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2.1 « Masculinité hégémonique »

2.2. Critiques et évolutions

La structure des deux prochains points sera inspirée de l’article de Connell et Messerschmidt qui ont eux-mêmes produit un tel recensement.

2.2.1. Principales critiques

Cinq critiques majeures ont été mises à jour par ces auteurs. La première se rapporte aux conséquences théoriques sur le concept de masculinités. « The concept of multiple masculinities tends to produce a static typology. » (Raewyn CONNELL et James W. MESSERSCHMIDT, 2005, p.836). Une tendance allant à l’encontre de l’idée des masculinités : « Masculinity is not a fixed entity embedded in the body or personality traits of individuals. Masculinities are configurations of practice that are accomplished in social action and, therefore, can differ according to the gender relations in a particular social setting. » (Ibidem, p.836). Le fait de penser ces pratiques non liées aux corps entraîna aussi des manques préjudiciables : le corps devint alors un objet marginalisé ou naturalisé. Or les

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conséquences de ces deux considérations sont mauvaises puisque la première écarte un facteur non-négligeable de la socialisation et le seconde installe une dichotomie féminin/masculin que le principe même de masculinités permet de surpasser. Pour finir avec ces deux points les auteurs accordent que la tendance au sein des « Men’s studies » à séparer les hommes et les femmes dans différentes sphères n’est pas profitable, car la focalisation sur les relations entre les hommes n’est pas suffisante.

La deuxième critique importante se structure autour des ambiguïtés que peut construire l’institution d’une masculinité en tant que norme. Ce phénomène doit prendre en compte les effets échelles, la norme peut ne s’appliquer à un contexte très précis et restreint. Ce à quoi les auteurs apportent leur agreement : « It is desirable to eliminate any usage of hegemonic masculinity as a fixed, transhistorical model. This usage violates the historicity of gender and ignores the massive evidence of change in social definitions of masculinity. » (Ibid, p.838). Mais cette question d’échelle importe. Elle met en évidence un effet essentiel de l’hégémonie. Cette masculinité peut tout à fait ne correspondre à aucun vécu particulier, la superposition des configurations pratiques estimées peut construire une hégémonie inatteignable. Et les actions par lesquels les individus tentent d’approcher ce statut illustre un autre élément, quels que soient les contextes : « In none of these cases would we expect hegemonic masculinity to stand out as a sharply defined pattern separate from all others. A degree of overlap or blurring between hegemonic and complicit masculinities is extremely likely if hegemony is effective. » (Ibid, p.839)

La critique suivante prend forme à travers la réification l’image du patriarche s’immisçant dans la masculinité hégémonique. Cette dernière est réfutée par Holter, Ø. G.27 : « That the concept of hegemonic masculinity reduces, in practice, to a reification of power or toxicity has also been argued from different points of view. Holter (1997, 2003), in the most conceptually sophisticated of all critiques, argues that the concept constructs masculine power from the direct experience of women rather than from the structural basis of women’s subordination. Holter believes that we must distinguish between “patriarchy,” the long-term structure of the subordination of women, and “gender,” a specific system of exchange that arose in the context of modern capitalism. It is a mistake to treat a hierarchy of masculinities constructed within gender relations as logically continuous with the patriarchal subordination of women. ». De plus, Connell et Messerschmidt présentent alors qu’un large pan des études scientifiques associe à la masculinité hégémonique l’abus de pouvoir et/ou la toxicité du patriarcat – comme

27 Holter, Ø. G. 1997. Gender, patriarchy and capitalism: A social forms analysis. Oslo, Norway:

University of Olso.

⎯⎯⎯. 2003. Can men do it? Men and gender equality—The Nordic experience. Copenhagen, Denmark: Nordic Council of Ministers.

