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2.1 « Masculinité hégémonique »

Chapitre 3 : Des configurations pratiques spatiales :

I. La spatialité des corps

1. L’agencement des corps dans l’espace

1.2. Le placement des corps

Les perspectives spatiales abordées jusqu’alors sont éparses, le corps n’est pas pensé comme concept véritablement spatialisé, ce à quoi va remédier cette partie. Dans un premier temps le rapport à l’espace de Michel Foucault sera mis en valeur pour ensuite exposer les travaux de Robyn Longhurst et de Lynda Johnston à propos de leurs conceptions des expressions de « space » et de « place »34.

La théorie foucaldienne entretient un lien avec l’espace assez précis puisqu’en grande part dépendant des réflexions sur la discipline. Les écrits sur « les corps dociles » mettent en valeur les techniques et les « ruses » pour circonscrire les comportements selon les besoins. « Techniques minutieuses toujours, souvent infimes, mais qui ont leur importance : puisqu’elles définissent un certain mode d’investissement politique et détaillé du corps, une nouvelle « microphysique » du pouvoir ; et puisqu’elles n’ont pas cessé, depuis le XVIIIe siècle, de gagner des domaines de plus en plus larges, comme si elles tendaient à couvrir le corps social en entier. Petites ruses dotées d’un grand pouvoir de diffusion, aménagements subtils, d’apparence innocente, mais profondément soupçonneux, dispositifs qui obéissent à d’inavouables économies, ou qui poursuivent des coercitions sans grandeur, ce sont eux pourtant qui ont porté la mutation du régime punitif, au seuil de l’époque contemporaine. » (Michel FOUCAULT, p. 403).Ce que nomme là Foucault peut s’appliquer aux corps masculins ou aux masculinités qui sont se constituées à mesure du temps. Et cette discipline se produisant par les détails dissimulés par l’habitude : « Une observation minutieuse du détail, et en même temps une prise en compte politique de ces petites choses, pour le contrôle et l’utilisation des hommes, montre à travers l’âge classique, portant avec elles tout un ensemble de techniques, tout un corpus de procédés et de savoirs, de descriptions, de recettes et de données. Et de ces vétilles, sans doute, est né l’homme de l’humanisme moderne. » (Michel FOUCAULT, p. 405-406). L’historicité du corps est aussi l’historicité de sa discipline, de ces détails, or : « La discipline procède d’abord, à la répartition des individus dans l’espace. Pour

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cela, elle met en œuvre plusieurs techniques. 1. La discipline parfois exige la clôture, la spécification d’un lieu hétérogène à tous les autres et fermé sur lui-même. » (Ibidem, p. 406). « 2. Mais le principe de « clôture » n’est ni constant, ni indispensable, ni suffisant dans les

appareils disciplinaires. Ceux-ci travaillent l’espace d’une manière beaucoup plus souple et fine. Et d’abord selon le principe de la localisation élémentaire ou du quadrillage. À chaque individu, sa place ; et en chaque emplacement, un individu. Eviter les distributions par groupes ; décomposer les implantations collectives ; analyser les pluralités confuses, massives ou fuyantes. L’espace disciplinaire tend à se diviser en autant de parcelles qu’il y a de corps ou d’éléments à répartir. Il faut annuler les effets des répartitions indécises, la disparition incontrôlée des individus, leur circulation diffuse, leur coagulation inutilisable et dangereuse ; tactique d’anti désertion, d’anti vagabondage, d’anti agglomération. Il s’agit d’établir les présences et les absences, de savoir où et comment retrouver les individus, instaurer les communications utiles, d’interrompre les autres, de pouvoir à chaque instant surveiller la conduite de chacun, l’apprécier, la sanctionner, mesurer les qualités ou les mérites. Procédure donc, pour connaître, pour maîtriser et pour utiliser. La discipline organise l’espace analytique. » (Ibid, p.409)

« 3. La règle des emplacements fonctionnels va peu à peu, dans les institutions disciplinaires, coder un espace que l’architecture laissait en général disponible et prêt à plusieurs usages. Des places déterminées se définissent pour répondre non seulement à la nécessité de surveiller et de rompre les communications dangereuses, mais aussi de créer un espace utile. » (Ibid, p.410)

« 4. Dans la discipline, les éléments sont interchangeables puisque chacun se définit par la place qu’il occupe dans une série, et par l’écart qui le sépare des autres. L’unité n’y est donc ni le territoire (unité de domination), ni le lieu (unité de résidence), mais le rang : la place qu’on occupe dans un classement, le point où se croisent une ligne et une colonne, l’intervalle dans une série d’intervalles qu’on peut parcourir les uns après les autres. La discipline, art du rang et technique pour la transformation des arrangements. Elle individualise les corps par une localisation qui ne les implante pas, mais les distribue et les fait circuler dans un réseau de relations. » (Ibid, p.413)

Le vocabulaire utilisé est nécessairement en lien avec la mise en place d’un milieu carcéral, pourtant une distanciation peut être mise en œuvre par le lecteur, à cet instant les mots de Foucault prennent une tout autre ampleur. Ces tactiques de surveillance s’appliquent à de nombreux cas et par chacun, bien évidemment pas aussi clairement que puisse le faire valoir le système carcéral. Cependant les patrouilles de police et les mesures à l’encontre de certaines populations dans les centres villes ne s’en éloignent pas de beaucoup.

