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Et dans l’urbanisme ?

Chapitre 2 : Les masculinités

I. L’affirmation de cet objet scientifique

1. Présentation des enjeu

En France, étudier les masculinités en géographie humaine est considérée comme une démarche assez novatrice, et pour cause, la visibilité de cette thématique ne s’est accrue que récemment.

Pourtant, les hommes ne sont-ils pas des objets d’études depuis que la géographie humaine existe ? Les masculinités ne sont-elles donc pas une ancienne thématique remise au goût du jour ? La réponse à cette question est « non », mais pourquoi ? Cette interrogation soulève plusieurs points : un travail de définition des termes et des distinctions entre certains champs disciplinaires.

Dans un premier temps, il est important de dissocier des thématiques homonymes, mais bel et bien distinctes représentées par les termes « homme(s) » et « Homme ». Ces objets d’étude ne doivent pas être confondus puisque l’expression « Homme » se rattache à l’ensemble des individus de la race humaine sans distinction de sexe. Ce travail fera davantage usage du terme « humain » plutôt que « Homme » pour qualifier l’humanité, cela évitera des confusions et la tendance courante d’amalgames entre ces deux termes.

Ensuite une identification s’ajoute entre les mots « homme » et « masculin ». Tout comme « homme » et « Homme », ces deux termes ne doivent pas être mis au même plan. L’expression de « masculin » est fondamentale puisqu’elle renvoie à ce qui identifie un individu à un genre. Etudier le masculin peut ne pas être rattaché à l’étude de l’homme (Judith HALBERSTAM).

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Pour souligner cette distinction, entre l’entité que représente le terme d’« homme » et les attributs/actions représentés par celui de « masculin », l’expression « masculinité » est avantageuse. Parler de « masculinité » permet de détacher la « qualité » ou la « nature » de ce qui fait le masculin du corps de l’individu et donc de l’éloigner de l’essentialisme biologique. De plus le pluriel de « masculinité » n’est pas anodin, ce pluriel met en relief l’importance qui est donné à la pluralité des formes de masculins possiblement incarnées par des individus. « Aussi l'étude des masculinités ne représente-t-elle en aucun cas une enclave théorique, un domaine autosuffisant qui considérerait « le masculin », et encore moins « les hommes », comme un objet d'études en soit pertinent. Il s'agit davantage d'une investigation théorique et empirique des masculinités au sein des rapports de genre tels qu’ils sont socialement construits, et plus généralement dans la mesure où ils sont liés à des inégalités structurelles — économiques, politiques ou culturelles. » (Raewyn CONNELL, 2014, p. 10)

Le lecteur comprend dès lors que ce champ d’étude est proche des courants féministes dont il emprunte les outils conceptuels tels les rapports de genre et les inégalités. Cependant la liaison entre ce que seront les « Men’s studies » ou les études des masculinités et les courants féministes n’est pas évidente, et ce pour plus d’une raison.

« En effet, les années 1990 sont marquées par l'explosion du nombre de publications de développement personnel et de psychologie consacrée aux hommes et aux thèmes récurrents du « crise de la virilité » ou « crise de la masculinité ». Des groupes d'hommes portent alors le discours paradoxal qui consiste à s'afficher comme proche du féminisme tout en en critiquant les bases, à savoir sa focalisation sur les conditions des femmes. En revendiquant une prise en compte leur difficulté d'hommes face aux transformations des rapports de genre et à la société postindustrielle (chômage de masse, disqualification des rôles masculins traditionnels, etc.), ces hommes cherchent bien souvent à masquer leur refus de voir s'effriter leurs privilèges. Le problème est alors que l'on passe très vite d'un intérêt théorique pour les « hommes sur le fil » à une conception des hommes comme victime du féminisme11. » (Ibidem,

2014)

Le développement des recherches sur les masculinités crée une tension entre ce nouveau champ et les courants féministes. Comme le démontre ces propos, le rattachement au féminisme est d’autant plus délicat que certains travaux ont provoqué la méfiance et la suspicion envers ce champ d’étude, pouvant être à la fois novateur et conservateur, sous les traits d’androcentrisme scientifique.

11 Voir Pascal Jamoulle, Des hommes sur le fil. La construction de l'identité masculine en milieux

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Cette dernière citation introduit deux autres points importants : les éternelles différences entre les communautés scientifiques intra- et/ou internationales quant au développement d’un champ de recherche, et la multiplication de l’engagement des hommes dans des recherches très proches du féminisme.

Tout comme les pensées féministes, les temporalités des études des masculinités diffèrent selon les pays, mais aussi selon les disciplines. Certes en France les hommes ont été depuis toujours des objets de connaissance pour la géographie humaine, en revanche les masculinités ne peuvent se targuer d’une telle ancienneté. Ce qui n’est pas le cas pour toutes les disciplines comme la psychologie ou la sociologie qui ont développé des études des masculinités depuis plus longtemps, sans pour autant faire partie de ce champ d’étude dont la dénomination n’était pas établie comme le souligne l’une Raewyn Connell : « Notre concept de masculinité semble être un produit historique assez récent, datant tout au plus de quelques centaines d'années. Par le fait même de parler de « masculinité », nous produisons le genre d'une manière culturellement située. Il faut garder cela à l'esprit face aux prétendues découvertes de vérités transhistoriques sur la masculinité et le masculin. » (Ibid, p.60) Par ces mots l'auteur insiste sur la dangereuse universalisation du savoir, en instituant le terme de « masculinités » comme savoir situé. Ce faisant elle place ses travaux sur les différents déploiements des masculinités dans le contexte euro-américain.

Le second point, se rapportant à la suspicion attachée à l’engagement des hommes dans les courants de pensées proches du féminisme est essentiel. Le combat intense contre l’androcentrisme encore effectué aujourd’hui par les courants féminismes induit certaines distanciations avec l’engagement des hommes dans ces mêmes luttes. L’homme en tant qu’agent oppresseur, conscient ou inconscient, ne semble pas pouvoir s’associer à toutes les démarches féministes. Cependant, les « Men’s Studies » semblent être un point de liaison possible comme le souligneront certaines auteures.

La suite présentera la manière dont cette thématique s’est immiscée dans le champ des recherches, en abordant à la fois les bénéfices, les doutes et les risques scientifiques engendrés.