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forme de violence matérielle et symbolique, une violence jugée inhérente à cette forme hégémonique. Cependant ils citent et argumentent à contre cette idée:

« Because the concept of hegemonic masculinity is based on practice that permits men’s

collective dominance over women to continue, it is not surprising that in some contexts, hegemonic masculinity actually does refer to men’s engaging in toxic practices—including physical violence—that stabilize gender dominance in a particular setting. However, violence and other noxious practices are not always the defining characteristics, since hegemony has numerous configurations. Indeed, as Wetherell and Edley (1999) ironically observe, one of the most effective ways of “being a man” in certain local contexts may be to demonstrate one’s distance from a regional hegemonic masculinity. » (Ibid, p. 840). La référence à Wethrell and Edley est fondamentale dans la compréhension des dynamiques de l’hégémonie : il ne s’agit pas d’être évidemment ni le plus fort ni le plus puissant, mais de correspondre à une image, ce qui introduit la critique suivante.

Cette quatrième critique se base sur des réflexions psychanalytiques reprochant au concept sa théorie du « sujet ». Pour présenter cette critique il est intéressant de débuter par la vision que développent Wetherell and Edley – notamment car leur critique a marqué la façon dont sont comprises les masculinités : « Wetherell and Edley (1999) develop this critique from the standpoint of discursive psychology, arguing that hegemonic masculinity cannot be understood as the settled character structure of any group of men. We must question “how men conform to an ideal and turn themselves into complicit or resistant types, without anyone ever managing to exactly embody that ideal” (p. 33728). » (Ibid, p. 838). Une conception que les auteur·e·s de l’article résument: « Consequently, “masculinity” represents not a certain type of man but, rather, a way that men position themselves through discursive practices. » (Ibid p. 841). Cette approche des masculinités est nécessaire afin de comprendre la véritable critique : le sujet disparaît pour laisser place à un concept n’ayant de prise que sur une structure. Cette perte le condamne irrémédiablement à ne pouvoir expliquer ni analyser les tenants et aboutissants des masculinités. Face à cette attaque d’ampleur j’ai jugé intéressant de retranscrire leur réponse – outre la justification d’un tel concept, ces mots illustreront la passion sous-jacente dont peuvent être empreintes les controverses scientifiques :

« The concept of hegemonic masculinity originally was formulated with a strong awareness of psychoanalytic arguments about the layered and contradictory character of personality, the everyday contestation in social life, and the mixture of strategies necessary in any attempt to sustain hegemony (Carrigan, Connell, and Lee 1985; Connell 1987). It is somewhat ironic that

28 Wetherell, M., and N. Edley. 1999. Negotiating hegemonic masculinity: Imaginary positions and

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the concept is criticized for oversimplifying the subject, but it is, of course, true that the concept often has been employed in simplified forms.

Does the concept necessarily erase the subject? We flatly disagree with Whitehead’s(2002) claim that the concept of hegemonic masculinity reduces to structural determinism. Masculinity is defined as a configuration of practice organized in relation to the structure of gender relations. Human social practice creates gender relations in history. The concept of hegemonic masculinity embeds a historically dynamic view of gender in which it is impossible to erase the subject. This is why life-history studies have become a characteristic genre of work on hegemonic masculinity.

The concept homogenizes the subject only if it is reduced to a single dimension of gender relations (usually the symbolic) and if it is treated as the specification of a norm. As soon as one recognizes the multidimensionality of gender relations (Connell 2002) and the occurrence of crisis tendencies within gender relations (Connell 1995), it is impossible to regard the subject constituted within those relations as unitary. There are, of course, different ways of representing the incoherence of the subject. The conceptual language of poststructuralism is only one way of doing that; psychoanalysis and the model of agency within contradictory social structures provide others. » (Ibid, p. 843).

La cinquième critique quant à elle se concentre sur la prise de position commune des théories du genre : « There has often been a tendency toward functionalism— that is, seeing gender

relations as a self-contained, self-reproducing system and explaining every element in terms of its function in reproducing the whole. […] The dominance of men and the subordination of women constitute a historical process, not a self-reproducing system. “Masculine domination” is open to challenge and requires considerable effort to maintain. Although this point was made in early statements on the hegemonic masculinity concept, it is not just a theoretical idea. » (Ibid, p. 844). Cette affirmation de l’existence de tactiques et de processus de renouvellement d’une domination masculine à l’intérieur même des relations genrées retire au fonctionnalisme son efficience pour analyser ses relations. De fait la masculinité hégémonique ne peut plus être considérée comme un processus autosuffisant quant à sa reproduction au travers du temps. C’est à cet instant de la réflexion que la critique débute en questionnant la nature de l’« hégémonie ». Les auteurs insèrent les travaux critiques de Demetrakis Z. Demetriou. Ce dernier considère que les formes hégémoniques jusqu’alors mobilisées sont les suivantes : une hégémonie interne et une externe. « “External hegemony” refers to the institutionalization

of men’s dominance over women; “internal hegemony” refers to the social ascendancy of one group of men over all other men. » (Ibid, p.844). Cependant, cet auteur souligne l’absence des

