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2.1 « Masculinité hégémonique »

Chapitre 4 : Les méthodes à l’épreuve des corps

1. Une approche qualitative

2.2. Une cartographie comportementale

Une courte introduction tissera le lien entre l’utilisation des sites comportementaux et le recours à la méthode de cartographie comportementale, autre technique scientifique mise en place par la psychologie environnementale.

« L'un des objectifs de la psychologie environnementale est d'analyser la nature de la relation qui lie les comportements d'individus, ou de groupe, aux espaces dans lesquels se déploient ces comportements. La cartographie comportementale, qui permet de localiser les comportements dans l'espace et d'en étudier leur distribution spatiale, constitue une méthode privilégiée dans l'exploration de cette relation. » (Alain LEGENDRE et Sandrine DEPEAU, 2003, p. 267. Souligné par moi)

« Le principe sur lequel repose la cartographie comportementale est très simple ; il consiste à identifier précisément les lieux où se produisent certains comportements. La localisation des comportements dans l'espace permet d'examiner leur répartition spatiale et de vérifier si cette répartition est aléatoire ou sélective. L'objectif est de déterminer dans quelle mesure

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l'expression de différents comportements est favorisée, contrariée ou largement indépendante des caractéristiques physiques et sociales qui définissent les différentes zones composant le site ou les sites d'études. […] Il s'agit donc d'une approche spatialisée des comportements qui

vise à repérer et à éprouver les liens qui unissent les comportements caractéristiques des lieux dans lesquels ils apparaissent et se développent. C'est certainement la simplicité de ce principe qui confère à la cartographie comportementale sa valeur heuristique. » (Ibidem, p. 268)

Ces deux citations opèrent la transition vers le développement d’une méthode incluant des représentations graphiques. Le lecteur comprendra que ces successions se présentent comme une suite logique pour cette étude puisqu’elle insiste sur les spatialités des corps, sans pour autant alourdir considérablement la démarche scientifique comme nous allons le voir. Tout en abordant les questions pratiques de la mise en place d’une méthode, les auteurs remémorent aux lecteurs une caractéristique fondamentale de ce courant scientifique, le rappel de la nature allouée à l’environnement est utile :

« Dans la perspective de la psychologie environnementale, l'environnement ne se réduit pas à un décor ou à une simple toile de fond sur laquelle les comportements apparaissent, mais constitue une composante à part entière de l'action, dont il faut préciser le rôle pour comprendre ces actions (Moser & Uzzell, 2003). Partant du constat trivial que les comportements se produisent toujours quelque part, à l'intérieur des limites d'un cadre physique, Ittelson, Rivlin et Proshansky (1970c) introduisent la cartographie comportementale comme une méthode permettant d'examiner de façon détaillée comment certains comportements s'inscrivent et se développent dans ce cadre physique. Selon eux, trois éléments sont nécessaires à l'élaboration de cette méthode : la description des participants, l'observation du comportement ainsi qu'un relevé de la position de comportement dans l'espace. » (Ibid, p.269)

Pour produire cette méthode de recherche, ces trois points sont à définir. Les auteurs les ont reformulés et institués en trois parties : « la composante environnementale », « la composante comportementale », « cartes et interfaces spatiales ». Un ordre que cette étude suivra pour présenter sa démarche.

Pour commencer, il est notable que la question de l’échelle n’a pas été évidente à résoudre. Mon choix de terrain s’étant porté sur un espace public, l’échelle ne correspondait pas à celle d’une pièce ou d’un intérieur. De plus, le lieu se prête à la circulation et aux flux de populations puisqu’il s’agit de l’espace urbain devant l’entrée d’un club débouchant sur un boulevard. La morphologie physique du lieu en lui-même rendait la question de l’échelle essentielle : fallait- il se restreindre à une portion de l’espace public, situé au plus proche de l’entrée ? Ou alors

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choisir une délimitation très large, diminuant de fait l’exhaustivité des observations ? Suite à des repérages, il s’est avéré que l’emprise spatiale des populations occupant les lieux était plus importante que la simple proximité avec l’entrée du club. De plus, cette large emprise spatiale pouvait supposer une diversité des interactions, ce qui a été considéré comme un gain pour cette étude. L’option choisie a été celle de prendre une échelle assez large pour ne pas exclure des spatialisations comportementales marginalisées dans l’espace.

Le limite étant : « À des échelles environnementales plus larges, les caractéristiques individuelles ont tendance à être gommées ; les questions s'orientent davantage sur l'activité d'acteurs sociaux ou de groupes. On s'intéresse par exemple à la dynamique des populations sur un territoire dont l'étude relève plus de la sociologie, de l'ethnologie ou de la géographie humaine. » (Op.cit., p.271)

Vient ensuite la question de la « comparaison » en tant qu’outil technique – comme peuvent le sous-entendre les expressions « intra-site » et « inter-site ». Ce travail se basera sur une comparaison « intra-site ». C’est-à-dire que j’ai choisi de me concentrer sur un lieu et d’analyser les comportements au sein de ce dernier, plutôt que de comparer des comportements de lieux différents. Pourquoi cela ?

