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2.1 « Masculinité hégémonique »

Chapitre 3 : Des configurations pratiques spatiales :

II. Quelles spatialités des masculinités ?

1. La co-formation des espaces

1.1. L’approche d’une relation « humain-environnement »

1.1.2. Ce que disent les représentations spatiales

L’autre gain de cette approche environnementale réside dans sa conceptualisation des « représentations sociales », jusqu’ici peu abordée. Ces représentations sont ce sur quoi Marie-Line Félonneau intervient dans l’ouvrage dans un chapitre intitulé « Les représentations sociales dans le champ de l'environnement ». Avant de questionner l’utilité de tels outils méthodologiques, un travail de définition s’impose : qu’est-ce qu’une représentation sociale ?

« Le modèle des représentations impose de définir le concept. Pour Fodelet (1989, p.36), la représentation sociale est :

« [...] une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée ayant une visée pratique et concourante à la construction d'une réalité commune à un ensemble social. »

Pour compléter, on peut la considérer comme :

« [...] une vision fonctionnelle du monde qui permet à l'individu ou groupe de donner sens à ces conduites et de comprendre la réalité à travers son propre système de référence, donc de s’y adapter, de s’y définir une place. » Abric, 1997 » (Marie-Line FELONNEAU, 2003, p. 149)

Les représentations sociales sont donc ce par quoi les classifications ou les catégorisations sont possibles au quotidien. Elles sont des repères et des clefs de lecture du présent, car elles permettent le fonctionnement des organisations que j’ai qualifié de « tacite » plus tôt dans cette étude. Lorsque l’inattention mutuelle est de mise, le ou la passant·e (pour reprendre la figure de l’individu dans l’espace public) se réfère automatiquement à ses représentations sociales personnelles. Et ce recours à des catégories lui permet alors de se diriger et de s’orienter :

« Certains chercheurs se sont plutôt intéressés aux qualités de lisibilité de l'espace bâti et à sa capacité à influencer les conduites spatiales. C'est le cas notamment de ceux qui utilisent la cartographie cognitive.

Mais la "problématique urbaine" croise enfin les représentations sociales lorsque Bonnes et Secchiaroli (1983), Abric et Morin (1990) se penchent sur l'activité filtrante développée par le sujet dans son espace quotidien en mettant l'accent sur les processus psychiques sélectifs qui guident l'expérience et le mouvement dans l'espace urbain. » (Ibidem, p.148)

La mention de « sujet » n’est pas anodine, le pluriel n’est pas envisageable car les objets filtrés par cet individu relèvent de sa réalité : une réalité subjectivement. Pourquoi cela ?

« Nous poserons qu'il n'existe pas a priori de réalité objective, mais que toute réalité est représentée, c'est-à-dire appropriée par l'individu et le groupe, reconstruite dans son système

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cognitif, intégré dans son système de valeurs dépendant de son histoire et du contexte social et idéologique qui l'environne. Et c'est cette réalité appropriée et restructurée qui constitue pour l'individu ou le groupe la réalité même. Toute représentation est donc une forme globale et unitaire d'un objet, mais aussi d'un sujet. Cette représentation restructure la réalité pour permettre une intégration à la fois des caractéristiques objectives de l'objet, des expériences antérieures de sujet et de son système d'attitudes et de normes. » (Abric, 1992, p. 12. In Marie- Line Félonneau, 2003, p.149). Chaque objet peut posséder des sens extrêmement variés, cette définition contre l’idée d’une réalité objective doit être vue comme un détail, parant des critiques déterministes. Et cela n’enlève en rien la possibilité d’une diffusion extrêmement importante d’une réalité représentée – donc d’une représentation sociale. Toutefois comme le souligne l’auteure : « On retiendra que la représentation sociale est à la fois produit et processus d’une activité mentale par laquelle un individu ou un groupe reconstitue le réel auquel il est confronté et lui attribue une signification spécifique […]. » (Ibid, 2003, p.150). Les représentations sociales sont déterminantes car le « fonds commun de normes de valeurs associées à l'environnement permet non seulement de se représenter – voire de maîtriser – le monde dans lequel on vit et aussi communiquer et d'échanger son propos. » (Ibid, p.150). Le travail de définition clos, il est possible de questionner l’utilité de cet outil : quels sont les objectifs portés à ces représentations sociales ? La réponse apportée par l’auteure est convaincante : « Analyser les représentations sociales de l'environnement, c'est mettre au jour certaines composantes idéologiques régulant les rapports de la collectivité à l'environnement physique. Une telle approche sociocognitive permet de comprendre comment s'organisent les processus de pensée autour de ces cibles de jugements quotidiens que sont les espaces de notre vie. Il s'agit de théories destinées à l'interprétation et au façonnement du réel qui renvoient non pas à une réalité objective mais à une réalité construite par le sujet en référence à un système normatif donné. Sans pour autant négliger expérience environnementale concrète et singulière des habitants, se pencher sur les représentations permet de dévoiler un « concentré d'idéologie » incorporée par le sujet. L’idéologie est entendue ici au sens de Rouquette (1996, p. 170) qui définit comme un « ensemble de conditions et de contraintes présidant à l'élaboration d'une famille de représentation sociale ». Précisons encore que « une idéologie constitue un dispositif générateur et organisateur de représentations concernant des ob5jets spécifiques sans que ce dispositif soit ancré sur un objet particulier » (Rateau, 2000). » (Ibid, p.150-151). En plus de mettre à jour les pratiques socio-spatiales des individus, ce qui est le but de ce travail, ce type d’analyse permet d’interroger les rapports des individus avec les processus normatifs qui sont le cœur de notre sujet. Ces idéologies ont un grand rôle dans la construction du réel et des relations (interactions) sociales. Pour les Etudes des