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De plus, la théorisation du quatrième point entre le territoire, le lieu, le rang et les ouvertures permises par elle sont brillantes : « Les disciplines en organisant les « cellules », les « places » et les « rangs » fabriquent des espaces complexes : à la fois architecturaux, fonctionnels et hiérarchiques. Ce sont des espaces qui assurent la fixation et permettent la circulation ; ils découpent les segments individuels et établissent des liaisons opératoires, ils marquent des places et indiquent des valeurs ; ils garantissent l’obéissance des individus, mais aussi une meilleure économie du temps et des gestes. Ce sont des espaces mixtes : réels puisqu’ils régissent la disposition de bâtiments, de salles, de mobiliers, mais idéaux, puisque se projettent sur cet aménagement des caractérisations, des estimations, des hiérarchies. La première des grandes opérations de la discipline, c’est donc la constitution de « tableaux vivants » qui transforment les multitudes confuses, inutiles ou dangereuses, en multiplicités ordonnées. » (Op.cit., p.415). La théorie foucaldienne du pouvoir, aussi précise soit-elle, n’est pas astreinte à ce domaine d’étude, ce qu’ont démontré les auteur·e·s – essentiellement anglophones – par leurs très nombreuses références. Et cette grande qualité de polyvalence est soulignée par l’auteur lui - même :

« Mais le tableau n’a pas la même fonction dans ces différents registres. Dans l’ordre de

l’économie, il permet la mesure des quantités et l’analyse des mouvements. Sous la forme de la taxinomie, il a pour fonction de caractériser (et par conséquent de réduire les singularités individuelles) et de constituer des classes (donc d’exclure les considérations de nombres). Mais sous la forme de la répartition disciplinaire, la mise en tableau a pour fonction, au contraire, de traiter la multiplicité pour elle-même, de la distribuer et d’en tirer le plus d’effets possible. Alors que la taxinomie naturelle se situe sur l’axe qui va du caractère à la catégorie, la tactique disciplinaire se situe sur l’axe qui lie le singulier au multiple. Elle permet à la fois la caractérisation de l’individu comme individu, et la mise en ordre d’une multiplicité de données. Elle est la condition première pour le contrôle et l’usage d’un ensemble d’éléments distincts : la base pour une microphysique d’un pouvoir qu’on pourrait appeler « cellulaire ». » (Op.Cit, p.418-419) L’auteur ajoute à sa réflexion les moyens de l’extraire, les expressions de « tableau », de « registre » ou de « taxinomie » en sont les preuves. Ces propos font que sa théorie est modulable selon les sujets ; ils créent une grille de lecture spatiale adaptable aux disciplines des auteur·e·s y recourant.

Pour compléter cette approche spatiale corporelle, l’ouvrage de Lynda Johnston et de Robyn Longhurst est utile, leurs définitions imagent avec clarté la différence entre leur utilisation de « space » et de « place ».

« When we use the term space we refer not to something that is abstract, absolute, static, empty, “just there”, ultimately measurable, and able to be mapped, but to something that is

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complex, changeable, discursively produced, and imbued with power relations. Spaces and bodies are intimately tied together, a point that is elucidated in the next chapter. We tend to use the term place to refer to specific places. In this way the term highlights the materiality of spaces. » (Lynda JOHNSTON et Robyn LONGHURST,2010, p.16). D’un côté l’espace et d’un

autre le lieu, cette distinction importe dans cette étude des masculinités. L’espace se rapproche pour beaucoup à une vision très théorique dont les lieux sont l’aspect plus opérationnel car plus proche de la matérialité des choses. Chaque étude possède son contexte propre au(x) lieu(x) dans le(s)quel(s) elle se déroule et dans le(s)quel(s) les corps se déplacent.

« Our reference to the work of humanistic geographer Tuan is not meant to deny the importance of the discursiveness of spaces, place and bodies (something that humanistic geographers did not discuss much at the time) but rather to remind readers that places are bounded settings and that the bodies that occupy them are flesh and blood and experience a range of emotions in relation to these places. Places and bodies are not just “linguistic territories” (Longhurst 2001). They have an undeniable materiality that cannot be bracketed out when considering the relationship between people and place. » (Ibidem, p.16).

Le lecteur retrouvera l’approche de Raewyn Connell – quand elle parlait du rôle du tactile des corporalités – dans le passage que citent les deux auteurs : « It [the body] marks boundary between the self and other, both in a literal physiological sense but also in a social sense. It is a personal space. A sensuous organ, the site of pleasure and pain around which social definitions of wellbeing, illness, happiness and health are constructed, it is our means for connecting with, and experiencing other spaces. » (VALENTINE 2001, p.15. In Lynda JOHNSTON et de Robyn LONGHURST, 2010, p. 21). Un autre détail linguistique et théorique notable revient à la mention de “sexed boyd”, qui jusqu’ici a été traité en filigrane. Le « corps sexué » est une notion importante pour les études se portant essentiellement sur les aspects des sexualités en autre, mais qui se révèle plébiscité en lien avec beaucoup d’autres thématiques : « There is no preconstituted sexed body ; instead, a variety of sexed and gendered behaviors can be attached to numerous different bodies, in different times and space. Julia Cream (1995, 31) asks: “What is the sexed body?” and answers by saying whatever it is, it is contingent bodies upon time and place. Furthermore, the sexed body can be read as a historical outcome of a range of cultural meaning centering on biological sex, social gender, gender identity, and sexuality. » (Ibidem, p. 22).

Tous ces développements théoriques sur les corps entraînent nécessairement la réflexion vers ce pluriel de « corps » qui est sans arrêt mentionné. Le corps est un médium social, il permet donc l’échange entre individus. Seulement l’échange ne se structure pas de la façon suivante :

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« esprit-corps-esprit ». Pour échanger, deux esprits et deux corps sont nécessaires, aussi la perception d’Autrui est dans un premier temps fondamentalement basé sur le jugement du ou des corps étrangers.