« La cartographie comportementale est une méthode de terrain particulièrement bien adaptée à l'opérationnalisation des comparaisons intra-sites. Elle permet de comparer comment les comportements se répartissent entre les différentes zones qui composent un espace. Une telle comparaison intra-site constitue un des moyens les plus efficaces pour repérer les zones sélectionnées comme support privilégié d'un type de comportement et d’en identifier les caractéristiques environnementales particulières.

Cependant, la validité de la comparaison intra-site repose sur la délimitation du terrain d'investigation, ainsi que sur le degré de liberté des occupants par rapport au choix des emplacements à l'intérieur du site étudié. En effet, la comparaison entre les zones composant un espace n'est pertinente et informative que dans la mesure où cet espace offre une variété d'emplacements suffisantes pour que les occupants aient la possibilité de choisir parmi ces emplacements, ceux qui conviennent le mieux à leurs besoins et à la réalisation de leurs objectifs. » (Op.cit., p. 271-272)

Conserver une échelle relativement large permet donc d’analyser un site où les individus ne sont pas limités dans leur(s) déplacement(s) et leur(s) occupation(s) spatiale(s).

Se pose alors la question de la délimitation du terrain d’étude. Et comme le soulignent les auteurs : « Lorsqu'on s'intéresse à des lieux ouverts, espaces naturels ou un milieu urbain, la délimitation du terrain d'investigation peut parfois s'avérer extrêmement délicate dans ce cas,

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la délimitation du terrain dépendra du territoire accessible ou perçu comme tel par les sujets pour la réalisation de leurs activités. » (Op.cit., p.272). La délimitation de mon terrain d’étude

s’est déroulée en deux étapes : la première, comme il a été dit, a été un repérage. Ce repérage a permis d’identifier une zone dont l’observation est intéressante et possible depuis plusieurs lignes de vue. La seconde étape m’a permis de déterminer des points d’observation me permettant de rester légèrement en retrait par rapport au contexte (importance du corps- cherchant sur le terrain).

Le but de l’observation sera de spatialiser des interactions hétérosexuelles masculines cisgenres ou leurs transgressions pour pouvoir analyser leur prégnance dans ce site comportemental. Pour ce faire, l’ensemble des populations présentes, et pas uniquement les hommes, seront sujettes aux observations.

« Les comportements spatiaux, c'est-à-dire ce qui positionne le corps dans l'espace par le choix d'emplacements par le choix de trajectoires de déplacement, constitue la base des observations de la cartographie comportementale. À partir de l'observation de ces comportements spatiaux, on peut établir des cartes de circulation ou des cartes d'occupation d'un espace. Les indicateurs utilisés pour décrire les modalités d'occupation de l'espace peuvent intégrer des caractéristiques liées à la durée des stations ou à la nature sociale des usages.

On peut par exemple, comparer la carte des stations de courte durée avec celles des stations de longue durée. Si elle se distingue, il est possible d'identifier quelles sont les caractéristiques environnementales qui différencient les emplacements où les occupants s'installent de ceux où ils s'arrêtent quelques instants. Dans l'étude du mode d'occupation d'un espace public, on peut également comparer la carte qui correspond à une utilisation solitaire avec celles qui correspondent à une utilisation en couple ou en petits groupes. » (Op.cit., p. 275-276)

Cet exemple de courte et de longue station est très parlant et sera effectivement objet à remarques. Mais ces propos indiquent surtout la nécessité de reporter et représenter sur un support ces spatialités. Pour ce faire, une partition euclidienne de l’espace étudié sera produite. Pourquoi une partition de l’espace et pourquoi euclidienne et non pas topologique ? La justification d’une partition euclidienne dépend du sujet et de son utilisation, voici les réponses des auteurs :

« Les partitions euclidiennes reposent […] sur un découpage orthonormé de l'espace. Sur ces partitions, l'apposition d'une personne ou la manifestation de comportement peut être notée par rapport à son abscisse et son ordonnée [...]

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Soulignons que ces trames permettent un relevé de positions totalement indépendantes des caractéristiques topologiques et qualitatives de l'espace. Ceci constitue un avantage méthodologique extrêmement important. En effet, on peut noter les cases dans lesquelles un type de comportement particulier se manifeste selon certains critères de fréquence ou de durée pour ensuite examiner si les cases ainsi repérées correspondent à des zones présentant des caractéristiques physiques et sociales particulières. » (Op.cit., p. 282).

Ils ajoutent de la même façon :

« Soulignons que les partitions topologiques sont définies à partir d'attributs environnementaux préétablis dont on souhaite examiner l'incidence sur les comportements. À l'inverse, l'utilisation des partitions euclidiennes permet de rechercher et d'identifier, a posteriori, les caractéristiques environnementales favorables au développement de certains comportements, à partir de leur localisation sur une trame. » (Op.cit., p. 282).

Le maillage de la partition euclidienne de l’espace en question sera double :

- La première trame se constitué de 7 lignes de 9 colonnes, formant ainsi un tableau de 63 cases dont la superficie 36m².

- La seconde trame sera un affinement de la première en divisant chaque case 3 fois en longueur et en largeur, remplissant chaque grande case de 9 plus petites dont l’échelle est de 1cm = 2m.

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