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Masculinités, l’un des exemples les plus criants est peut-être l’apparence des corps : sa morphologie, son habillement, sa démarche et le lieu dans lequel elle a lieu.

Car il ne doit pas oublier le caractère inextricable des éléments : humain et environnement. Or l’humain ici représente à la fois le sujet et l’Autrui, de fait c’est une relation à trois termes qui s’active. Entre l’« ego », l’« alter » et l’« environnement » :

La construction de la réalité des individus résulte d’une co-formation entre le facteur humain et le facteur spatiale. La qualité de la psychologie environnementale et de la géographie environnementale qui en découle est la mise en place d’une théorisation d’une dialectique de causalité, de co-formation des espaces et des individus. Le rôle du lieu ou de l’espace devient plus proéminant à ce stade de la réflexion : « Comme toutes les représentations sociales, celles qui portent sur l'environnement constituent une composante majeure de la construction identitaire. En d'autres termes, celle-ci se constitue notamment sur la base des relations que le sujet et son groupe entretiennent un espace donné. » (Ibid. p.171)

Ou encore : « La représentation qu'ego se fait de son environnement est profondément lié à l'identité de lieu (place-identity) (Proshansky, 1983), autrement dit, à une puissante conscience émotionnelle l'appartenance à la fois un lieu et à un groupe localisé. On sait que la représentation d'un lieu comme d'un territoire du « nous » a des chances de déclencher des comportements de préservation de l'espace voire des conduites agressives explicitement belliqueuses dans les cas les plus graves (Dubet, 1997, Lepoutre, 1997). » (Op.cit., p.172) Le lecteur peut constater le possible glissement d’une réflexion très théorique vers des considérations très pratiques de pouvoir spatialisées.

« En adoptant la posture phénoménologique qui définit la réalité comme construite par le sujet (qu'il soit habitant, aménageur, urbaniste ou décideur politique), on peut traiter les éléments de l'environnement comme des objets de cognition idéologique. De fait, les divisions spatiales deviennent des principes de division qui organisent la vision du monde social (Bourdieu, 1993).

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Ainsi, l’espace physique, et plus particulièrement l'espace bâti, devient en quelque sorte la projection directe sur le sol de l'organisation sociale. En tant que telle, l'environnement est irréductible à un décor et les représentations dont il fait l'objet constituent une composante fondamentale des rapports sociaux qui organisent existence quotidienne. » (Op.cit., p. 175). La lecture de l’organisation spatiale est révélatrice des socialités, puisqu’elles sont à la fois une « projection » mais aussi une « composante fondamentale » de ces dernières. La morphologie des espaces mais aussi leurs utilisations par les usagers devraient être touchées par des rapports de pouvoir, qui se retrouvent dans les masculinités. Mais le sont-ils réellement, une question à laquelle le terrain scientifique devra répondre.