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3-4-2 – L’impact du vécu scolaire des narrateurs sur les choix de scolarité pour leurs enfants

Les narrateurs ont en moyenne près de deux enfants. Dans l’ensemble, ils expriment pour leurs enfants une volonté de les laisser faire leur chemin, leur choix de formation, comme s’ils avaient été fortement marqués par une injonction à poursuivre une voie précise et quelque peu contrainte ou bien comme s’ils regrettaient d’avoir interrompu leurs études trop tôt. D’ailleurs les mêmes personnes insisteront sur le fait qu’ils inciteront ou qu’ils incitent leurs enfants à "pousser" leurs études, ce qui peut paraître contradictoire avec la première intention.

3-4-2-1 – Un choix de scolarité des enfants influencé

Adil a souffert d’avoir mis du temps à trouver sa voie, la bonne orientation, sans être guidé, épaulé. Il dit avoir eu du mal avec l’éducation nationale et préconise des solutions alternatives pour son fils :

« Ce que j’espère c’est qu’il trouve sa place dans cette société, qu’il soit heureux et qu’il puisse

vivre correctement. Maintenant je sais que je vais lui donner les moyens de faire des études et au-delà des études d’avoir un enrichissement culturel maximal, avoir une culture sur les actions,

74 sur les métiers, sur plein de choses. Ce que moi je n’ai pas eu parce que mes parents n’avaient pas les moyens. C’est-à-dire d’accéder à des choses. Moi j’ai pu y accéder, en tant qu’adulte et j’espère que lui y accédera encore plus (…) Plutôt sur les pensées politiques, le respect de l’enfant, le rythme, la créativité, plutôt le mettre dans des écoles Freinet, alternatives, entre guillemets (...) Par contre, cela c’est un projet qu’il n’a pas demandé, mais qu’il aura d’office. Après il verra plus tard pour le reste ».

Yves appellera aussi ses filles à poursuivre des études :

« Peut-être la nuance qu’il y aura avec l’éducation que j’ai reçue, c’est que je pense que je

serais peut-être plus vigilant. (…) D’être peut-être un peu plus derrière eux là-dessus et d’être peut-être un peu moins souple sur l’aspect des études supérieures. En lien avec leur avenir. Mais par rapport à mon parcours personnel, mais aussi par rapport au contexte, je pense qu’il y a de cela aussi ».

Sylvia aspire à ce que ses filles poussent leurs études le plus loin possible :

« Une de mes filles est partie en communication. Cela marche très bien. Mais de temps en temps

je lui glisse : « Franchement…Tu devrais aller en fac de psycho » (rires). Après elle dit : « mais on n’a pas les moyens, on ne peut pas… ». Je lui réponds : « mais je ferai un prêt, ça serait le premier prêt de ma vie mais je le ferais pour que tu puisses faire des études ». Je suis dans l’attente qu’elles fassent des études longues ».

Henri incite ses fils à avoir l’ambition de faire des études supérieures. Il s’adressait à l’un de ses fils en lui disant :

« « Ce concours, c’est ouvert à des gens qui ont des masters 1 maintenant, tu risques d’être un peu juste avec simplement ton bac S. Tout simplement, va faire du droit. Une licence de droit et tu passes le concours de gendarmerie, ça te positionne un petit peu mieux. Ou voire plus, si tu rates le concours, tu fais une maîtrise, aies un peu plus d’ambition, fais une école, mais d’officier». Je pense que cela correspond assez bien à son caractère, un truc qui le sécurise, qui l’encadre. Je le projetais un peu plus haut, sauf qu’il est rentré en fac de droit à Paris ».