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pas reléguées mais en tension permanente avec elle. « Such a conceptualization, Demetriou (2001) argues, misses the “dialectical pragmatism” of internal hegemony, by which hegemonic masculinity appropriates from other masculinities whatever appears to be pragmatically useful for continued domination. The result of this dialectic is not a unitary pattern of hegemonic masculinity but a “historic bloc” involving a weaving together of multiple patterns, whose hybridity is the best possible strategy for external hegemony. A constant process of negotiation, translation, and reconfiguration occurs. » (Ibid, p.844). Cette capacité d’hybridation de la masculinité hégémonique décrite par Demetriou apporte à la conceptualisation des masculinités. Pourtant les auteurs interrogent sa pertinence dans un contexte local avec l’exemple des socialités et sexualités gaies. Cette approche entraîne les auteurs à exhausser un paradoxe : penser la masculinité hégémonique au singulier, alors que l’on parle des masculinités au pluriel.

C’est avec cette dernière critique – que l’on pourrait considérer comme une évolution bénéfique – que l’argumentation aborde les révisions et les reformulations du concept

2.2.2. Bilan

Suite à ces cinq points, le concept de « masculinité hégémonique » de Raewyn Connell ressort changé et devient le concept de masculinité présenté au début de ce chapitre. Ce concept prend alors appui sur de multiples formes de masculinités, chacune en tension avec les autres, dont les évolutions sont possibles aussi bien à une échelle locale qu’à une échelle plus globale. Le fait de penser la masculinité hégémonique en tant que processus de domination basé uniquement sur la force est abandonné. De plus, le recours à la séparation trop courante entre des « sphères » du féminin ou du masculin doit être écarté, pour faire place à des analyses plus globales : « We suggest, therefore, that our understanding of hegemonic masculinity needs to incorporate a more holistic understanding of gender hierarchy, recognizing the agency of subordinated groups as much as the power of dominant groups and the mutual conditioning of gender dynamics and other social dynamics. » (Ibid, p.848).

À ce bilan s’ajoute une vision de la notion du corps qui ne peut être négligée : « The common social scientific reading of bodies as objects of a process of social construction is now widely considered to be inadequate. Bodies are involved more actively, more intimately, and more intricately in social processes than theory has usually allowed. Bodies participate in social action by delineating courses of social conduct—the body is a participant in generating social practice. It is important not only that masculinities be understood as embodied but also that the interweaving of embodiment and social context be addressed. » (Ibid, p.853). La nécessité de développer les impacts du corps dans les relations humaines, notamment du genre, est relevée par les queers théories. Leurs recherches se concentrent sur la façon dont les corps

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sont produits et producteurs de socialités disruptives avec diverses normes. De plus, les auteurs soulignent ce qui a été présenté avec l’expression « coûts et bénéfices » des masculinités : les masculinités hégémoniques ne sont pas nécessairement associées à une bonne expérience de vie. C’est cet aspect du coût des injonctions de l’hégémonie qui va être maintenant abordé.

2. Normes

Le travail des normes sur les individus est un point particulièrement important dans les études des masculinités, et ce pour deux raisons. La première étant cette prise de conscience que le masculin au singulier n’existe pas et que les subdivisions de ce dernier se basent sur une structure de pouvoir inégale. La seconde raison qui accorde un intérêt tout particulier aux processus normatifs s’explique par le paradoxe de leurs (in)visibilités aux yeux de ceux qui les subissent, les exploitent ou leur résistent. Cette partie analysera dans un premier temps les injonctions normées et les moyens mobilisés par les individus et dans un second temps, elle se penchera sur les conséquences des écarts possibles à ces processus normatifs. Les coûts et bénéfices provoqués seront abordés.