoint…de plaire à mon père (rires). Si on fait cela sur le bord psychologique. Donc c’est cela qui m’a attiré vers le social, parce que je pense que c’est très méticuleux quand on veut le faire bien, cette dentelle. On peut la faire fine, on peut la faire grosse. Pour moi, on est des artisans du relationnel. (…) Et j’aime bien parce que comme l’artisan, cela demande de la patience, de la persévérance, de la connaissance, je me suis trouvé à aimer cette voie pour cela. Du respect pour sa matière, notre matière, c’est l’humain ».

D’autres "autobiographes" comme Séverine ou Yves font allusion à un ancrage qui existe en eux depuis longtemps, celui de vouloir travailler « avec le social, l’humain ».

3-2-1-2 – Un ancrage ancien

Séverine exprime ce qu’elle avait d’ancré en elle depuis toujours :

« Fondamentalement petite un rêve de sauver…le monde. J’avais plus idée de le faire en

Afrique. Je ne suis pas encore partie en Afrique, mais au bout du monde. Fondamentalement c’est cela. Et puis après, je me laisse un peu porter parfois par les événements, donc je pense que ce sont les événements de ma vie au fur et à mesure. Et après, les projets professionnels que j’ai faits, je les ai plutôt réalisés, je suis têtue, donc quand je fais un projet, je vais au bout. Et c’est vrai que même à la fin du BEATEP j’avais l’idée de continuer, de passer un diplôme plus haut. Il y a toujours cette espèce de tremplin de volonté, de monter une étape de plus, de continuer. Après le social, c’est plus en filigrane tout au long de mon parcours ».

Yves fait ressortir son souhait très ancien de travailler dans un métier de relations humaines : « Je crois que c’était une volonté de travailler avec de l’humain tout simplement. Très tôt quand

j’étais au collège, à partir de la quatrième troisième. Au début je voulais faire Éducateur Spécialisé, c’était un peu le métier le plus connu. J’étais un peu parti sur cette idée-là. J’ai creusé, j’ai vu que ce n’était pas forcément ça qui m’intéressait. J’ai fait des remplacements d’éduc’ spé. En MAS (Maison d’Accueil Spécialisée), dans des FOT (Foyer Occupationnel et Thérapeutique), je travaillais avec plusieurs publics. Je connais ce métier-là. (…) Je ne sais pas

58 si c’est vraiment de la vocation mais très rapidement, c’est ce qui m’intéressait. Je n’étais pas très scientifique, je n’étais pas très manuel. Ce n’était pas du tout en dépit de. Il y avait vraiment un engouement pour cela. Et qui n’est jamais parti d’ailleurs. Je ne me verrais pas travailler autrement que dans ce milieu-là en tout cas ».

Yves et Séverine ne font pas de liens précis entre un choix vocationnel et un contexte social et familial. Ils ont le sentiment que cette vocation a toujours été présente tout au long de leur parcours et qu’ils ont cheminé pour la mettre en valeur, pour l’affiner, tout au long de leur parcours singulier. Pour certains d’entre les narrateurs, c’est le contexte socio-économique qui s’est révélé être prépondérant au choix de cette voie professionnelle.

3-2-1-3 – L’importance du contexte social

Maryvonne assimile son entrée dans le social au contexte social de la période où elle achève sa scolarité initiale, période où les gens voulaient « changer les choses ». Le climat général est alors associé à « la croyance que des changements politiques drastiques vont voir les sociétés de demain se débarrasser de leurs perversions (Mai 1968) »150.

« Il y a eu de l’engagement, c’est sûr. J’étais en L, j’étais revendicatrice. Ce n’était pas loin

après Mai 68 aussi, on avait derrière nous des choses qui avaient portées une certaine libération, aussi de la femme. La femme prenait sa vie en main, à fond. Le fait d’être dans le social me permettait d’ouvrir toutes les portes et puis cela s’est enchaîné. L’institut où j’ai fait ma formation d’éducatrice était quand même un institut vraiment très revendicateur. On faisait souffrir nos formateurs. Ils sont gentils les candidats maintenant à côté de ce que nous on faisait. Donc c’était plutôt le fait de faire bouger les choses ».

Vincent de Gauléjac nous indique plus généralement que « le repérage des déterminants sociaux dans son histoire familiale et dans sa propre trajectoire est un élément essentiel du processus de construction de soi. La compréhension du contexte économique, culturel et historique dans lequel s’inscrit une existence permet de faire la part des choses entre le social et le psychique »151. Le contexte social est donc une donnée importante pour comprendre les choix des narrateurs. Notre analyse permet de mettre en perspective des motifs divers concernant le choix de la voie professionnelle dans le social. L’influence du choix peut être par exemple générée par un des parents.

Outline

Documents relatifs