Henri fait le parallèle avec ce qu’il conseille aux éducateurs qu’il côtoie en tant que directeur : « Il y a des tas de fois où j’ai dit à des jeunes éducateurs : « projetez-vous dans une carrière,

prenez le temps de vous construire professionnellement, puis après vous ferez l’étape de chef de service, pourquoi pas celle de directeur, c’est vous qui verrez là vous en êtes à un moment ou à un autre ». Ça je l’ai pour mes fils. Concernant le dernier il s’éclate au sport. Il fait de la piscine, il fait du rugby. C’est pareil, j’essaye de le pousser : « Fais quelque chose, devenir pro c’est très compliqué mais en même temps donne-toi les moyens de faire éventuellement en même temps un sport-études. Là déjà, tu ne travailles pas assez à l’école. Il ne faut pas qu’il t’arrive un pépin sur un genou, sur quoi que ce soit, écoute, c’est quand même très aléatoire, il y a très peu d’élus, essaye de choisir un boulot qui te mettrait très près de la question du sport. Par exemple, kiné, si tu réfléchis, tu as kiné pour faire cracher des nourrissons, et puis tu as kiné auprès d’un club de sport où tu masses, tu soignes, tu peux faire préparateur physique » ».

Nous pouvons mesurer que le choix ou les souhaits des enquêté-e-s concernant leur progéniture sont conduits par des convictions construites à la suite de leur propre parcours de formation, lui- même ayant été influé par leurs ascendants. Ils s’inscrivent majoritairement dans une incitation à faire des études ; celles que les grands-parents n’ont pas faites ; celles qu’ils n’ont pas "soutenu" dans leur propre jeunesse et qu’ils entreprennent à présent, dans une phase de maturité mais aussi d’inconfort (en même temps que leur engagement professionnel fort et qu’une vie familiale prenante).

75 3-4-2-2 – Une forme de reproduction du schéma parental

Maximin est convaincu de l’importance de l’école et des études pour ses filles, tout comme sa mère était persuadée de l’intérêt de l’école pour son fils :

« Qu’elles fassent mieux que moi. Parce que nous on y croit. Il faut toujours mettre la barre un peu plus haute. Parce que c’est dans l’effort qu’on peut s’affirmer. Et je crois que l’école est une valeur sûre, je ne dis pas qu’on ne peut pas réussir par d’autres moyens. Surtout que je suis passé par là. C’est pourquoi mes enfants, je les ai inscrits très tôt. Ma première fille, elle est de 1986, bon les études ne vont pas trop fort, elle est en première, elle piétine. Au Gabon, tu as cette possibilité, tant qu’on ne te met pas dehors. Mais il y a plein d’abandon chez nous. Elle est en train de forcer, elle a un challenge, les petites sœurs qui tirent, elle veut, peut-être arriver à avoir le bac. La deuxième est née en 1988 et la troisième en 1989…la deuxième est à l’ÉNES, à l’École des Enseignants, elle sortira professeur de physique, celle qui vient ensuite est à l’Université des Sciences. Elle sortira probablement, si elle tient, sage-femme. C’est dire que je ne fais que reproduire ce qu’on a pu mettre en moi comme conviction, la réussite au travers de l’école ».

Maximin a repéré la reproduction du schéma parental dont lui-même a été imprégné pendant sa propre scolarité.

Nous discernons bien que dans l’ensemble des récits, les personnes sont ou seront vigilantes par rapport aux études de leurs enfants, afin que peut-être ils ne soient pas dans l’obligation de reprendre comme eux des études tardives. Cette démarche est vécue en effet comme enrichissante mais par trop difficile à réaliser. La formation tout au long de la vie représente une deuxième chance mais a un prix. Les narrateurs s’inscrivent donc dans une volonté de progression sociale amorcée par les grands-parents ou les parents et perpétuée pour les enfants. Nous allons maintenant nous interroger sur le regard de l’entourage des narrateurs. En quoi ce regard porté sur cette démarche de retour à l’université galvanise et favorise un retour en formation ? En quoi il contribue à ce que la personne concernée évolue dans son positionnement social ? Nous allons commencer par celui porté par leurs propres enfants.

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